Rencontre avec le romancier Yasmina Khadra : «Je promets d'être présent au prochain Salon international du livre d’Alger»

14/05/2022 mis à jour: 02:45
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Le célèbre auteur algérien Yasmina Khadra

Le romancier algérien Yasmina Khadra s’est livré en toute transparence, dernièrement, via une rencontre digitale au club Hope Buds, créé  par les étudiants en écologie de l’université de Bab Ezzouar à Alger.

En effet, un Budscast spécial hors-série a permis d’accueillir le romancier Yasmina Khadra pour faire un petit tour d’horizon sur le parcours de cet auteur d’exception en passant par son rapport avec l’écriture et par ses aspirations. 

Si Mohammed Moulessehoul, alias Yasmina Khadra a le don de tenir ses lecteurs en haleine jusqu’aux dernières pages de ses romans, il est des plus éloquents dans il prend la parole. Il s’est prêté au jeu des questions des deux étudiantes intervenantes en toute sincérité. Yasmina Khadra fait un bref rappel de son parcours. Il est né à Kenadsa, à Béchar. Il a passé toute sa vie en Algérie jusqu’à l’âge de 45 ans. Il a fait l’école des cadets de Tlemcen en 1964 et celle de Koléa en 1968. 

Après le baccalauréat, il s’est inscrit à l’académie de Cherchell pour en ressortir en 1978 en tant qu’officier. Il a passé toute sa carrière dans les unités de combat et de l’état-major. Il dit fièrement qu’il a commencé à écrire à l’âge de 11 ans. Et depuis, il ne s’est jamais arrêté. Il écrit tout le temps, surtout à Paris où il s’ennuie à mourir, c’est du moins, ce qu’il soutient.

Localisation d’un talent

Comment Yasmina Khadra a-t-il découvert sa passion pour l’écriture ? Il estime que chaque être humain vient au monde avec un talent caché et c’est à lui d’essayer de le localiser, d’y croire et de l’aider à sortir. Il est convaincu qu’il est né pour écrire. Il a écrit sa première nouvelle à l’âge de 17 ans et il a publié son premier recueil de nouvelles Houria aux éditions Enal en 1984 à Alger. 

A la même année, il sort à Paris à compte d’auteur un autre recueil de nouvelles Amen. Puis, il a continué à écrire pendant longtemps alors qu’il était dans l’armée algérienne. Ses premiers livres sont édités de 1984 à 1989. 

Ces six premiers romans sont signés sous son propre nom Mohammed Bouselhoum. «J’étais soumis à ce comité de censure au niveau de l’armée. Pour échapper au comité de censure, j’ai utilisé différents pseudonymes. Pendant onze années, j’ai écrit dans la clandestinité jusqu’en 1997 où j’ai écrit  Morituri sous le pseudonyme de Yasmina Khadra. 

Le succès, rencontre bizarre

Pour le romancier Yasmina Khadra, le succès est une rencontre assez bizarre. On peut ne pas s’y attendre du tout. 

Et puis, d’un seul coup, il est là mais de l’avis de notre interlocuteur, le problème, c’est comment le garder. Il a commencé par écrire des romans policiers, tels que  Morituri et L’automne des chimères. Des livres qui l’ont fait découvrir en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne. 

Comme il l’explique si bien, par la suite, «J’ai décidé de mériter l’intérêt que porte mes lecteurs et j’ai continué à écrire. C’est du travail. Ce n’est pas du hasard. Ce n’est pas non plus toujours de la chance. On a peut-être au départ de la chance d’être tout de suite repéré par les médias et par les lecteurs mais par la suite, il faut mériter cet intérêt. Et pour le mériter, il faut beaucoup travailler. Je suis quelqu’un qui aime beaucoup les livres et qui croit au livre. Je crois aussi à la culture, car la culture est le meilleur visage qu’une nation puisse donner au monde». 

Yasmina Khadra avoue qu’il est né dans famille qui ne lisait pas. Son père, qui avait rejoint l’armée de Libération nationale en 1956, était un homme à tout faire. Il se débrouillait pour nourrir sa famille. Après l’indépendance, le romancier se souvient qu’il n’avait pas vu beaucoup de livres à la maison. Un jour un de ses oncles est arrivé de Béchar pour vivre avec la famille Moulessehoul à Oran. 

