Le ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan participe depuis hier à Djibouti à la réunion du Partenariat Turquie-Afrique, un organisme de coopération établi en 2008. Rencontre de deux jours qui permettra une fois de plus à Ankara de renforcer sa présence sur le continent aux côtés d’ex-tutelles coloniales (France, Royaume-Uni) et d’autres puissances comme la Chine, la Russie, les États-Unis, l’Inde et le Japon entre autres.
Selon un rapport des Nations unies paru en 2022, les matières premières «représentent plus de 60% des exportations totales de marchandises» dans 45 pays africains. Ces produits sont expédiés hors du continent pour être transformés. Depuis quelques années l’engouement des grandes puissances se traduit d’une manière multiforme. Outre la coopération économique, il se manifeste sur le plan sécuritaire à travers la formation des militaires, les ventes d’armes et l’établissement de bases militaires, entre autres.
La Turquie mène sa médiation entre l’Ethiopie et la Somalie, deux voisins limitrophes de Djibouti aux relations tendues, afin de garantir l’accès de l’Ethiopie aux eaux internationales via la Somalie, sans attenter à la souveraineté territoriale de celle-ci. Le 1er juillet, Éthiopiens et Somaliens se sont accordés pour entamer des pourparlers indirects sous l’égide de la Turquie. Le choix d’Ankara émane d’une demande du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed. La Turquie s’est réconciliée avec l’Egypte après dix ans de brouille. Mais Le Caire est en conflit avec Addis Abeba sur le Grand Barrage de la Renaissance (Gerd).
Ce qui pourrait entraver les efforts d’Ankara quant à renforcer sa présence en cette région de la Corne de l’Afrique. La Turquie, favorable à un État somalien fédéré incluant le Somaliland, est un des partenaires privilégiés de l’Éthiopie, où 200 de ses entreprises sont aujourd’hui installées. Leur proximité s’est renforcée lorsque la Turquie a fourni l’armée fédérale éthiopienne en drones TB2 utilisés sur le front tigréen au cours de la guerre de 2020-2022. En 2010, Ankara a organisé, en partenariat avec les Nations unies, la Conférence d’Istanbul pour la Somalie.
En 2011, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre de la Turquie, s’est rendu à Mogadiscio, au moment où la Somalie traverse une famine dans un contexte de guerre civile et d’intensification de la menace terroriste d’Al-Shebab. En 2013, le pays a accueilli des discussions de niveau présidentiel entre la Somalie et le Somaliland, puis, en 2015, ce sont des représentants des sociétés civiles qui se sont réunis sous l’égide d’Ankara.
La présence turque se renforce dans ce pays de la Corne de l’Afrique à travers des investissements en agriculture, la construction de l’aéroport de Mogadiscio, d’un centre d’entraînement militaire, d’un hôpital et d’écoles. Ankara dispose d’une base militaire dans ce pays depuis 2017. Récemment le navire turc Oruç Reis est arrivé à Mogadiscio pour une mission d’exploration de gaz naturel et de pétrole dans les eaux somaliennes, en vertu d’un accord entre les deux pays prévoyant des forages dans trois zones de 5.000 km2 chacune.
Au Sahel, des accords de coopération dans l’exploration de gaz et de pétrole, ainsi que tout récemment d’exploitation de mines, ont aussi été signés avec le Niger. La compagnie nationale turque MTA possède trois mines d’or dans ce pays du Sahel, doté de mines d’or ou d’uranium. Ces mines sont directement protégées par l’armée nigérienne mais la Turquie est considérée comme un «partenaire de sécurité» par de nombreux pays de la région.
Coopération multiforme
Ankara a signé des accords de coopération militaire avec plus de vingt-cinq pays africains, leur fournissant des armes de sa fabrication dont des drones, des hélicoptères, des avions d’entrainement et des blindés. Sa position hostile aux sanctions imposées par les Occidentaux aux régimes militaires du Niger, du Burkina Faso et du Mali facilite aussi les relations d’Ankara avec ces pays.
En novembre 2021, le Niger a signé un contrat d’armement prévoyant entre autres l’acquisition de Bayraktar TB2. En mars 2023, une douzaine de drones sont reçus par le Mali.
La Turquie est ainsi devenue le quatrième plus grand fournisseur d’armes de l’Afrique subsaharienne, selon un rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) publié en mars. La Turquie soutient le gouvernement libyen de Tripoli en 2020, et l’a aidé avec ses drones à mettre en échec l’offensive du général Khalifa Haftar sur la capitale.
Volet civil, les entreprises de construction turques, très présentes sur des projets d’infrastructure comme le développement des chemins de fer en Tanzanie (6,5 milliards de dollars), contribuent à assoir l’image de leur pays d’origine. Le commerce entre la Turquie et les pays africains ont dépassé 40 milliards de dollars en 2022 et la compagnie Turkish Airlines dessert une cinquantaine de destinations sur le continent. Entre-temps, Ankara s’est investi dans l’action éducative.
Cette mission est confiée au mouvement Gülen Fathullah, créant des écoles anglophones ou francophones dans nombre de pays du continent. Depuis la tentative de coup d’État de 2016, ce mouvement considéré comme une organisation terroriste par le gouvernement turc, qui s’est ainsi employé à reprendre la main sur le réseau éducatif de Gülen par l’intermédiaire de sa fondation Maarif. Recep Tayyip Erdogan a rappelé d’ailleurs l’impératif que constitue pour lui la lutte contre l’« Organisation terroriste fethullahiste », le FETÖ en l’assimilant à celles qui doivent être menées contre Boko Haram, les milices somaliennes Al-Chabab et l’Organisation de l’État islamique (EI). A l’issue du sommet Turquie-Afrique tenu à Istanbul les 17 et 18 décembre 2021, est adoptée une déclaration finale de cette rencontre a adopté une feuille de route. Elle définit cinq champs de coopération prioritaires : sécurité, commerce, éducation, agriculture et santé, et met en place des mécanismes de suivi ou d’évaluation.
La Turquie a en outre signé un accord-cadre de coopération avec la nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (Zelca).
Dans son discours prononcé lors de cette rencontre, le président Erdogan a réitéré son mot d’ordre lancé lors de l’Assemblée générale des Nations unies en 2014, «le monde est plus grand que cinq», allusion aux cinq membres du Conseil de sécurité de l’Onu. Il a dénoncé « la grande injustice» du système international actuel qui conduit à ce que le continent africain soit absent du Conseil de sécurité.