Nador, dans le Rif marocain, 24 juin 2022. Près de 2000 migrants subsahariens tentent de pénétrer dans l’enclave espagnole de Melilla. Des tirs de mitraillettes fusent inexorablement. Bilan macabre : 37 morts, dont une majorité de citoyens soudanais, selon Amnesty International et des experts indépendants nommés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
«Les événements n’étaient pas un accident, mais répondaient plutôt à une véritable stratégie des autorités des deux pays», a révélé une enquête menée par les organisations Border Forensics, Iridia et l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), avec le soutien du Centre européen des droits constitutionnels et de l’homme. L’enquête, basée principalement sur des témoignages de survivants recueillis au Maroc et en Espagne, ainsi que sur des documents officiels, des vidéos et des images jusqu’ici inaccessibles, conclut à une «violence et une extrême déshumanisation des migrants lors de la journée du 24 juin 2022».
Ce n’est pas tout : selon les résultats de l’enquête, «les forces de sécurité marocaines ont ‘‘délibérément permis aux migrants de s’approcher de la frontière et, une fois sur place, les ont dirigés vers le poste-frontière, où ils ont ensuite été attaqués par des agents des deux pays’’ (…). L’usage intensif des gaz lacrymogènes et le climat de panique qui en a résulté ont produit les premiers morts». Hawwa, qui faisait partie des 2000 migrants, s’en sort indemne ce jour maudit du 24 juin.
Au bout, l’éden…
Son récit est époustouflant. Août 2021, elle se trouve dans l’oriental chérifien, précisément à Oujda. Elle se dirige vers l’église de la ville. Sur les lieux, les religieux lui expliquent qu’elle devrait aller au Haut Commissariat des réfugiés à Rabat pour déposer sa demande d'asile.
Au bout de cinq jours, elle part dans la capitale politique du royaume puis elle rejoint Jbel Moussa, dominant la ville de Ceuta, où elle hume déjà l’air européen. «J'ai fait ma première tentative avec 300 autres migrants en août», se souvient-elle. Manque de pot : «J'ai été emprisonnée à Tétouan pour quelques heures, et ensuite refoulée vers Casablanca.» Elle erre dans cette métropole quelques jours, seule, sans abri, et dort dans la rue. Elle finit par rencontrer deux Soudanais qui lui conseillent d'aller, une seconde fois, au HCR à Rabat pour demander de l'aide. «J'ai passé des mois dans le marché de Rabat, dans le quartier Yacoub Mansour, avant qu'on me donne un hébergement», confie-t-elle. Les blessures physiques et émotionnelles de cette journée cauchemardesque du 24 juin, au poste frontalier de Bario Chino (quartier chinois), la hantent toujours. Elle est angoissée, endolorie et terrifiée par une insomnie permanente.
Cependant, tout ce drame ne la dissuade pas de «retenter le coup» et aller conquérir l’Europe. La persévérance paie. Hawwa n’a pas seulement gagné l’Europe, mais plus loin : le Canada où l’a accueillie son fils Ahmed. «Je suis heureuse et soulagée. Je peux enfin espérer une vie paisible auprès de mon fils, je suis bien arrivée à Ottawa, j’aurais un autre vol mais tout va bien Dieu merci», déclare-t-elle de sa voix doucereuse au bout du fil. Elle prendra un autre avion, légalement, à destination d’une autre ville de cette Amérique du nord. Loin des traumatismes. Heureux qui, comme Hawwa, a pu aller au bout de ses rêves.