«Cet oncle était un boulimique de livres. Il adorait lire. Il avait des cartons de livres. Je pense qu’il lisait trois ou quatre livres par semaine. C’est lui qui m’a montré un tout petit peu la voie. Je me suis aperçu que le livre pouvait intéresser, même squatté l’esprit des lecteurs mais d’une manière assez intelligente et instructive. Cette fibre était en moi dans mes veines et dans mes gènes, car je considère que j’ai hérité cela de mes ancêtres qui étaient tous des poètes sans exception ou bien des érudits. J’ai développé et j’ai cru en cette vocation.»

Yasmina Khadra est un romancier ayant opté pour la fiction. Il a inventé un univers avec des personnages, un style, une ambiance et un rythme propre à lui. 

Il reconnaît que quand il voulait parler de lui, il sortait de la fiction. Il a d’ailleurs écrit quatre livres pour essayer d’expliquer l’homme qu’il incarne. Il explique que beaucoup de gens se posent des questions à son sujet en voulant savoir qui est derrière cet écrivain. 

«J’ai écrit quatre livres, dont L’imposture des mots et Ce que le mirage doit à l’oasis en espérant de cette manière que les gens s’attardent sur ce que j’écris. Je pense que ce n’est pas un hasard si un écrivain algérien est dans le monde entier. Je ne suis ni dans le lobby ni dans les réseaux. Je suis complètement seul dans mon combat. J’ai essayé de dire qui j’étais», mentionne t-il. 

Création d’un univers

Pour notre brillant romancier, l’inspiration est dans la nature humaine. Se référant à sa propre expérience, il indique quand il se lance dans l’écriture, il essaye de répondre aux interrogations qui le perturbe, des choses qui lui échappent ou peut-être des personnages qu’il voulait connaître un peu plus. 

«J’ai créé un univers et je convoque tout ce qui m’échappait pour essayer de les cerner, pour les comprendre, pour remonter aux sources pour ce qui a fait d’eux des éléments importants pour moi. Quand j’ai voulu comprendre la guerre en Irak, j’ai écrit  Les Sirènes de Bagdad. Quand j’ai voulu comprendre la condition de la femme en Afghanistan, j’ai écrit Les Hirondelles de Kaboul. Quand j’ai voulu comprendre qu’est-ce qui se passait dans la tête d’un tyran, j’ai écrit  La Dernière Nuit des Rais», argumente-t-il.

Tous ses romans ne s’inspirent pas d’histoires vraies, sauf les quatre romans qui parlent de sa vie et son dernier roman Pour l’amour d’Elena publié en 2011. Il note qu’il préfère confier son inspiration à la fiction parce qu’il se sent maître de son texte. Il essaye de faire en sorte que cette fiction soit crédible. Mais comme il le nuance si bien «pour être crédible et fiable, il faudrait qu’elle porte en elle un socle de réalité».

Quatre des romans de Yasmina Khadra ont été adaptés au cinéma Les Hirondelles de Kaboul, L’attentat, Ce que le jour doit à la nuit et  Morituri. Mai il trouve qu’aucun de ses films n’a battu le record de ses romans. 

«Je suis content de voir que mes livres ont une large audience que mes films sauf qu’il faudrait dire, c’est que je serais toujours redevable aux cinéastes qui adaptent mes romans. Il y a des gens qui ne lisent pas et qui ont un accès plus facile au cinéma qu’au livre. On attend, d’ailleurs, l’adaptation sur Neflix de L’Attentat. Par ailleurs, il est important de préciser qu’Il y a une douzaine de livres traduits sans l’achat du copyright.»

Autre question posée : pourquoi le romancier a brillé par son absence lors de la tenue en mars dernier du 25e Salon international du livre d’Alger ? Le conférencier informe que les gens l’invitent toujours une année avant un événement donné. Toujours selon ses dires, en Algérie, on l’invite un mois ou deux mois avant l’événement. C’est trop tard parce car son agenda est extrêmement chargé. 

