Quelle politique industrielle pour l’Algérie ? : Eviter les erreurs du passé

07/02/2024 mis à jour: 07:23
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L’on devra éviter de vivre encore dans l’ère de l’utopie des années 1970/1980, car les contraintes internationales sont là et face aux mutations mondiales, la filière industrielle connaissant des restructurations, des fusions et des délocalisations des grands groupes, avec des capacités de production élevées, l’intelligence artificielle  devant déclasser les emplois traditionnels pour environ 60/70% horizon 2030. 

Par ailleurs, il faut être réaliste, on ne décrète pas la relance économique qui dépend de facteurs géostratégiques mondiaux et d’une politique cohérente interne : un projet mis en exploitation en 2024 nécessitera 2/3 ans pour sa rentabilité pour les PMI/PME et entre 5/8 ans pour les projets hautement capitalistiques et pour exporter 10/12 milliards hors hydrocarbures, il faudra augmenter le volume de près de 40%, nécessitant de profondes réformes structurelles permettant des entreprises compétitives qu’elles soient privées ou publiques en termes de coûts et de qualité.
 

1.-Le cas des usines de montage de voitures face aux mutation de cette filière.

Il est démontré, et c’est une loi universelle, que le seuil de rentabilité en 2023 pour une usine de voitures fiable nécessite une capacité de 400  000/ 500 000 unités/an et pour les camions bus 150 00/200 000 unités/a, afin de faire baisser les coûts fixes, les coûts variables étant fonction de la capacité. 

Selon certains analystes, la taille du marché automobile chinois, sans parler de l’Inde, si l’on reste dans l’actuel modèle de consommation, devrait être multipliée par dix horizon 2030 et les experts du Fond monétaire international (FMI) prévoient un parc mondial de 2,9 milliards de voitures particulières à l’horizon 2050, cette vision partant de l’hypothèse d’une élévation du revenu des ménages, surtout des pays émergents, la population, comme la Russie, l’Inde ou la Chine représentant des marchés à fort potentiel pour l’industrie automobile. 

La situation du marché mondial de voitures est évolutive, étant un marché oligopolistique, fonction du pouvoir d’achat, des infrastructures et de la possibilité de substitution d’autres modes de transport, notamment le collectif spécifique à chaque pays selon sa politique de transport, ayant connu depuis la crise d’octobre 2008 d’importants bouleversements, les fusions succédant aux rachats et aux prises de participation diverses. 

A l’heure actuelle, les plus grandes multinationales sont General Motors malgré sa restructuration récente, Volkswagen et Nissan, qui depuis son alliance avec le constructeur français Renault, Chrysler, Fiat, Honda, Mitsubishi et Mazda et que les six premiers constructeurs mondiaux qui, tous, ont une capacité de production supérieure à quatre millions de véhicules, représentent 61% du marché mondial de l’automobile, suivi des sociétés sud coréennes Hyundai, Daewoo, Kia, Sang Young et Samsung ont rejoint les rangs des constructeurs indépendants, capables de financer, de concevoir et de produire leurs propres véhicules et que les sociétés européennes multinationales sont les plus importants fabricants de pièces détachées et les plus grands constructeurs de camions, parmi lesquels Mercedes-Benz et Volvo. 

Dans le reste du monde, la plupart des constructeurs automobiles sont des filiales de constructeurs américains, japonais et européens. Dans des pays comme la Malaisie, la Chine et l’Inde, la production est gérée par des sociétés locales, mais toujours avec l’appui de grands groupes étrangers. Nous observons deux tendances opposées qui sont en train de se produire en même temps : la localisation de la production sur certaines zones géographiques et sur certains pays et la délocalisation  et pour ce qui est de la localisation de la production automobile mondiale, elle se concentre régionalement sur trois zones : l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. 

De plus, sur chacune d’entre elles, la fabrication est localisée sur certains pays, ainsi en Europe, les principaux fabricants sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie, appartenant tous à l’Union européenne. 

En Amérique du Nord, la production se concentre majoritairement sur les Etats-Unis, et en Asie elle se trouve au Japon et en Corée du Sud et que pour les exportations mondiales d’automobiles, la concentration est encore plus élevée, puisqu’elle est limitée principalement à deux zones : l’Europe et l’Asie. Et que un futur proche avec la perte de compétitivité de certains pays au profit de certains pays émergents (Russie, Inde, Chine, Brésil) nous devrions assister à la réorganisation de la production mondiale de véhicules en rapport avec les niveaux de formation des effectifs des usines et avec la recherche que réalisent les entreprises automobiles et en toute évidence, les usines qui se maintiendront sur chaque pays seront les plus compétitives, les priorités des dirigeants des constructeurs automobiles étant donc : technologie et innovation, (robotisation) surtout au Japon, dont le coût de la main-d’œuvre est dix fois environ supérieur à celui de la Chine, éthique et gouvernement d’entreprise, approche collaborative, meilleures stratégies de succès, environnement et mondialisation. 

Des perspectives technologiques futures tenant compte du nouveau défi écologique, (voitures hybrides, électriques) tenant compte du nouveau modèle de consommation énergétique qui se met lentement en place, la crise d’octobre 2008 préfigurant d’importants bouleversements géostratégiques et économiques, la Chine étant en passe de devenir le leader mondial des voitures propres toutes catégories profitant ainsi au premier chef des plans de relance «verts» des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon. 

