Regards/ Festival d’Annaba, Entre mer et dessert (sucré)

28/04/2024 mis à jour: 19:26
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Après plusieurs années d’absence, le Festival méditerranéen a rouvert ses portes pour une quatrième édition en paillettes, stars, tapis rouges, voitures noires et publics et films en compétition. A Annaba, vraie ville méditerranéenne qui a de vrais problèmes. 

Contrairement à Oran, Béjaïa ou Alger, on peut à Annaba aller à la plage à pied, ce qui fait de la ville une vraie cité marine. Non, le réalisateur italien, dont le film a fait l’ouverture du festival, Nanni Moretti, n’est pas venu, pas même à Moretti. 

Mais c’est de la géographie et c’est toujours du quartier populaire de Sidi Salem que les harragas vont encore en Italie, pays à qui la 4e édition du Festival méditerranéen d’Annaba a tenu à rendre hommage. 

On pourrait penser qu’à Oran, il faudrait faire un festival en hommage au cinéma espagnol, ou à Tamanrasset, un hommage au Maliens ou Nigériens, mais ce n’est pas le propos, au bas de la vieille ville délabrée, les tapis rouges avec en fond sur les ruines de la Place d’armes, l’éternel débat : «Je ne suis pas contre le cinéma, bien au contraire, je ne peux m’endormir le soir sans voir un film, sur le téléviseur, mon PC ou mon portable, mais cet argent n’aurait-il pas dû aller d’abord au moins à la restauration du quartier historique de la ville ?» Un autre lui répond : «Tu mélanges tout, ce n’est pas le même argent, le festival, c’est l’argent de la culture, la ville, c’est celui de la wilaya.» 

Un festival ? Oui, c’est important, et le public, venu nombreux voir ses stars, a joué le jeu. Oui encore 95 millions de dinars de budget et les attaques des islamo-conservateurs sur les réseaux sociaux comme à chaque événement culturel, et donc ? Le Premier ministre anglais Winston Churchill à qui on demandait en pleine guerre contre les nazis qui étaient en pleins autodafés contre-culturels de baisser le budget de la culture pour renforcer celui de l’armement, avait simplement répondu : si je fais ça, alors pourquoi nous battons-nous ? Reste un point à régler, un festival à Annaba alors que toutes les salles de cinéma de la ville sont fermées et délabrées ? C’était la première question. 


Le Cours maqfoul

Mercredi matin, alors que la circulation de 9 heures était en pleine crise, la nouvelle tombait ; le Cours de la Révolution, fameuse artère centrale d’Annaba, est fermé. Les Annabis réalisent qu’il se passe quelque chose, un festival pour cette ville oubliée, reléguée à l’extrême-est du pays. Au Théâtre Azzedine Medjoubi qui fait face à la librairie Amar Laskri, le cinéaste de la ville qui a aidé à fonder l’évènement, la pluie cessant, le froid a enveloppé le soir, les retards se sont accumulés et la foule s’impatiente. Mais elle tient bon, la délégation ministérielle arrive enfin et l’officiel commence. Flashs, cérémonials, postures et karakos, le Cours de la Révolution s’illumine dans une cohue organisée. Vers un avenir radieux est le titre du film de Nanni Moretti diffusé en ouverture qui explore le cinéma à travers une réflexion sur le 7e art de sa naissance à aujourd’hui.

 Avec cette question que l’on se pose à la sortie, le cinéma algérien ressemble-t-il au cinéma italien comme l’affirme la régulière légende ? A voir, de toutes façons selon Vittorio de Sica, même le cinéma italien ne ressemble plus au cinéma italien, qui «s’est arrêté le jour où les réalisateurs ont arrêté de prendre le bus». Bref, Annaba, c’est tapis rouge et voitures noires comme dans tous les grands festivals, stars et paillettes avec Hichem Mesbah et Mohamed Rghis en duo complice qui font l’animation, l’un en costume crevette gambas, l’autre tout en noir pour le contraste, entourant les arrivées des comédiens, très classe, et des comédiennes très belles. 

La foule autour tente de s’approcher, elle cherche ses idoles et prend des photos. Annaba, c’est un festival, c’est-à-dire des réalisateurs qui rencontrent des producteurs qui rencontrent des distributeurs qui rencontrent des comédiens et surtout un public qui rencontre, ou plutôt aperçoit, ses stars. Rachid Benallal, chef monteur historique et comédien auquel le festival rend un hommage officiel en ouverture de cérémonie, résume la situation cinématographique : «Ni italien, ni turc, ni iranien, le cinéma algérien doit être un cinéma miroir qui s’autoréférence, se regarde et dans lequel le public s’identifie.» Point. Va-t-on vers un avenir radieux ? C’était la deuxième question. 

