Réédition de Meriem dans les Palmes de Mohamed Ould Cheikh : Un auteur emblématique de la littérature algérienne sous régime colonial

04/01/2022 mis à jour: 00:30
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Le roman Meriem dans les palmes, une œuvre éditée en 1936 et rééditée en 1982 à l’OPU à l’initiative d’Ahmed Lanasri qui lui a consacré sa thèse de doctorat / Photo : D. R.

Mohamed Ould Cheikh, essentiellement connu pour son Khaled, le Samson algérien, un durable succès au théâtre entre les années 1930 et 1950, est revenu cette semaine à l’actualité. Qui était cet auteur dont l’œuvre a sonné en 1936 le glas d’un théâtre francophone qualifié d’assimilationniste ?

Son neveu, Moradj Agha, vient de republier son roman Meriem dans les palmes, une œuvre éditée en 1936 et rééditée en 1982 à l’OPU à l’initiative d’Ahmed Lanasri qui lui a consacré sa thèse de doctorat. Moradj, médecin à la retraite, a en plus effectué la traduction de Meriem en langue arabe. Et suivant les traces de son oncle maternel, il a édité son premier opus en langue arabe sous le titre de Joukat el farachat.

La bibliothèque centrale de lecture publique de Témouchent lui a ouvert son espace pour une vente dédicace des trois ouvrages. Dans sa présentation d’Ould Cheikh, Moradj Agha a levé une équivoque quant à l’identité réelle d’Ould Cheikh en démentant l’assertion le reliant aux Ouled Sidi Cheikh, une méprise née chez les annalistes en raison de son nom d’auteur : Ould Cheikh.

En fait, son nom patronymique est Agha. Né à Béchar en 1937, trois années après l’occupation de la ville par les forces coloniales, ce fils de Bachagha était introduit et admis au sein de la communauté européenne à l’instar de l’élite intellectuelle qui, dans le nord du pays, a produit la dite littérature de l’assimilation et dont les premiers écrits romanesques remontent à la fin du XIXe siècle.

A cet égard, dans une étude (Auteurs algériens de langue française de la période coloniale : Dictionnaire biographique) Abdellali Merdaci a inventorié 57 textes de fiction, dont 21 romans, parus entre 1891 et 1949.

Littérature et droit à la citoyenneté

La question se pose de savoir ce qui a poussé des auteurs «indigènes» à écrire des romans et des pièces de théâtre dans la langue de l’occupant, sachant l’inexistence d’un lectorat ou d’un public parmi leurs coreligionnaires.

C’est que tout simplement ils ne s’adressaient pas à ces derniers mais plutôt à la communauté européenne et à l’opinion pour faire la démonstration de son assimilabilité niée par la Colonie au motif avec une identité culturelle et cultuelle jugées incompatibles avec l’accès à la citoyenneté française.

De la sorte, cette élite musulmane, issue de la petite bourgeoisie, a constitué l’embryon d’un mouvement national balbutiant par son engagement dans le combat pacifique contre le monstrueux code de l’Indigénat auquel leur communauté était soumise. La grande revendication était le droit à la naturalisation couplée avec la reconnaissance des mêmes droits civiques que la communauté européenne sans remise en cause du statut personnel lié à l’identité arabo-musulmane.

Dans cette littérature de légitimation du droit à la citoyenneté, l’on relève deux pôles contradictoires, à savoir l’éloge à la civilisation occidentale et la volonté de préservation de l’identité indigène. Mais les espoirs en l’assimilation vont s’évaporer à force d’être déçu. A titre indicatif, la langue arabe est officiellement déclarée langue étrangère en 1935 puis interdite d’enseignement en 1938.

En août 1936, un premier congrès musulman réunit toutes les tendances du mouvement national. Messali Hadj y clame la revendication de l’indépendance. Cette aspiration va gagner du terrain. Le changement dans les esprits s’observe de façon remarquable chez Mohamed Ould Cheikh qui, en 1936, confie Khaled, le Samson algérien à Mahieddine Bachetarzi pour la traduire en darja et la monter, ce qui s’est produit en 1937. Il ne s’adresse plus à la société des Européens mais aux siens.

