Ramadhan 2024 : Mobilisation à tous les étages !

12/03/2024 mis à jour: 18:19
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Le Ramadhan est là et, à entendre le ministre du Commerce et de la Promotion des exportations, «toutes les dispositions ont été arrêtées afin d’éviter une quelconque perturbation dans l’approvisionnement du marché, notamment en ce qui concerne les produits de large consommation, à travers une approche participative et consultative regroupant les différentes divisions productives, les gestionnaires des marchés de gros des légumes et des fruits et les associations professionnelles de commerçants». 

La priorité est donc de garantir la disponibilité des produits alimentaires très consommés durant le Ramadhan. Ainsi, la production de la semoule a été augmentée de 20% et celle de l’huile de table est passée de 1800 tonnes à 4000 tonnes par jour. Pour lutter contre la spéculation, il a été décidé de déstocker 106 000 tonnes de pommes de terre, 30 000 tonnes d’oignons, 10 000 tonnes d’ails et plus de 300 000 tonnes de sucre brut. Et d’importer 110 000 tonnes de viande rouge, au lieu des 20 000 tonnes habituelles. 

De la viande qui sera vendue 1200 dinars le kilo dans les points de vente étatiques, contre jusqu’à 2500 dinars chez le boucher. De ce qui précède, les pouvoirs publics mettent les bouchées doubles pour contrôler la hausse des prix et concrétiser les mesures retenues dans le plan d’action d’approvisionnement du marché national de produits de base, qui a commencé à être mis en place dès le mois de décembre dernier.
 

De quoi tempérer (ou pas) l’ardeur consumériste des ménages !

Les ménages algériens consacrent en moyenne annuellement 42% de leur budget de consommation à l’alimentation, selon l’Office national des statistiques (ONS). Mais durant le Ramadhan, environ 60% du revenu du ménage partent dans des achats liés au mois sacré, essentiellement de la nourriture ; pourtant, de nombreuses familles algériennes vivent avec un salaire qui ne leur permet pas d’excès. Mais au moment du «ftor», partagé en famille ou entre amis, la table se doit d’être remplie de plats aussi variés et copieux que dispendieux.
 

Le jeûne, c’est vrai, encourage le sacrifice et l’empathie envers le prochain, mais qui n’a pas eu à déplorer les écarts comportementaux et le changement de ton et d’habitudes des gens, en ce mois précis ? Les Algériens, de toutes les régions du pays, sont enclins à dépenser spécialement pendant cette période, au-delà de leurs moyens et à stocker toutes sortes de produits en prévision, disent-ils, du Ramadhan. Bon an, mal an, il s’ensuit un gâchis incroyable, sans compter les incontournables hausses de l’ensemble des prix. 

Le Ramadhan fait ressortir les habitudes comportementales négatives, comme celles liées à la frénésie des achats. Un expert les attribue à «des facteurs psychologiques» qui incitent les jeûneurs à imiter leurs congénères de façon irréfléchie, indépendamment de leurs moyens. Certaines familles acceptent «les règles du jeu», considérant les dépenses comme incompressibles, même si comme on dit : «Après la fête, on se gratte la tête» ; ou pour rester dans l’esprit du Ramadhan : «Dieu y pourvoira» ! 
 

Ce bouleversement du rituel domestique a un coût bien sûr

Il en est ainsi du rendement collectif, dans les administrations et les entreprises avec le florilège des employés qui somnolent où qui sont peu disposés à accélérer les cadences ; les retards, les absences y compris des responsables, sans parler des visages ternes et de la nervosité à fleur de peau des automobilistes et des piétons également qui complètent le décor de ce mois de Ramadhan, où tout le monde est censé pourtant faire preuve de discipline et d’endurance. 

La baisse de rythme est à observer dans tous les secteurs d’activités ou presque, si l’on exclut les pâtissiers et autres boulangers qui font leur chiffre d’affaires pendant ce mois, sans oublier les cafés et autres tripots clandestins où l’on s’adonne à des parties de cartes aussi interminables que prohibées pour certaines d’entre elles. Mais si l’abstinence, observée du lever au coucher du soleil, n’est pas accompagnée d’une attitude morale exemplaire, le jeûne du Ramadhan perdrait tout son sens. 

C’est malheureusement le constat de ce qu’on est bien obligé de faire en Algérie et dans l’ensemble des pays musulmans, avec cependant quelques nuances, relevées par les observateurs, concernant certains pays d’Asie, où le mois du jeûne est appliqué dans ses moindres prescriptions. 

En Algérie, on prend une semaine pour préparer le Ramadhan, une autre pour récupérer de la fatigue du jeûne, quitte à paralyser l’activité économique et commerciale du pays et, enfin, le mois de congé annuel.
 

Au total, deux mois et demi de vacances ! Dans un pays frappé par la baisse de ses revenus conséquemment à la crise pétrolière, même si le baril de pétrole a repris des couleurs, crise ukrainienne oblige ! L’activité économique baisse, le laisser-aller s’installe et le mois d’abstinence, de spiritualité et de paix intérieure se transforme en mois de tous les excès, dès le coucher du soleil. Gaspillage, baisse de productivité et absentéisme, dans une totale impunité, accompagnent la bigoterie de façade affichée par de nombreux jeûneurs !

