Raja Seghir à El Watan : «La peinture est chronophage et envahissante, mais je m’en accommode très bien»

30/05/2022 mis à jour: 09:10
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En marge de son exposition tenue au palais Ahmed Bey, l’artiste Raja Seghir a accepté de se livrer à El Watan et expliquer son basculement dans la peinture, son processus de création et ses thèmes de prédilection.

- Commençons par le début. Qui est Raja Seghir ?

Je suis architecte de formation et de métier, depuis près d’un quart de siècle, ayant toujours laissé ma passion pour la peinture en latence, jusqu’au jour où, il y a de cela exactement trois années, traversant une période difficile et répondant à l’appel d’une amie, je me suis laissée convaincre de reprendre mes pinceaux longtemps délaissés.

Depuis, j’ai assisté, ébahie, à un changement radical et totalement inattendu dans ma vie. Me voici aujourd’hui peintre, exposant mes toiles et ayant quasiment rompu avec mon premier métier.

- Ça ressemble à une épiphanie. Comment dans ce cas « l’Eureka ! » se transforme en processus de création, en un métier de tous les jours ?

Sans transition, ni compromis, ni aucun possible retour en arrière, j’ai quitté l’architecture pour la peinture. Au début, je peignais avec frénésie, je ne pouvais plus m’arrêter, je voulais m’essayer à toutes les techniques, tous les médias...

J’y allais à l’instinct, au gré de mes envies ou de mes humeurs, répugnant à intellectualiser ma démarche, à m’inscrire dans un courant artistique ou un autre ou encore à suivre une mode ou une autre.

Il me semblait, et c’est toujours le cas d’ailleurs, qu’en m’enfermant dans le cadre d’une école particulière, je quittais un carcan pour en adopter un autre, volontairement qui plus est, et là, la belle légèreté que j’avais acquise lors de mon changement de vie était mise en péril.

Que dire d’autre ? Le réalisme de mes peintures est la résultante de mon désir de mettre en avant mes sujets, j’y suis venue spontanément, encore que, par moments, des baisses de forme m’ont poussé vers les fauves à la recherche d’énergie.

Au quotidien, la pratique de la peinture est chronophage et envahissante. Je m’accommode très bien de ces deux effets secondaires, mais il en est un troisième qu’il a bien fallu gérer : la peinture est un gouffre financier. C’est ainsi que j’en suis venue à vendre mes œuvres et de là à en faire un métier.

- Quel est votre rapport aux thèmes qui ressortent dans vos tableaux (les femmes algériennes, la ville de Constantine…) ?

«Mes femmes», je les aime parce qu’elles n’ont pas l’air commodes ! Et parce qu’elles sont loin des stéréotypes véhiculés par l’omniprésente iconographie orientaliste qui, si elle a le mérite de renseigner sur les costumes, les décors, etc., donne de la femme algérienne une image à laquelle je ne m’identifie pas.

Ces poses affectées, lascives, voire bien pire (je fais référence à ce dont traite l’ouvrage de Malek Alloula : le harem colonial) me semblent, pour certaines futiles et insignifiantes, mais pour la plupart odieuses et néfastes.

C’est pourquoi je suis allée tout naturellement vers des images plus vraies, telles que les photographies prises par Marc Garanger en 1960 ou encore celles des anthropologues Thérèse Rivière et Germaine Tillon, prises dans les Aurès dans les années trente.

- Maintenant que vous avez rencontré votre public et franchi cette première étape, voyez-vous plus clairement votre art, votre carrière ?

Pour ce qui est des tableaux ayant pour thème Constantine, ils sont mon tribut à la ville qui m’a vu naître et dont j’aime les moindres recoins d’un amour sans faille.

Je ne suis certainement pas le premier peintre à avoir pris la belle pour modèle. J’ai essayé cependant de choisir des angles de vue inhabituels.

Les vieilles pierres de ma ville exerçant sur moi une attraction certaine, je me suis attachée à les rendre, le plus fidèlement possible, avec leurs fissures et lézardes, rides et ridules, afin que chacun puisse reconnaître son beau visage marqué par les âges.

- C’est joliment dit. Vous créez du beau à partir d’éléments en détresse. Comment concilier le vrai et le beau avec des sujets comme les vôtres ?

Je ne voudrais pas vous ennuyer avec de la théorie. Prenons un exemple : dans le cas de Ramsa, je suis tombée sous son charme en voyant cette photographie d’elle, prise en 1937, où elle était pensive, les yeux clos, faisant face à la lumière tout en semblant en être la source.

J’ai eu un choc esthétique et il était impératif pour moi de communiquer cette sensation. La photographe avait saisi l’un de ces instants fugaces où l’âme affleure faisant une brève incursion dans le monde du perceptible.

Ce que j’aimais en elle allait au-delà de sa beauté, son expression, son attitude, le l’ai trouvée libre et intense, c’était une poétesse, une déesse ! Je vous l’ai dit, c’était un choc ! (Rires) Alors ici, où est le vrai ? Où est le beau ? L’un est un fil de trame, l’autre un fil de chaîne. C’est un tissage, un enchevêtrement que je serais bien incapable de démêler ! Et le voudrais-je d’ailleurs ?

- Une dernière question : quels sont vos objectifs suivants ?

Mes objectifs ? Apprendre, bien sûr, évoluer, faire mieux. Atteindre plus de gens aussi, car si la peinture reste pour moi une activité solitaire, le but ultime en est d’aller vers les autres !

 


 

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