Rencontre sur Cheikh Bachir El Ibrahimi à Constantine : La pensée du réformateur n’est pas assez étudiée

02/06/2024 mis à jour: 23:25
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Cette initiative a permis de souligner la nécessité d’une mise en valeur approfondie du vécu et de la pensée de ce grand philosophe qui a tant apporté à l’Algérie et au monde musulman.

Malgré ses idées réformistes et son engagement dans la Guerre de libération nationale, le parcours du savant Cheikh Bachir El Ibrahimi et ses travaux demeurent sous-étudiés dans les recherches post-indépendance. 

Cette réalité a été évoquée lors d’une rencontre scientifique organisée, jeudi 30 mai, à la Bibliothèque principale de lecture publique Mustapha Nettour de la ville de Constantine. Cet événement tenu à l’occasion de l’anniversaire de la disparition de Cheikh Bachir El Ibrahimi (décédé le 20 mai 1965 à Sétif), a réuni chercheurs universitaires, écrivains, artistes et citoyens. Intitulée «Cheikh Mohamed-Bachir El Ibrahimi : concepteur du mot et philosophe du sens», cette rencontre, initiée par le Dr Riadh Cherouana, chercheur en histoire, a permis de souligner la nécessité d’une mise en valeur approfondie du vécu et de la pensée de ce grand philosophe qui a tant apporté à l’Algérie et au monde musulman. Dans son intervention, Abderrezak Guessoum, ancien élève d’El Ibrahimi et ancien président de l’Association des oulémas musulmans, a soutenu que les contributions de ce «pilier intellectuel» transcendaient les barrières spatiales et temporelles. 

C’est pourquoi, il a plaidé pour une relecture approfondie de la pensée du Cheikh, soulignant qu’au-delà de son statut de réformateur, il était également un combattant engagé. Parmi les révélations faites par l’élève d’El Ibrahimi, il est à noter la publication d’un communiqué, un jour après le déclenchement de la Guerre de libération nationale, appelant au djihad ou au martyre, selon les documents consultés. 

De plus, il a signé un document adressé au souverain du Royaume d’Arabie saoudite pour la nomination d’un représentant arabe porte-parole de l’Algérie à l’ONU. M. Guessoum a déploré l’insuffisance de reconnaissance et d’études scientifiques accordées à cette personnalité hors du commun après l’indépendance. Malgré son statut de combattant, d’homme d’État et d’érudit de renommée mondiale, sa pensée a été négligée et occultée. 

Il estime que cette figure exceptionnelle porte en elle les marques du prodige et de l’admiration, et que ses paroles résonnent comme celles d’un sage. Les qualités et les caractéristiques de cette personnalité ont transcendé les frontières algériennes pour s’étendre à la dimension internationale et islamique humaine. 

En effet, il s’agissait d’un savant qui connaissait parfaitement la réalité du monde arabe, algérien et musulman, ainsi que les concepts de la région. Ses idées reposaient sur une maîtrise profonde des sciences de la jurisprudence, de la politique, des médias et de la philosophie dans toutes ses dimensions. 

M. Guessoum a souligné qu’El Ibrahimi était «un autodidacte et un génie qui n’a jamais fréquenté l’université ou le lycée, mais qui était doté d’une sagesse innée et surpassait les professeurs d’université».


Un remarquable prédicateur

Le conférencier a brossé le portrait d’une figure intellectuelle hors du commun qualifiant Cheikh Ibrahimi d’encyclopédie scientifique et de prédicateur hors pair. 

Ce dernier puisait sa pensée dans les profondeurs du Coran qu’il employait avec dextérité pour reformuler le discours religieux et redéfinir les principes fondamentaux de l’Islam. 

Ses qualités morales et psychologiques exceptionnelles, alliées à son ouverture d’esprit nourrie de la philosophie grecque, à son intuition aiguisée et à sa mémoire prodigieuse, lui ont permis de fonder une école de pensée profondément ancrée dans le patrimoine arabo-musulman, associant sagesse et raison dans l’analyse et l’éloquence linguistiques. Il s’opposait fermement au fanatisme aveugle des sectes et à certaines confréries religieuses. 

Le Cheikh s’illustrait également dans le domaine politique où son expertise était unanimement reconnue. Il prônait une action politique fondée sur des principes nationaux et civilisationnels, en opposition à toute forme d’exploitation des droits humains. 

Sa conviction était profonde : «La politique ne consiste pas à frapper sur la table, mais à construire et à édifier.» Abderrezak Guessoum a également abordé le militantisme d’El Ibrahimi pour l’indépendance de l’Algérie. Sa politisation et sa philosophie profonde le poussaient à rejeter catégoriquement le terme «d’intégrationnistes» et l’idée d’un «Islam de France». 

Il considérait ces notions comme des contraintes imposées et une association forcée de deux concepts incompatibles. Cette assimilation était jugée inacceptable par El Ibrahimi, tant pour la langue arabe que pour l’Islam qui ne saurait être associé à aucune autre caractéristique. Il illustrait cette incompatibilité par la comparaison de l’eau et de l’huile, deux éléments qui se séparent inévitablement. 

L’ancien président de l’Association des oulémas musulmans soulignait que le style d’écriture percutant d’El Ibrahimi, malgré sa simplicité, était accessible aux gens du commun qui le suivaient avec assiduité.                                              

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