Dans ce cas-là, quel sens donner à ce mois exceptionnel ? Sommes-nous assez préparés pour relever ses défis ? Cette baisse de régime, relève-t-elle d’une impression subjective ? Y a-t-il une attitude sociale, un fait accompli qui banalisent et rendent acceptables tous ces comportements «ramadanesques» comme, par exemple, le fameux «Revenez après le Ramadhan !» ? Le mois de Ramadhan, avec toute sa spiritualité et tous ses bienfaits sur le corps humain, peut-il être pris, en définitive, comme prétexte pour excuser un quelconque relâchement de l’effort et le 

 

Ralentissement de la marche du pays ?

L’abstinence, l’absence de cigarette ou du café sont-ils des excuses pour lever le pied ?
Et la baisse de régime et de l’effort, des fatalités à mettre sur le dos de ce mois sacré ?

La cupidité des spéculateurs, faudrait-il en parler ?

Ceux-là ne se rendent pas compte qu’à trop pénaliser leurs semblables par la rapine qu’ils développent, ils risquent de martyriser leurs propres enfants sans crier gare ; tous les prix des produits alimentaires prennent une tangente ascendante pour prouver qu’une culture et un esprit délétères font mieux que persister. 

L’état des lieux démontre une contradiction évidente entre des citoyens sensibles aux difficultés du cours des jours et des spéculateurs aveugles et avides ne se rendant pas compte que leur déraison est aussi creusée des tombes de leurs familles. La volonté et les décisions gouvernementales ne serviraient à rien si les chaînons chargés de leur application gardent les bras croisés par un incompétence ou par indolence et n’évaluant pas le poids de leurs lourdes responsabilités.

Depuis au moins 20 ans, voire plus, les pouvoirs publics étaient, force de l’admettre, dans l’incapacité de contrer la hausse des prix et à réguler le marché des fruits et légumes, notamment pendant le mois de Ramadhan. 
Leur passivité dans une phase aussi cruciale que critique de l’économie de notre pays face à ces comportements commerciaux pervers exacerbe, bien évidemment, le mécontentement des Algériens.
 

C’est peut-être aussi, comme le rappelait judicieusement un journaliste, l’objectif recherché et inavoué de certains lobbys, connectés à des réseaux, voire des clans, politiques maffieux qui caressent l’espoir de faire avorter toute volonté de changement, celle notamment du système rentier dont ils tirent d’immenses dividendes au détriment de la collectivité nationale.

Le gouvernement devrait réagir pour au moins contenir la courbe de l’inflation qui repart à la hausse à cause de la spéculation sur tous les produits et biens de consommation.

Bien sûr, certains experts l’imputent à des causes endogènes comme l’aggravation des déficits budgétaires générée par la forte dépense publique de ces dernières années.

Mais les facteurs exogènes ­– renchérissement des cours mondiaux des denrées alimentaires – sont aussi des éléments objectifs à prendre en compte.

Il n’en reste pas moins que la dépréciation du dinar a réduit considérablement le pouvoir d’achat des citoyens, ce qui a pour conséquence une augmentation généralisée de tous les prix !

Et les forces de la spéculation, de l’informel et du gain facile ne comptent pas, bien évidemment, s’arrêter là !
Ce qui renvoie le gouvernement actuel à sa mission de régulation et surtout de prévention et de lutte contre de telles dérives, principalement fiscales. En effet, la fraude fiscale est estimée à plus de 50 milliards de dinars qui échappent au fisc, bon an mal an !

Il y a aussi l’occupation illicite des trottoirs qui est devenue une «norme» !

Pourquoi les commerçants font fi des règles et lois en vigueur ? Et est-ce que le ton des pouvoirs publics compétents va se durcir durant le prochain mois de Ramadhan, connu pour la prolifération des commerçants illégaux ou informels ? 

Certains ont pris l’habitude d’y installer leurs marchandises ce qui est de nature à pénaliser les piétons. 
A fortiori pendant le Ramadhan où, ne manquant pas d’ingéniosité, ils vont jusqu’à créer au pied levé «des commerces du Ramadhan» : cherbet, zlabia et kalbelouz et autres brochettes souvent impropres à la consommation car fabriqués non seulement dans des conditions douteuses, mais aussi et surtout dans des locaux dont ce n’est pas la destination première ce qui rendrait caduque leur registre du commerce !

Outre le ministère du Commerce qui doit renforcer le contrôle en la matière, le ministère de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Environnement est tout aussi concerné par l’hygiène des produits proposés à la vente ou à la consommation in situ !

Il en a fait sa priorité à travers ses orientations destinées aux présidents d’APC via les walis, pour redynamiser «les bureaux d’hygiène communaux», par abréviation «BHC», en les invitant à investir le terrain à l’orée du mois de Ramadhan, mois de piété certes, mais mois propice à tous les abus.
 

