Panique et déchaînement des passions dans les milieux intellectuels et religieux arabes et musulmans. Le lancement, le 4 mai dernier, du centre Taqueen avec comme vocation d’interroger en profondeur l’histoire de l’islam et de la Sunna en tant que source de la jurisprudence islamique est accueilli avec une profusion de réactions qui s’accordent en grande majorité à y voir un énième complot contre l’héritage civilisationnel qui plus est en ces moments de tensions accrues avec le monde occidental.
Le centre d’études et de recherches basé au Caire, en attendant d’ouvrir des représentations dans d’autres pays arabes, est affublé déjà de «centre Taqueen pour l’athéisme», générique censé lui coller le projet rédhibitoire d’œuvrer à saper les bases de la foi et frapper de caducité historique l’univers culturel dont elle fait le socle.
La levée de boucliers engage des personnalités de renom, religieuses, médiatiques et politiques. Une charge acharnée est ainsi conduite depuis deux semaines dans les médias arabes et les réseaux sociaux les plus courus pour amener les autorités à décider de son interdiction.
Les initiateurs de Taqueen des universitaires, des écrivains, des philosophes et des producteurs de contenus numériques connus dans le domaine promettent de dépasser l’autorité des dogmes, mais affirment ne pas chercher à entrer en confrontation avec les institutions religieuses.
Le récit de la vie et des pratiques rituelles du Prophète, la Sunna, telle qu’elle est enseignée depuis des siècles, est annoncé comme le matériau central objet de réflexion. «La société ambitionne d’adapter la culture et la pensée islamique à de nouveaux cadres plus dynamiques et plus à même d’être en adéquation avec les sociétés arabes d’aujourd’hui, ainsi que de jeter des passerelles avec les différentes cultures dans le monde actuel et préparer le terrain à une pensée éclairée.
Pour y arriver, le regard sur l’héritage religieux doit changer, dans la mesure où les nombreuses interprétations imposées ont conduit l’ensemble arabe et musulman à des impasses sociétales, culturelles et religieuses», développent en substance les fondateurs.
Mais pour les contempteurs, la présentation est une circonvolution déjà vue et usitée qui dissimule la volonté de semer le doute sur le corpus civilisationnel arabo-musulman aux fins de servir des agendas fomentés ailleurs.
L’épisode rappelle de nombreux autres qui, à travers l’histoire, ont vu se mobiliser les conservatismes contre toute tentative d’approche critique des legs religieux, du moins leur historicité. Les mouvements réformistes, même quand ils ont été portés par des théologiens de renom, ont dû, dès la fin du XIXe siècle, faire face à la véhémence de courants obsédés par la théorie du complot permanent contre l’islam dès qu’ils ont revendiqué la nécessité d’arrimer les sociétés musulmanes à leurs époques.
Le salafisme, dans son élan niant la dynamique de l’évolution humaine, est l’illustration la plus abrupte et la plus violente de ce repli de défense sur les fondamentaux, contre les «dangers» de la pensée innovante. Moins éloignées dans le temps, des expériences individuelles prônant la nécessité de repenser l’islam et son potentiel d’adaptation à la modernité n’ont pas, dans le meilleur des cas, dépassé les chaires d’université.
C’est le cas des travaux de l’islamologue et historien algérien Mohamed Arkoun qui se sont heurtés, selon ses propres dires, à «la censure officielle des Etats et la censure des mouvements islamistes».
L’intrusion de l’élément occidental dans l’équation, à travers la promotion idéologique et politique d’ouvrages et de campagnes de dénigrement islamophobes, participe également à noyer les initiatives sérieuses de libération de la pensée critique.
La chose est d’autant plus vraie aujourd’hui que la polarisation «civilisationnelle» induite par la guerre innommable que l’Occident couvre à Ghaza, inspire et justifie les replis les plus stériles et les plus dangereux.