Reportage / Sortie avec les équipes de la direction du commerce chez les cafetiers de la ville de Constantine : Le plafonnement du prix de la tasse de café fait jaser

21/12/2024 mis à jour: 18:02
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Les services de contrôle ont commencé par sensibiliser avant de passer aux sanctions (photo : el watan)

La journée s’annonçait lumineuse, bien que l’air glacé de l’hiver demeura mordant. Les services de la direction du commerce de la wilaya de Constantine ont lancé jeudi 19 décembre, une opération de sensibilisation inédite, visant les cafetiers. 

Cette initiative, déployée dès 10h30, marque le début d’un ensemble de mesures destinées à plafonner le prix de la tasse de café à 40 DA. Les agents du commerce ont sillonné plusieurs quartiers de la ville de Constantine pour informer les gérants des établissements concernés des nouvelles dispositions prises par les autorités. 

Parmi les différents arrêts effectués, El Watan a suivi une brigade intervenant à Sidi Mabrouk, une cité très connue dans la banlieue Est de Constantine. «Il s’agit avant tout d’une démarche pédagogique et participative», explique un agent. Et d’ajouter : «Nous souhaitons que les professionnels adhèrent à cette régulation pour atténuer l’impact de la vie chère sur les consommateurs.» 


Les cafetiers sont également invités à s’approvisionner exclusivement auprès des quatre grossistes homologués par l’Etat. Deux de ces grossistes se trouvent à la zone industrielle Palma, un autre à Didouche Mourad et le dernier au centre-ville de Constantine. 

Ces grossistes bénéficient de subventions, leur permettant de vendre le kilogramme de café à 1300 DA au lieu des 1600 ou 1700 DA habituels. Avant de rejoindre Sidi Mabrouk, la brigade a fait escale à Bab El Kantara, chez un cafetier membre de l’Union des commerçants. Celui-ci a été informé qu’il devra suivre la procédure exclusivement auprès des grossistes agréés, en présentant son registre du commerce, son numéro d’identification fiscale (NIF) ainsi que d’autres documents requis, dans un souci de traçabilité et de transparence. 

Or, la réalité observée lors de cette opération a révélé que nombre de cafetiers s’approvisionnent quotidiennement en petites quantités, sans facturation ni étiquetage clair sur les sacs de café. «Bien que nous soyons ici dans une logique de sensibilisation, il est nécessaire de prévenir que les contrôles futurs seront marqués par des sanctions plus fermes», prévient un autre agent.


Une adhésion mitigée

Les réactions des cafetiers face à cette initiative étaient diverses. Si certains ont accueilli favorablement cette mesure, soulignant que la marge bénéficiaire reste acceptable grâce à la baisse du prix du café en grains (à présent fixé à 1300 DA le kg), d’autres ont exprimé des réserves. «Avec un kilogramme de café, il est possible de préparer environ 60 gobelets. Vendus à 40 DA chacun, ils génèrent 2400 DA de recettes. Cette marge permet de couvrir largement le prix d’achat», explique un agent lors d’une discussion avec les cafetiers de Sidi Mabrouk. Néanmoins, certains doutent encore de la faisabilité d’une telle mesure, invoquant notamment les multiples charges d’exploitation. Ils soulignent que cette décision semble avantager ceux employant un seul salarié. 

En revanche, la situation se révèle bien plus complexe pour les gérants ayant  comme employés un plongeur, un serveur et un barista pour manipuler la machine à café. «Tout est calculé, jusqu’au grammage du café», confie un cafetier. Il précise : «Dans mon local, je consomme environ un kilo et demi de café quotidiennement. Lorsque j’utilise le bras de la machine avec deux sorties. 

Avec 20g par gobelet, le café obtenu est léger. Or, la majorité de ma clientèle préfère un café plus corsé, ce qui nécessite un gobelet de 25 g ou plus. Il ajoute : «Je dois également payer un loyer, et cet établissement permet de subvenir aux besoins de quatre familles.» Il poursuit en décrivant les difficultés rencontrées dans l’embauche : «Aujourd’hui, il est presque impossible de recruter des serveurs, qui exigent un salaire journalier de 1500 DA, sans même être assurés.» Selon lui, la situation demeure précaire. 

Un autre cafetier confirme ces propos, expliquant que même en vendant le gobelet à 50 DA, ses marges de profit restent infimes, le prix d’achat en gros d’un kilo de café atteignant 1720 DA. Il se voit contraint de diversifier ses produits en proposant pâtisseries, café en capsules, bourek, pizzas et autres pour compenser. 

Un troisième cafetier à Sidi Mabrouk fait état du coût des fournitures : «Le sac de gobelets moyens, qui contient environ 900 unités, coûte 1250 DA, mais il arrive souvent que certains soient défectueux. Le sac de sucre de 25 kg revient à 1100 DA. Parfois, en une semaine, je consomme deux sacs, car les Algériens sont de grands consommateurs de sucre.» 

Il ajoute: «Même les cuillères coûtent 250 DA. Malgré tout, je préfère réduire mes prix pour fidéliser ma clientèle.» Un membre de la brigade de la direction du commerce a adopté un ton intransigeant lors de sa visite aux cafetiers. Il a rappelé avec fermeté que cette mesure émanant de l’Etat revêt un caractère obligatoire en raison du plafonnement des prix. 

En dépit des difficultés exprimées par cette catégorie de commerçants, certains, comme celui établi à Daksi et employant neuf personnes tout en acquittant un loyer mensuel de 25 millions de centimes, estiment n’avoir guère d’alternative. Il confie : «Même si vendre le café à 40 DA ne couvre pas les charges, je dois m’y plier. Un kilo de café permet de préparer environ 50 gobelets. C’est pourquoi je réfléchis sérieusement à obtenir un agrément pour diversifier mon offre avec d’autres produits.»

 Outre les difficultés économiques évoquées, plusieurs irrégularités ont été signalées lors de cette opération. On cite surtout l’absence de facturation des achats de café, le non-respect des normes d’étiquetage, l’exposition des denrées alimentaires sans protection, ou encore le non-affichage des prix. 

Les agents de la direction du commerce ont averti les cafetiers que des contrôles plus stricts interviendront dès janvier, avec des sanctions en cas de non-conformité. Dans cet esprit, des brigades supplémentaires ont été mobilisées dans d’autres lieux comme El Khroub et Ali Mendjeli, afin de renforcer cette campagne de sensibilisation tout en préparant la mise en œuvre de mesures coercitives si nécessaire.             

Reportage réalisé par Yousra Salem

 

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