D’où l’impérieuse nécessité d’y mettre un terme, avec le concours des associations de protection des consommateurs, des médias et des citoyens eux-mêmes, dès lors que leur santé est mise en jeu.
 

Et ce projet de loi contre l’obscénité et les propos injurieux proférés dans nos espaces publics ?

Proposé par la commission des affaires juridiques, administratives et des libertés, l’article 333 bis 8 du projet de loi stipule que «quiconque aura commis un acte ou proféré un acte indécent dans un lieu public sera puni d’un emprisonnement de deux à six mois et d’une amende de 50 000 DZD à 100 000 DZD ou de l’une de ces deux peines seulement».

De quoi refroidir le sang chaud de bon nombre de nos compatriotes pendant ce mois sacré ou la prière prend une part active ! 

Les imams et autres prêcheurs avérés ne manqueront évidemment pas de louer les immenses vertus du mois de Ramadhan. 

Le mois du «djihad ennefs», tiennent-ils à rappeler à chaque occasion. C’est le mois durant lequel le musulman, pratiquant, doit redoubler d’efforts dans la prière, l’accomplissement des bonnes actions, la lutte contre les mauvais instincts, la pratique de la solidarité et du partage.

Autant de dévotions sincères qui, normalement, lui ouvriront les voies du pardon divin. Les mosquées pendant le Ramadhan font le plein, moins les autres jours ! Les visites familiales se multiplient autour de tables richement garnies de sucreries et autres boissons. Certains n’hésitent pas à faire la fête jusqu’au petit matin.

Pendant longtemps, rappelait à juste titre un islamologue, «nous avions cru que l’islam échapperait à la défiguration qu’a connue la fête de Noël, le long des siècles, les marchands du temple avaient fini par en faire un rendez-vous annuel universel de cuisine raffinée, de vins et de cadeaux».

A ceci près, Noël ne dure qu’une nuit et les chrétiens eux-mêmes reconnaissent que la naissance du Christ n’est plus qu’un simple prétexte pour ceux qui festoient. Chez nous, faut-il le dire, le prétexte dure un mois et laisse beaucoup de monde sur le carreau !

Culturellement parlant, pour paraphraser les journalistes de la Radio nationale, le Ramadhan est aussi un moment fort de la production télévisuelle. Et même si les téléspectateurs critiquent chaque année la médiocrité des nouveaux programmes, produits au prix fort et à grand renfort de publicité, ils n’en restent pas moins impatients de découvrir les productions nationales.

Ils sont forcément déçus par les productions et les prestations des artistes ! Beaucoup sont nostalgiques des anciens sketchs et reconnaissent pour les plus jeunes, de se détourner des programmes nationaux au profit des offres des télévisions arabes. 

Et le football, notamment européen, se chargera de détourner l’attention du reste des télévisions locales ! Parler du Ramadhan, c’est inévitablement rappeler l’existence des «fataras» ou, comme on les appelle communément, les «mangeurs du Ramadhan» ! 

A coup sûr, ces derniers ne vont pas manquer de se manifester et l’ire de «l’establishment religieux» sera en rapport, et dans la foulée, s’exprimeront : le président de l’Association des Oulémas musulmans, qui parlera de provocation et demandera à l’Etat d’intervenir pour mettre fin à la «fitna» et sanctionner durement les non-jeûneurs ; il se gardera tout de même de condamner «ceux parmi les spéculateurs qui veulent affamer le peuple ou pour le moins le faire sortir dans la rue» !

Le président du Haut Conseil islamique lancera du haut de sa tribune «un appel pour faire respecter la Constitution qui fait de l’islam la religion de l’Etat». 

Certains quotidiens arabophones feront de ces actes isolés leurs choux gras et ne manqueront pas d’évoquer les dispositions de l’article 144 bis 2 du code pénal qui punit de 3 à 5 ans de prison et d’une amende de 50 000 à 100 000 DA quiconque commet un tel délit.

«Les non-jeûneurs», décidément provocateurs à souhait, qui iront jusqu’à évoquer «leur liberté de conscience», et pousseront même le «bouchon» en appelant au rassemblement de leurs «ouailles», ce qui serait de nature à exacerber la tension.

Et dans ce décor, qui se répète chaque Ramadhan que le bon Dieu fait, le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs sera forcé, en l’absence du grand Mufti de la République, dont la nomination n’est pas pour sitôt, de monter au créneau, ou plutôt d’aller au charbon. Il jouera une fois encore l’apaisement, tout en qualifiant les actes des non-jeûneurs de «provocation».

Rappelons, à ce propos, l’engagement de son prédécesseur, un certain Mohamed Aïssa, qui ambitionnait «de remplacer l’imam, en préretraite, par un jeune trentenaire, docteur en sciences théologiques, plein d’alacrité, maniant sans peine la tablette électronique et débattant avec ses pairs par visioconférence».«Je n’y arriverai sans doute pas, avait-il confessé, mais je ferai tout pour créer les conditions d’une telle mutation» !

C’est toute la problématique de notre pays !
 

Par Cherif Ali

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