«Je ne pouvais pas décevoir les gens qui pendant une année ont préparé ma visite. C’est pour cela que je ne suis pas venu au 25e Sila. On m’a invité peut-être 48 heures avant l’inauguration de la manifestation. La ministre souhaitait me voir au salon mais c’était trop tard. Cependant, je promets d’être présent la prochaine fois avec un superbe livre Les vertueux  qui sortira le 24 août prochain simultanément à Paris et à Alger aux éditions Casbah.» 

Il soutient que les Algériens seront toujours à jour avec lui. Il ne veut pas qu’ils restent à la traîne. Il faut qu’ils bénéficient le même jour de tous les égards que lui portent les Français, Suisses ou encore les Belges. 

Yasmina Khadra n’a pas pour habitude de faire de la publicité pour ses romans, mais il préconise à ses lecteurs de ne laisser personne leur résumer ce livre car «il est tellement plein de rebondissement qu’il vous gâcherait toutes les surprises. C’est le plus beau texte que j’ai écrit de toute ma vie. Je suis tellement fier de ce texte. Allez-y les yeux fermés. C’est un livre qui ne se raconte pas mais qui se découvre par chaque lectrice et lecteur. J’ai mis trois ans pour l’écrire. Il y a plus de 500 pages mais il se lit comme un petit livre. J’ai travaillé le rythme et l’ambiance. Cela coule comme de l’eau de source», conseille t-il.

Son roman Ce que le jour doit à la nuit, publié en 2008 a été son plus grand succès au Canada, en France, en Belgique, en Roumanie et au Japon. Mais dans les autres pays, c’est plutôt, L’Attentat, édité en 2005, qui a été le mieux accueilli.

Otage de son inspiration

Sur le registre de l’écriture, Yasmina Khadra atteste que quand il commence à écrire, il ne s’arrête pas. Il n’ai pas de recul. Il confesse qu’il est admiratif devant les écrivains qui ont un rituel d’écriture et une discipline. 

«Ils sont maîtres de leur temps. Moi, je n’ai pas cette souveraineté sur le temps. Je suis l’otage de mon inspiration. Cette dernière me malmène et me prend le temps qu’elle veut. J’écris d’abord tout après quand j’ai terminé, je laisse mariner. Je reprends mon texte et je le retravaille jusqu’à être satisfait. J’ai trois ou quatre livres que je n’ai pas publiés car je ne suis pas satisfait de mes écris. Je n’aime pas céder à la facilité. Je cherche à aller jusqu’au bout pour donner le meilleur de moi-même.»

Pour l’orateur, aujourd’hui, le talent n’est plus un critère véritable. Il y a plusieurs paramètres et barèmes qui n’ont rien à voir avec la qualité d’un ouvrage. Aujourd’hui, on peut faire d’un écrivain tout juste moyen un génie. On peut aussi ramener un génie à un charlatan.

Yasmina Khadra croit en la jeunesse algérienne. Il lui demande de ne jamais baisser les bras et de ne pas se laisser abattre. «Nous traversons des moments très difficiles qui sont désolants et navrants pour un pays qui a tellement souffert. Je lui souhaite d’accéder à ses ambitions les plus légitimes. Je suis triste car j’aurais aimé être un magicien et faire le bonheur des Algériens mais je n’en suis pas un. Aucun prophète ne peut faire le bonheur du monde. Le bonheur relève des cœurs qui se sont focalisés. Il n’y a pas d’avenir pour les Algériens ailleurs. Ils sont malheureux. Il n’y a pas plus beau que leur pays natal. »

Pour les jeunes qui veulent se lancer dans l’écriture, le romancier leur donne de précieux conseils. Il leur demande de ne pas trop compter sur la littérature. Celle-ci ne nourrit pas son homme. «S’ils veulent écrire dans la sérénité et développer cette vocation avec le temps et la rendre tangible, il faut qu’il ait un métier à côté. Il ne faut pas aussi passer son temps à critiquer les autres», tonne t-il.

En guise de conclusion, Yasmina Khadra rappelle qu’outre la sortie en août prochain de son nouveau roman Les Vertueux, un autre roman est attendu pour l’année prochaine. 

Après ces deux sorties, il compte bien faire un break pour se reposer et se ressourcer «après un parcours tourmenté de victoire au milieu d’un tsunami de déboires et déconvenue. Je suis content de dire d’arrêter un certain temps».

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