Rosa Hnini du Théâtre Kateb Yacine présentée au Théâtre Abdelkader Alloula : Ahmed Khoudi réussit un prenant huis clos

16/07/2022 mis à jour: 05:39
1995
Ce théâtre en a été si satisfait qu’il a commandé à Khoudi une version en tamazight parce qu’il avait également programmé un spectacle dans cette langue pour sa saison théâtrale

Le théâtre Kateb Yacine de Tizi Ouzou a eu la main heureuse en optant pour Un inspecteur vous demande que lui a proposé de monter Ahmed Khoudi, une pièce qu’il a réécrite en darja avec pour titre Rosa Hnini. 
 

 

Ce théâtre en a été si satisfait qu’il a commandé à Khoudi une version en tamazight parce qu’il avait également programmé un spectacle dans cette langue pour sa saison théâtrale et que les propositions reçues pour ce faire n’étaient pas tentantes. 

L’intrigue dans la pièce originelle est située en Angleterre : Un inspecteur de police s’annonce de façon impromptue lors d’une fête chez une famille de riches et puissants possédants, une famille représentative de cette haute bourgeoisie industrielle en Europe dont les insatiables appétits ont débouché sur la guerre de 14-18. Écrite en 1944, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, ses péripéties sont situées en 1912, période de troubles sociaux et politiques précédant la première guerre mondiale. John Boynton Priestley, son auteur, un intellectuel de gauche, y infuse une implacable critique sociale et politique. 

Pour la petite histoire, sa pièce a d’abord été montée en ex-URSS en 1945, l’ennemi du bloc capitaliste. Cependant, il n’en demeure pas moins vrai, parce qu’œuvre théâtrale aboutie, elle a été montée en Angleterre en 1946 comme elle a connu 100 représentations sur Broadway en 1947 et plus de 450 autres lors de sa reprise en 1994. Elle a également fait l’objet de plusieurs transpositions cinématographiques et télévisuelles tant à l’est qu’à l’ouest du mur de Berlin. 

Dans la version qu’en a tirée Khoudi, un inspecteur de police aux façons grotesques, à la Marx Groucho, (Yazid Sahraoui), un personnage fantasque qui frise l’irréalité, se présente pour enquêter sur le tragique trépas de Rosa Hnini, une jeune fille qui était enceinte et qui a eu maille à partir avec la famille Boulaagab. Un à un, les présents passent à la moulinette d’un humour teinté d’absurdité : le père (Omar Zaouidi) la mère (Lila Benattia), le fils (Sadek Yousfi), la fille (Samia Bouacila) et son fiancé (Malek Fellag). 

Au fil des questions-réponses des uns et des autres et des coups de théâtre à répétition, l’apparente respectabilité de la famille s’effrite lamentablement. Ce qui est remarquable à noter dans la démarche de Khoudi, c’est qu’en algérianisant la pièce britannique, il en a préservé le fond profond, s’écartant du réducteur localisme, ce travers dans lequel sombre en Algérie nombre des réécritures des pièces étrangères.

 Ce rappel vaut d’autant que le théâtre en tamazight se heurte pour sa part à l’écueil de l’absence d’un répertoire en cette langue, et pour cause, hormis celui constitué par Mohia à l’époque des années 1970, à la faveur de l’éphémère existence du théâtre de l’émigration en France, suite à la tournée mémorable de Mohamed, prends ta valise de Kateb Yacine. 

D’ailleurs, Khoudi a monté Si Partuf de Mohia d’après Le Tartuffe de Molière. C’est donc dire si le choix porté sur Rosa Hnini est d’autant judicieux que Khoudi est l’une de nos meilleures valeurs sûres en matière de mise en scène, alliant avec bonheur rigueur et académisme, d’une part. Par ailleurs, Un inspecteur vous demande, douzième pièce de J-B Priestley, s’appuie sur une charpentée et savoureuse mécanique dramaturgique ! Mais encore, elle n’est pas sans véhiculer un propos fort. Quant à sa forme, elle s’appuie adéquatement sur le registre de la tragi-comédie. 

A Oran, le spectacle, à sa deuxième représentation en darja, une seule en kabyle au compteur, a bien passé la rampe, chaleureusement applaudi par un public nombreux. Et parce que Rosa Hnini n’était pas encore rodé, nous avons assisté avant l’ouverture de la salle au public à un petit réajustement effectué par Khoudi dans les enchaînements du déroulé de la scène-clé. 

Cela était d’autant essentiel que le spectacle met à contribution l’ironie dramatique, une forme d’ironie engendrée par un comique de situation qui nécessite l’appui d’un rythme bien enlevé dans le jeu, ce qui, par ailleurs, accroît l’incarnation des personnages par les comédiens même si l’on ne dispose que d’une équipe aux performances moyennes. 

Au final, basée sur la règle des trois unités d’action, de temps et d’espace, Rosa Hbibi s’avère un diabolique huis clos du fait de sa corsée intrigue. On n’en sort pas indemne après l’abyssale mise en abîme de sa chute finale. Rosa Hnini est assurément promis à une belle carrière dans une tournée qui mérite d’être nationale.
 

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