Reportage - Une journée pour revaloriser la réserve naturelle de Djebel Ouahch : Les citoyens au rendez-vous

17/08/2023 mis à jour: 00:39
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Photo : D. R.

Malgré les appels lancés sur les réseaux sociaux, l’absence des organismes concernés était décevante.

Il faisait 23C° à 8h du matin du mercredi 16 août, quand quelques femmes et hommes étaient déjà présents à la réserve de Djebel Ouahch pour participer à la campagne de nettoyage lancée par les citoyens jusqu’au 18 août.

Gants, sacs-poubelle à la main, dos courbés, ils ont commencé à ramasser des bouteilles d’eau, de jus, des boîtes de gâteau, des mouchoirs et autres avec les moyens du bord, avant l’arrivée des autorités.

Sur place, l’image est affligeante. Des déchets accumulés partout et une dégradation est remarquée dès l’entrée de la réserve avec un arc fissuré et qui risque de s’effondrer sur les véhicules et les visiteurs. Il est déjà 9h. Les citoyens volontaires présents avec quelques associations, des éléments de la Conservation des forêts et la Protection civile, attendent toujours les moyens matériels et humains promis par les autorités locales.

Après quelques mètres de marche, nous avons remarqué un camion-citerne et quelques agents de l’Edevco de la commune, ainsi que le président de la commission de l’environnement de l’APW Nabil Boutamina. «Je suis venu ici en tant que citoyen de Constantine qui veut participer à cette manifestation. Je n’ai attendu personne pour m’inviter», a-t-il déclaré à El Watan.

Un clin d’œil lancé à plusieurs directions invitées à cet évènement et à la société civile qui était quasiment absente. Quelques minutes après, l’établissement public de la wilaya de réalisation et d’entretien des espaces verts (Edevco) et le maire de Constantine Charaf Bensari, les éléments de la maison de l’environnement et autres quelques citoyens débarquent. «Nous sommes déçus, mais cela ne va pas nous décourager.

Il y a un sérieux problème de communication. Pourquoi les autorités n’ont pas lancé des campagnes de sensibilisation et d’information, en instruisant toutes les institutions de participer ? Cette opération nécessite d’énormes moyens», a lancé un participant. Il a fallu que des citoyens, et avec l’aide de la Conservation des forêts, achètent par leurs propres moyens des gants, des sacs-poubelle pour les fournir aux bénévoles.

La société civile en congé

Mais ce n’était pas suffisant. Les participants ont voulu tout faire pour réussir cette «action citoyenne peu appréciée par certains responsables et de nombreuses associations ayant refusé de participer». De son côté, M. Bensari a promis de mobiliser tous les moyens nécessaires pour le 17 août (deuxième jour de l’opération) pour aider les participants.

En dépit de toutes ces assurances, de nombreux citoyens n’ont pas manqué d’exprimer leur déception et leur colère, face à l’absence de la société civile. «Les associations, avec tous leurs membres, sont en congé. Il ne s’agit pas d’un évènement où on va prendre une photo avec le wali. On politise tout, même une collecte de déchets organisée par des habitants», ironise un homme.

De son côté, Kounouz Bouterra Mensour présidente de l’Union algérienne de la promotion du tourisme et la protection de l’environnement a fustigé la société civile, estimant que les associations doivent se réveiller. «Constantine n’est pas un plat de couscous, ni une zorna ni un bendir. C’est une réserve naturelle, des ponts, des monuments à protéger et autres», a-t-elle fulminé, pour dire que lors des manifestations festives et folkloriques, tout le monde se manifeste afin de se montrer devant les autorités de la wilaya.

La société civile, souligne notre interlocutrice, «avait trahi la réserve par son absence clairement exprimée lors d’une courageuse initiative qui doit être encouragée et soutenue par tout le monde, dont le responsable de wilaya.»  Kounouz Bouterra Mensour évoque également le rétrécissement du couvert végétal de la réserve. Cette dernière s’étendait sur 32 ha avant qu’elle subisse des dégradations. La superficie de la réserve est-elle actuellement de 27 ha ?

En réponse à notre question, un agent de la Conservation des forêts n’a pas manqué d’exprimer son étonnement avançant : «Aujourd’hui, la superficie de la réserve est de 15 wwha. Elle connaît depuis des années d’importantes réductions.» 

