Les projets de loi sur l’information et l’audiovisuel ont été, hier, au menu de la réunion du Conseil des ministres. Les deux textes, programmés et déprogrammés à plusieurs reprises, suscitent toujours des interrogations et des craintes chez les professionnels de la presse.
Ces derniers s’interrogent d’ores et déjà sur l’objectif de cette révision du dispositif législatif régissant le secteur, intervenant dans un contexte marqué par la précarisation des médias. Quel est le but de cette révision ? Quel avenir pour la liberté de la presse, le respect de la liberté d’expression et le droit du citoyen à l’information ?
L’examen de la mouture du projet de loi organique relative à l’information, finalisée en octobre dernier, permet d’avoir une idée sur l’arrière-pensée du législateur. Le document de 26 pages et de 99 articles précise, d’emblée, qu’il s’agit d’une mise en conformité de la loi avec la Constitution, amendée en novembre 2020.
Le texte amende en profondeur la loi sur l’information de 2021, en supprimant notamment l’Autorité de régulation de la presse écrite et son remplacement par le Conseil national de la presse (CNP), dont la liste nominative de ses membres est fixée, selon l’article 38, par le ministre de la Communication. Ce dernier nomme aussi cinq des neuf membres du CNP, ce qui le place sous le contrôle de l’Exécutif.
La mouture en question ne fait, en tout cas, aucune référence à l’indépendance de ce Conseil par rapport au pouvoir politique. Le projet instaure également des amendes excessives sur «les infractions commises dans le cadre de l’exercice de l’activité journalistique», allant de 500 000 à 1 000 000 DA. Alors que la dépénalisation des délits de presse est consacrée par la Constitution, le nouveau texte n’exclut pas des peines supplémentaires pour les personnes condamnées pour lesdites infractions. «En cas de condamnation pour l’une des infractions prévues dans le présent titre, la juridiction compétente peut prononcer une ou plusieurs des peines complémentaires prévues par la législation en vigueur», stipule l’article 93. Cette disposition ouvre la voie, implicitement, à un possible retour à l’application des condamnations privatives de liberté pour les journalistes et les professionnels des médias.
Journalistes et presse fragilisés
Ce texte, de l’avis de nombreux professionnels, ne révolutionne pas le cadre législatif d’un secteur en détresse. Et pour cause, le document ne définit pas clairement le modèle de la presse que l’on souhaite mettre en place. Tout en énumérant les devoirs des journalistes et des médias dans lesquels ils travaillent, le texte ne fait référence que succinctement aux droits et à la nécessité de mettre en place une presse forte et indépendante.
Le législateur semble avoir omis une réalité amère. Celle-ci est marquée par l’extrême fragilisation de tous les médias, frappés de plein fouet par une crise économique sans précédent. Mais pas seulement. De nombreux organes de presse sont sous le coup d’«un véritable embargo sur la publicité institutionnelle», alors que les annonces privées se sont raréfiées. Résultats : des dizaines de titres ont mis la clé sous le paillasson et d’autres résistent péniblement. Cette situation est aggravée par des pressions politiques sur les médias et sur les journalistes contraints à la censure et l’autocensure.
Ceux qui refusent de se soumettre à ce diktat sont tout simplement en sursis. Cette situation s’applique aussi bien à la presse écrite qu’aux journaux électroniques et aux médias audiovisuels. En dépit de l’existence d’une loi en vigueur depuis des années, les médias audiovisuels privés continuent d’être considérés comme étant des organes étrangers, subissant, de ce fait, toutes les contraintes.
Si elles n’ont pas disparu ou fermées par des décisions politiques, ces chaînes TV offshore sont réduites à ressasser, comme l’a affirmé en mars dernier le professeur à la faculté de journalisme d’Alger, Redouane Boudjemaa, «mécaniquement un discours univoque, en décalage complet avec une réalité radicalement modifiée par les technologies de l’information et les réseaux sociaux».
Parallèlement, les médias publics audiovisuels, bénéficiant de grands financements grâce aux deniers publics, sont carrément verrouillés. Aucune voix critique n’a le droit à l’antenne, et les opinions opposantes sont considérées comme étant «subversives».
A quoi sert donc cette révision des lois, si elle ne vise pas à mettre en place un véritable système médiatique pluraliste et indépendant ?