Révocation de 57 juges en Tunisie : Saïed pour une justice égalitaire et indépendante

04/06/2022 mis à jour: 09:59
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Le président Kaïs Saïed devant les membres du nouveau Conseil supérieur de la magistrature lors de leur prestation de serment, le 7 mars 2022, au palais de Carthage

La Tunisie est désormais en ébullition ces derniers jours avec, d’une part, la mise à l’écart, mercredi dernier, de 57 magistrats et l’ouverture d’instructions contre eux. 

D’autre part, camp présidentiel et opposition commencent à se mobiliser pour le référendum du 25 juillet. «Le président Saïed a compris qu’il faut épurer la justice pour rétablir la confiance dans le système judiciaire, nécessaire pour une société juste et égalitaire», a affirmé, à El Watan, le militant associatif Abdelkrim Gharbi.
 

Dessous
 

Le président Saïed a fait passer, lors du Conseil ministériel du 1er juin, un décret comportant la révocation de 57 magistrats, ainsi qu’un autre décret amendant la réglementation du Conseil supérieur de la magistrature et autorisant le Président à révoquer des magistrats s’ils commettent des actes portant préjudice à l’image de la patrie. 

La liste des 57 magistrats licenciés comporte les juges Taïeb Rached, ex-premier président de la Cour de cassation, et Béchir Akermi, ex-procureur général de la République auprès du Tribunal de première instance de Tunis, qui se sont écharpés pendant le mois de mars 2021, entraînant des poursuites judiciaires contre les deux magistrats. 

Les mesures entamées contre ces deux hommes de loi étaient hésitantes vu l’implication d’autres magistrats dans les malversations les impliquant, qu’elles soient de corruption (Taïeb Rached) ou de protection de personnalités soupçonnées de terrorisme (Béchir Akremi). Le président Saïed a fait pression pour avancer dans ces dossiers. 
 

La première des mesures a été en rapport avec l’appareil secret des islamistes d’Ennahdha : ce fut l’interdiction de voyage, décidée contre une trentaine de personnes, dont le président d’Ennahdha et ex-président du Parlement, Rached Ghannouchi. Cette mesure a été décidée le 28 mai 2022 par le tribunal de l’Ariana. Ce fut le début de l’écroulement des ceintures protégeant les islamistes dans la magistrature ; cela annonçait déjà la purge dans l’appareil judiciaire. 
 

Le président Saïed a recommandé d’ouvrir des enquêtes contre chaque magistrat écarté, pour éviter une purge pareille à celle opérée en 2012 par le ministre nahdhaoui Noureddine Bhiri, qui visait les juges proches du camp Ben Ali. «Saïed veut plutôt une condamnation d’actes, non de personnes», a assuré, à El Watan, un magistrat du camp Saïed, sous le couvert de l’anonymat. Si le recours contre le magistrat écarté s’avère caduc, il peut se pourvoir devant la justice administrative pour recouvrir ses droits, assure-t-on. Mais le moindre doute n’est pas toléré chez les magistrats d’un pays qui se respecte, ajoute-t-on. 
 

Partis politiques out
 

Le dialogue consultatif prévu a exclu les partis, dont plusieurs se sont constitués en fronts pour sauvegarder leur présence politique. Ainsi, lors d’une conférence de presse, tenue le 31 mai, la dirigeante du Front du salut, Shaïma Aissa, a annoncé sa création officielle. Il s’agit d’une dizaine de formations articulées autour des islamistes d’Ennahdha et réunissant El Amal (Néjib Chebbi), El Hirak (Marzouki), Al Karama, Citoyens contre le coup d’Etat, l’Initiative démocratique, Coordination des députés, Rencontre des jeunes pour la démocratie et la justice sociale. 

Ils se sont déclarés contre le référendum. Le Parti des travailleurs (Hamma Hammami), le Pôle, le Courant démocratique, le Parti républicain et Ettakattol ont annoncé, le 2 juin, lancer une campagne contre le référendum du 25 juillet. Les mesures prises par le président Saïed, depuis le 25 juillet 2021, «ne visent qu’à s’accaparer l’ensemble des pouvoirs et instaurer un régime totalitaire», selon ces partis. Ils comptent organiser aujourd’hui une manifestation devant l’ISIE pour exprimer leur rejet du référendum, que l’ISIE va parrainer. 

Le Parti destourien libre (PDL), classé à la tête des intentions de vote pour les législatives, est, lui-aussi, opposé au référendum du 25 juillet. Abir Moussi n’a cessé de s’attaquer à la manière de gouverner du président Saïed, l’accusant de tous les torts. Sans oublier la centrale syndicale, UGTT, favorable au coup de force du 25 juillet 2021 mais opposée à la manière dont Kaïs Saïed conçoit la nouvelle Tunisie. 
 

Par ailleurs, la liste des invités du bâtonnier Brahim Bouderbala, président du Comité consultatif des affaires économiques et sociales, pour la première réunion prévue aujourd’hui, comporte des noms appartenant à des organisations nationales (UGTT, Utica, UTAP, LTDH et UNFT), d’autres proches de certains partis politiques favorables au 25 juillet 2021 (Abid Briki, Mongi Rahoui, etc.), ainsi que des représentants d’organisations de la société civile ou de personnalités indépendantes. Jusque-là, seule parmi les organisations nationales, l’UGTT a exprimé son refus de participer à ce dialogue, alors que la LTDH a exprimé son intention de participer. 

Parmi les personnalités, le journaliste Soufiane Ben Farhat s’est excusé dans un post Facebook. Par contre, la comédienne et dramaturge Leila Toubel a exprimé son intention de participer au dialogue.
 

C’est dire que, parmi les invités nominatifs, les points de vue divergent. Des développements sont donc prévus dans les deux camps, ceux favorables au référendum et ceux qui s’y opposent. Même l’étranger s’en mêle, puisque le Département d’Etat a publié, avant-hier, une communication déplorant «la poursuite des recours de Saïed à des décrets portant atteinte à l’appareil de la justice». 

Et comme les Tunisiens sont convaincus que leur justice est corrompue, ils ne prêtent pas le moindre crédit à pareilles réserves. La situation est toutefois compliquée.
 

Mourad Sellami

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