Les longs et les documentaires, on pourra toujours les voir ailleurs, au cinéma, à la télévision ou sur Internet. Les courts, par contre, s’insèrent sinueusement dans les festivals et disparaissent comme un flash de paparazzi. C’est ce qu’il faut voir, les courts en compétition hommage à Amar Laskri, avec deux courts algériens pour cette cuvée 2024, La nuit de Abed, de Anis Djaad (2022), mais surtout Moins 1 du jeune Hamza Shoutri, filmé par Mohamed Tayeb Laggoune alias Hamoudi laggoune avec des images expérimentales pour un film expérimental sur des expériences de mécanique quantique à Annaba, pour un exil à l’envers. 

Avec Niels Bohr, une puce de téléphone et une batterie de voiture, un étudiant en électronique industrielle très bien joué par Amine Khababa, coincé dans l’époque Ouyahia, repris dans le film : «Nos décisions sont justes et bonnes», se trompe de formule (d’où le moins 1, le terme qui manque) et au lieu de se téléporter à Berlin se retrouve dans le désert à Tin Zaouatin. «Le monde n’est que perception, si notre perception change, le monde change», lui explique son professeur. Entre mer et désert, entre Sidi Salem et Saint Augustin, il manque un terme, et à Annaba, où le film a été tourné, il n’y a pas une maison sans un harraga. Oui, la compétition est en hommage à Amar Laskri, un peu court pour celui qui a réalisé des longs métrages. Tout n’est que perception. 


Théâtre on, théâtre off

C’est le cœur du festival, tout autour de du théâtre du Cours, la jeunesse est bien venue acclamer les stars, comme Franso, alias Sofiane Zermani, rappeur et réalisateur, venu pour le film Avant que les flammes ne s’éteignent, diffusé à Annaba, Khaled Benaïssa, Souhila Maalem, Yahia Mouzahem, Ali Namous, Aziz Boukrouni, Djafer Gacem, Idir Benaïbouche et autres célébrités tirées à 4 épingles, rencontrant leur public. 

Et en off, dans les coulisses comme tout bon festival, on retrouvera Samy Lamouti, jeune spécialiste en effets spéciaux, sorti de l’école des arts graphiques d’Alger pour rejoindre Hollywood et participer à Blade Runner, King Arthur ou Docteur Strange et qui veut monter en Algérie un studio pour artistes VFX spécialisés dans le cinéma. Abderrahmane Harat, vidéaste, photographe et surtout filmmaker personnel de Christiano Ronaldo qui vient de terminer une doc-série pour Netflix sur le club saoudien Al Nassr.

 A la limite du cinéma, dans un mélange de stars de la télévision avec celles du cinéma, même si souvent les premières sont aussi les secondes, on croisera tous les profils, du pique-assiette professionnel au talentueux cinéaste, un peu de tout, comme Kader Japonais, encore une star des selfies, ou Numidia Lezoul, qui s’est fait très discrète, probablement à cause des milliards d’attaques qu’elle subit sur les réseaux sociaux, et à qui on n’a pas pu demander, «peut-on influencer une influenceuse ?» C’était la question à poser. 


Qui sont les pires, les journalistes ou les comédiens ? 

A l’algérienne, le premier jour est toujours désorganisé, retards, confusions, horaires aléatoires et absence de communication précise, stars en perdition sans accueil, mais se réorganise lentement à partir du deuxième. 

A tel point qu’«il faudrait supprimer le premier jour de tous les évènements nationaux et commencer le 2e jour», résume en riant un chargé de communication du festival qui a évidemment tenu à garder l’anonymat. Le premier jour, tout le monde attendait le programme, imprimé à Alger, alors qu’il aurait été plus simple de l’imprimer localement. 

Oui, des couacs et des clics, des comédiens caractériels et des journalistes méchants, il y a de tout, car en grec ancien, comédien se dit hypocritos, et Saint Augustin enfant d’Annaba l’avait souligné : «Les hypocrites sont des simulateurs, ils parlent le langage d’un autre comme au théâtre.» Mais on a oublié l’essentiel, qu’est-ce qu’ un bon film ? La question qui tue et à laquelle personne n’aime répondre et qui n’a d’ailleurs pas de réponse. 

A part peut-être pour Nuri Bilge Ceylan, le fameux réalisateur turc présent à Annaba : «C’est un film que l’on peut voir plusieurs fois, même si on ne l’a pas aimé à la première.» Après plusieurs années d’absence, c’est la quatrième édition du festival d’Annaba. Il en faut une cinquième. Mais c’est quoi le cinéma algérien ? C’était la dernière question.
 

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