De même, Salah Bousseloua, l’auteur de Le joueur, l’a fait traduire et a été jouée en darja en 1944. Fait notable, la désintégration du courant assimilationniste est scellée par l’adoption du Manifeste du peuple algérien le 10 février 1943. Mais fait plus symptomatique au théâtre, il ne s’écrit plus de pièces après 1936. Il faut attendre 1954 pour que des auteurs algériens se mettent à écrire pour le théâtre. Au regard de son répertoire, on peut qualifier ce répertoire, soit 18 œuvres, de celui de la clarification.

Comme son prédécesseur, il s’adresse à l’opinion publique française, mais cette fois pour traduire l’horreur de la situation coloniale. Dans l’œuvre d’Ould Cheikh, le thème du couple mixte est récurrent. Il est allégorique sur la question de l’identité. La plus emblématique est celle imaginée dans son roman, Mériem dans les palmes paru en 1936.

Son dénouement accomplit le triomphe de l’identité algérienne et de l’impossible assimilation : Khadija est mariée à un officier français. Son couple bat de l’aile en raison du surgissement de l’antagonisme des cultures à la naissance des enfants. La mère finit par gagner ses enfants à leur part d’identité autochtone au détriment de celle de leur père qui décède.

Dans Khaled, le Samson algérien, demeurée à ce jour inédite, c’est également l’illustration du divorce entre les communautés musulmanes et européennes.

Dans ses Mémoires, Bachetarzi évoque cette pièce non sans dithyrambe : «Il y avait là un talent manifeste. Il y avait aussi toute la passion, toute l’indignation d’un jeune musulman qui jaugeait à sa juste valeur le paternalisme qui nous engluait. Mais cette passion s’exprimait d’une manière trop violente pour que nous n’allions pas tout droit nous casser le nez sur une interdiction. Comme il me demandait de me charger de la traduction, je lui ai fait accepter en même temps des adoucissements. Le résultat sauvegardait assez bien la pensée de l’auteur sans donner trop de prise à la censure.» Comédie en quatre actes et trois tableaux, elle obtint un franc succès auprès du public comme de la critique.

Littérature et revendication nationaliste

Elle avait connu un succès considérable auprès du public et de la critique et avait été reprise en 1947 pour, insigne reconnaissance de ses qualités, inaugurer la saison de théâtre arabe qui venait d’être instituée à l’Opéra d’Alger, l’actuel TNA. Dans son édition du 21 octobre, Alger Républicain la qualifie d’«amusante satire de multiples questions qui passionnent le public musulman : politique, colonisation, mariage, religion (…)».

Alger-Soir du 22 octobre note que bien que l’action est supposée se dérouler en 1926 dans le Sud oranais, elle est d’une brûlante actualité. Pour l’Egalité (24 octobre), c’est «une pièce à thèse dont les personnages traduisent avec une fidélité parfaite les caractères et les types les plus courants de l’humanité algérienne. Elle évoque le conflit entre certaines coutumes locales et les conséquences de l’évolution des mœurs. Mais ce n’est point là que réside la valeur de cet essai. Khaled vaut surtout par la solidité des caractères et la finesse de l’observation.» Jugée subversive par rapport au contexte politique d’après 1945, elle est interdite de représentation.

Elle est reprise une dernière fois pour commémorer l’anniversaire de la mort d’Ould Cheikh en 1951. Mohamed Dib écrit à son propos le 12 décembre dans Alger Républicain : «On peut considérer cette pièce comme une étape nouvelle dans le théâtre d’expression arabe. Le public de vendredi dernier manifesta son intérêt sans relâche. (…) De quoi s’agit-il ? D’événements, de préoccupations, qui touchent l’ensemble d’entre nous. La pièce va droit au cœur du spectateur. On peut relever, certes, une construction assez malhabile : l’action bascule dans une histoire sentimentale qui s’imbrique mal dans l’ensemble. Mais telle quelle, c’est un progrès certain, nous aimerions en voir d’autres.»  

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