Rachid Benallal. Monteur et comédien : «Monter, c’est donner une âme au film»

02/06/2024 mis à jour: 16:00
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Récemment honoré au Festival d’Annaba pour l’ensemble de sa carrière, le chef monteur a un vrai diplôme, INC Alger et IDHEC Paris, a monté une soixantaine de films mais est aussi comédien, scénariste (Un toit une famille), a enseigné à l’INADC et reste consultant montage. En plus il est beau.

 

Propos recueillis par Chawki Amari

 

 

Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous… 
 

Je suis un homme respectueux des lois. 
 

Ça sent la peur...

Je suis comédien, scénariste, réalisateur et formateur, je fais du consulting montage aussi, de films montés ailleurs. Comme le dit Orson Welles, «je suis nombreux.»


En tant qu’un des plus anciens monteurs algériens, quel regard sur le cinéma algérien ? 

Des fois, je revois des films algériens que j’ai montés, je trouve que j’ai fait du bon travail. 
Mais comme le final cut appartient au réalisateur, je ne peux tout mettre sur mon compte, par exemple, comme la scène flash-back de L’homme qui regardait les fenêtres, je l’ai trouvée trop longue et je voulais la couper un peu, mais Allouache a refusé. Dernièrement, je lui en ai reparlé, il m’a dit non, cette scène est bien. Il n’a pas changé. Je parle de l’homme, pas du film. 
 

Les films bien montés sont donc les vôtres ? 

Pour Les vacances de l’Inspecteur Tahar, j’avais fait une très belle ellipse, quand l’Inspecteur se jette dans la piscine avec un «Allah akbar», j’ai fait un raccord sur l’ambulance, sans passer par la noyade. J’avais dit au réalisateur, Moussa Haddad, tout ça ne sert à rien, l’humour, parce que c’est une comédie, repose sur l’inattendu, sans explications, le plongeon, la noyade, tout en linéaire continu, ça n’apporte pas grand-chose.


Les monteurs ont un égo ? 

Bien sûr, comme les réalisateurs. J’essaye de trouver un compromis entre faire mon métier et satisfaire le réalisateur, je l’oriente donc en lui faisant penser que c’est lui qui a décidé. J’adore quand un réalisateur, une fois qu’il a terminé son tournage, me dit, merci Rachid. Je n’aime pas quand le réalisateur, même s’il se trompe, veut simplement se placer en figure d’autorité. 


Vous avez raté la transition numérique et êtes resté dans l’analogique

J’ai reçu une invitation de l’INA dans le cadre de l’année de l’Algérie en France, qui s’adressait aux chefs monteurs algériens, tunisiens et marocains pour se former au montage numérique. Les Marocains et les Tunisiens sont partis, mais moi, on m’a prétexté qu’il fallait une bourse, compliquée à obtenir. C’est comme ça que j’ai raté cette transition, même si au fond, j’ai horreur du numérique, voir des fichiers anonymes et sans vie s’aligner sur un écran, je suis tactile, j’aime toucher la pellicule, je peux d’ailleurs la regarder, avec un petit contre-jour, et décidé quelle partie est intéressante pour moi sans passer par un ordinateur. 


Vous aimez le cinéma algérien ? 

Ce que je n’aime pas, c’est le cinéma qui fait comme. Qui copie le cinéma américain ou autres, ça manque d’authenticité, j’aime le cinéma miroir à travers lequel on peut se connaître et connaître sa société, comme le cinéma japonais ou iranien. Ici, on ne s’identifie pas aux personnages, on préfère les footballeurs et on est plus sensible au coût du film qu’à son contenu. 


Un vieux grincheux qui déteste tout, c’est ce que vous êtes ? 

Non, pas vraiment. Je suis sensible au cinéma de quelques jeunes comme Walid Bouchebah et Sofia Djama dans leurs courts métrages ou Hassan Ferhani dans ses documentaires, où dans ce genre, le montage est très important, plus que dans la fiction. Il y en a d’autres, mais en fait, je regarde surtout les courts métrages, dans les longs, je m’ennuie assez rapidement. Donc, je n’ai rien contre les jeunes mais ils ne savent pas d’où ils viennent, ne connaissent pas les anciens, comme moi ou Yahiaoui qui a formé des générations, le directeur photo de Timbuktu par exemple. Bon, il y a des tentatives intéressantes, mais un film, en amont, c’est le scénario, et en aval, le montage, la dernière écriture, et je trouve que les films actuels sont mal écrits et mal montés. 


Il faut faire des films 

Je n’ai plus d’énergie, j’ai fait trois tentatives de films, Yawled, Moh ou mhand et La dernière solution. Le 2e, j’avais de gros problèmes avec le producteur et avec une certaine intelligentsia brobro et La dépêche de Kabylie, même si je salue un grand intellectuel comme Boualem Rabia qui m’a défendu. Pour le 3e, je n’ai pas pu faire de post-production pour des raisons financières. Tout ça me fatigue. 


Et en tant que comédien ? 

J’aime et je n’aime pas, tout dépend des rôles, et je n’aime pas vraiment me voir. Dernièrement, Merzak Allouache m’a proposé un rôle dans Les terrasses, j’ai refusé, puis il est revenu vers moi et m’a dit qu’on ne me verrait pas. Ça m’a plu, j’aime les rôles décalés, et c’est vrai, on ne me voit pas, sauf en silhouette, ce qui n’est pas vraiment la fonction d’un comédien. Mais j’ai refusé ensuite un rôle dans La première ligne, toujours Allouache, où je devais plonger dans la mer et me retrouver dans un commissariat, grelottant. Je suis vieux, je ne peux pas faire ça.

Pour revenir au montage, c’est quoi finalement ? 

Monter, c’est donner une âme au film. Le montage, c’est l’ordre et la durée. J’ai appris le montage en lisant, et c’est en faisant du montage que j’ai appris à écrire. Je suis musicien aussi, dans mon quartier, je faisais des drums quand j’étais jeune, c’est du rythme, comme le montage. Et comme pour le montage, ce ne sont pas uniquement les notes, c’est aussi savoir maitriser le silence.


Ok, on ne dit plus rien…

Ça tourne. 

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