Après des années de rupture de dialogue et de contacts entre l’Autorité palestinienne et l’entité israélienne, une rencontre «politico-sécuritaire» entre des représentants des deux parties a eu lieu, hier, dans la ville jordanienne d’Aqaba, pour examiner les moyens à mettre en œuvre pour apaiser les tensions suite aux violences meurtrières de ces dernières semaines dans les Territoires palestiniens occupés. La rencontre, qui regroupe des délégations sécuritaires palestinienne et israélienne conduites par le chef des services de renseignements palestiniens, Majed Faraj, et le chef de service de renseignement intérieur israélien (Shin Beth), Ronen Bar, est élargi aux responsables de sécurité égyptien et jordanien, ainsi qu’au coordinateur du Conseil national de sécurité américain pour le Moyen-Orient, Brett Mc Gurk. Les pourparlers visent à «renforcer la confiance» entre Israël et les Palestiniens et parvenir à des mesures d’accalmie, a indiqué à l’AFP un responsable du gouvernement jordanien ayant requis l’anonymat.
Cette rencontre intervient dans un contexte marqué par une grave escalade de la violence dans les Territoires palestiniens occupés avec les raids quasi quotidiens de l’armée israélienne contre les populations civiles, se soldant par de nombreuses victimes et de blessés. Alors qu’un consensus entre les différentes factions palestiniennes avait été scellé en octobre dernier, à la veille du Sommet de la Ligue des Etats arabes tenu à Alger, les 1er et 2 novembre 2022, pour l’intensification de la lutte armée contre l’occupant israélien, la rencontre entre Israéliens et Palestiniens, en Jordanie, risque de faire voler en éclats l’acquis historique d’Alger si l’on se fie aux premières réactions des formations politiques palestiniennes. En effet, si le parti Fatah du président palestinien, Mahmoud Abbas, a souscrit, sans surprise, à la décision de l’Autorité palestinienne de renouer le dialogue sécuritaire avec l’entité israélienne, il en va autrement pour les autres factions palestiniennes qui dénoncent, pour leur part, l’initiative avec la plus grande vigueur. «La décision d’assister à la réunion d’Aqaba, malgré la douleur et les massacres que le peuple palestinien subit, vient de la volonté de mettre un terme à l’effusion de sang», s’est justifié sur Twitter le parti Fatah. Le mouvement islamiste Hamas ne l’entend pas de la même oreille. Le parti d'Ismaël Haniyeh a condamné, dans un communiqué, avec des mots durs, la participation de l’Autorité palestinienne à cette réunion, considérant «cette rencontre avec les sionistes comme une rupture avec le consensus national palestinien, un mépris pour le sang des martyrs, une tentative ouverte de dissimuler les crimes de l’occupation et un feu vert pour commettre d’autres violations contre notre peuple, notre terre et nos lieux saints». Cette réaction de réprobation de la reprise du dialogue sécuritaire avec Israël du mouvement Hamas ne manquera certainement pas d’être appuyée par d’autres factions palestiniennes, et pas seulement celles qui ont des positions avant-gardistes dans la lutte pour l’indépendance de la Palestine. La mise en garde du mouvement Hamas sonne comme un sérieux avertissement à l’adresse de Mahmoud Abbas et à l’Autorité palestinienne qui viennent de porter un coup rude (fatal ?) à la réunification des factions palestiniennes scellée au prix de laborieuses tractations et l’action diplomatique active de pays, dont l’Algérie, les plus engagés dans le combat du peuple palestinien pour sa liberté et son indépendance. La participation à cette rencontre israélo-palestinienne décidée par l’Autorité palestinienne, sans le consensus inter-palestinien, est frappée de suspicion, quand on voit les parties conviées aux pourparlers. En dehors de l’entité sioniste et de l’Autorité palestinienne, les pays arabes «facilitateurs», l’Egypte et la Jordanie, conviés à cette initiative dite de «paix», destinée, affirment ses initiateurs, à restaurer le calme et à faire cesser les violences contre les Palestiniens, n’ont pas vocation à se poser en défenseurs de la conscience nationale palestinienne suite à la normalisation de leurs relations diplomatiques avec l’entité sioniste. La présence des Américains, parrains des accords d’Abraham, scellant la normalisation des relations entre certains pays arabes avec Israël, dont le Maroc, boucle la boucle et indique le cap fixé à cette rencontre, dont il ne faudra pas s’attendre à des décisions spectaculaires allant dans le sens des aspirations du peuple palestinien à la paix et l’indépendance. La disponibilité affichée par les dirigeants palestiniens de reprendre langue avec Israël vaut, pour la classe politique palestinienne qui refuse de s’associer à cette rencontre, absolution des crimes commis par Israël ces dernières semaines à Jenine, à Ghaza, en Cisjordanie, ainsi qu’à Al Qods occupée, avec les actes quotidiens de profanation de la mosquée d’Al Aqsa programmés avec la bénédiction du gouvernement israélien. L’«offre de paix» chimérique israélienne se fera fatalement, comme toujours, sur le dos des Palestiniens et risque de disculper Israël pour les crimes commis contre les populations civiles palestiniennes. En effet, alors que les démarches semblent bien évoluer au niveau de la Cour internationale de justice de La Haye, suite à la décision de la Cour d’enquêter sur les violences et les crimes israéliens contre les populations palestiniennes, cette rencontre sécuritaire israélo-palestinienne risque de porter ombrage aux appels des forces éprises de paix et de justice dans le monde qui œuvrent pour faire condamner Israël.
Pour rappel, l’accord inter-palestinien, signé à Alger mi-octobre 2022, par 14 factions palestiniennes, dont le Fatah et le mouvement Hamas, sous l'appellation de «la déclaration d’Alger pour l’unification des rangs palestiniens», avait suscité de grands espoirs au sein de l’opinion palestinienne après 15 années de luttes fratricides entre les factions palestiniennes. L’accord a consacré le principe visant à faire de la lutte pour la libération de la Palestine la première des priorités. Le document en neuf points met en exergue l’importance de l’unité nationale comme base de toute résistance à l’occupation, à même de réaliser les objectifs légitimes du peuple palestinien, tout en adoptant la voie du dialogue et de la concertation pour résoudre les différends sur la scène palestinienne, dans le but de permettre à tous d’adhérer à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), seul représentant légitime du peuple palestinien. Le moins que l’on puisse dire est que la décision de l’Autorité palestinienne d’agir, en solitaire, en renouant les contacts sécuritaires avec Israël avec pour seul soutien politique le mouvement du Fatah, va à contresens de l’esprit de «la déclaration d’Alger», qui a consacré le principe de la concertation, de la collégialité et du consensus national palestinien dans la prise de décision. Par ailleurs, l’interrogation demeure de savoir si la Ligue des Etats arabes, garante de la mise en œuvre de l’accord inter-palestinien d’Alger, a été associée à cette initiative ? Difficile de l’admettre quand on sait que l’Algérie, dont les positions historiques sur la question palestinienne sont connues de tous, assure la présidence en exercice du Sommet arabe pour l’année 2023. Au cours de ces dernières semaines, Mahmoud Abbas a eu à rencontrer plusieurs émissaires américains en périple dans la région. Le président de l’Autorité palestinienne a-t-il cédé aux pressions américaines ?