La situation est alarmante et cette réserve risque de disparaître. «Je suis venu en tant que citoyen pour participer à cette action, car ça me fait de la peine. Cette réserve souffre énormément depuis des années et connaît un délaissement», regrette Kamel Eddine Bazri enseignant-chercheur et chef de département de biologie et d’écologie végétale à l’université Frères Mentouri Constantine 1.

Et d’affirmer que le problème de la réserve a toujours été signalé, mais en vain. Les autorités locales n’ont jamais agi face à ce crime écologique. M. Bazri, accompagné de sa fille, a fait savoir que le cèdre de l’Altas est un arbre spécifique à l’Algérie, malheureusement il est menacé de disparaître.

Notre interlocuteur a révélé plusieurs facteurs «liés à l’action entropique, notamment l’avancée du béton, avec les constructions limitrophes à la réserve dans les communes de Constantine, Didouche Mourad et Ben Badis.» Cela, sans oublier les incendies et le pâturage aussi.

Les solutions ne manquent pas

Kamel Eddine Bazri rappelle qu’à une époque donnée la fougère faisait un mètre jusqu’à deux mètres. Sa disparition est causée par le changement du climat et le manque d’humidité.  Mais quelles solutions à proposer ? «Pour lutter contre la sécheresse à petite échelle dans la réserve, il faut impérativement réaménager les lacs et les remplir d’eau, ce qui assure l’humidité.

Certaines espèces n’arrivent pas à maintenir le coup, avec le changement climatique tel que le cèdre. Donc, on doit reboiser des plantes qui résistent au climat aride et semi-aride, en préservant les espèces qui sont en vie et encourager d’autres espèces qui s’adaptent», a-t-il expliqué. Pour sa part, Abdelmadjid Sebbih, président de l’Association constantinoise de protection de la nature et de l’environnement (APNE), a cité des solutions qui peuvent sauver cette réserve menacée de disparition dans dix ans.

Il a évoqué «la réalisation d’une clôture, en arrêtant la prolifération des constructions en béton à côté de la réserve, minimiser l’accès des voitures qui polluent et impactent la biodiversité de la réserve, la réhabilitation des lacs qui créent un climat favorable pour plusieurs espèces d’oiseaux et la prise en charge de la pépinière, ainsi que réserver des espaces pour les familles, afin que ces dernières ne détruisent pas certaines végétations qui servent d’échantillons pour les étudiants et les chercheurs de l’université.

Même les équipements à installer doivent avoir une vocation naturelle, sans privilégier l’aspect commercial au détriment de la végétation.» M. Sebbih a avoué également que cette réserve est riche en plantes médicinales qui peuvent favoriser un créneau économique pour la ville et le pays.

Un autre jeune homme rencontré sur place propose de réoccuper les constructions réalisées et abandonnées depuis des années : «La Conservation des forêts doit avoir des lieux permanents ici, pourquoi ne pas réhabiliter et occuper ces carcasses ? Il faut avoir un œil permanent sur la forêt et les visiteurs.

La gendarmerie et la sûreté de wilaya peuvent aussi mobiliser des brigades sur place pour intervenir et interdire de détériorer un patrimoine naturel.» Pour sa part, Kounouz Bouterra Mensour a proposé au maire de réaliser l’éclairage public à l’intérieur de la réserve.

Ce qui va favoriser l’organisation des activités et des soirées culturelles sur le site. L’installation des bacs à ordures et la collecte sont également réclamées. «Ce qui me désole, c’est que cette réserve a été créée en même temps que le Jardin d’essai du Hamma à Alger qui est toujours maintenu et préservé. Pourquoi la nôtre à Constantine risque de disparaître ? Cet arboretum est considéré comme un laboratoire pour les universitaires.

Je pense qu’il faut l’octroyer à un Epic rendant l’accès payant. De cette manière, il y aura plus de rigueur dans sa gestion» a conclu Kamel Eddine Bazri, nous montrant des photos d’importants déblais jetés derrière la pépinière de la réserve. Malheureusement, la mafia du foncier à Constantine a condamné cette réserve au su et au vu de toutes autorités, mettant en péril tout un écosystème.

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