A court terme, l’on s’oriente vers l’optimisation du fonctionnement des moteurs à essence et diesel, avec une réduction de 20/30% de la consommation, car pour les voitures électriques, les ressources en lithium pour les fameuses batteries lithium-ion sont limitées et que les moteurs électriques nécessitent des aimants que l’on fabrique aussi avec des métaux rares, un marché de 70/80 millions de véhicules par an, ne pouvant absorber de gros volumes en voitures électriques et que pendant encore dix ans, les moteurs classiques devraient rester majoritaires. Afin de parer à cette contrainte, les nanotechnologies (la recherche dans l’infiniment petit) peuvent révolutionner le stockage de l’énergie devant explorer le flex fuel et de penser à l’hydrogène, l’avenir appartenant au moteur alimenté par de l’hydrogène gazeux.
 

2.- Quelle politique industrielle pour l’Algérie ?

Face aux nouvelles mutations s’impose une vision cohérente de la politique industrielle tenant compte de la forte concurrence internationale et sans la maîtrise du savoir, elle est vouée inéluctablement à l’échec avec un gaspillage des ressources financières. Par exemple, l’industrie automobile est devenue capitalistique, les tours à programmation numérique éliminant les emplois intermédiaires, renvoyant à la qualification nécessaire tenant compte des nouvelles technologies. Comme doivent être posées deux questions : premièrement, ces voitures fonctionnent-elles à l’essence, au diesel, au GPLC, au Bupro, hybride ou au solaire renvoyant d’ailleurs à la politique des subventions généralisées dans les carburants qui faussent l’allocation optimale des ressources ; deuxièmement, comment pénétrer le marché mondial à terme avec la règle des 49/51%, aucune firme étrangère de renom ne pouvant accepter cette règle rigide dans le cadre des exportations mondiales et donc avec le risque que l’Algérie supporte tous les surcoûts. 

Pourtant, il ne s’agit pas d’être contre ou pour la mise en place d’une industrie mécanique, mais cette dernière doit être menée avec cohérence, pragmatisme et réalisme, existant un seuil de rentabilité pour avoir des prix compétitifs.. Je ne rappellerai jamais assez que le moteur de tout processus de développement réside en la recherche développement, que le capital argent n’est qu’un moyen et que sans bonne gouvernance centrale et locale, l’intégration de l’économie de la connaissance, aucune politique économique n’a d’avenir, en ce XXIe siècle, face à un monde turbulent et instable où les innovations technologiques sont en perpétuelle évolution. L’Algérie doit investir dans des segments où elle peut avoir des avantages comparatifs : l’agriculture, le tourisme important gisement, les nouvelles technologies et dans des sous-segments de filières industrielles tenant compte des profonds changements technologiques et une importante restructuration de cette filière qui est internationalisée. 

Aussi, l’avenir de l’économie algérienne est intimement liée à une véritable stratégie tenant compte des nouvelles mutations mondiales, impliquant forcément une nette volonté politique d’approfondissement de véritables réformes macro-économiques, macro-sociales, micro-économiques et institutionnelles solidaires. 

D’une manière générale et c’est une loi économique, la richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, fondé sur l’économie de la connaissance et là est toute la problématique du développement multidimensionnel à ne pas le circonscrire qu’à l’économique, le facteur culturel étant déterminant. Aussi, la solution la plus sûre est d’avoir une vision stratégique, loin de tout replâtrage, les tactiques pour paraphraser les experts militaires, devant s’insérer au sein d’une fonction objectif stratégique, ce qui fait cruellement défaut actuellement. 

On ne peut continuer à perfuser des entreprises publiques moribondes non concurrentielles qui ont déjà coûté, selon les données officielles du premier ministère (source APS), ces trente dernières années plus de 250 milliards de dollars, plus de 90% étant revenus à la case de départ, comme on ne peut continuer à octroyer des crédits aux entreprises privées qui doivent s’autofinancer en partie, sans être sûres de leur rentabilité, donc ce n’est pas uniquement dû au capital argent, et toujours selon un apport de l’ex-Ansej (source APS 2022) plus de 70% des crédits octroyés dans le cadre de l’emploi de jeunes n’ont pu être remboursés. 

Les exportations hors hydrocarbures (source douanes APS) en 2022 ont été de 6,9 milliards de dollars, y compris les dérivées d’hydrocarbures, représentant au sein de cette structure plus de 66% et donc avec les dérivées, les exportations algériennes sont dominées à 97/98% par les hydrocarbures. Si l’on inclut le ciment, le rond à béton, dominant dans les matériaux de construction et certains produits semi-finis à faible valeur ajoutée, le taux passe à plus de 80%, laissant aux segments concurrentiels à forte valeur ajoutée environ 20% des exportations hors hydrocarbures, soit pour 2022 1,5 milliard de dollars. 

Pour 2023, au cours du premier semestre de l’année 2023, le volume des exportations hors hydrocarbures s’est élevé à 2,5 milliards de dollars (9,4% du total des exportations), contre 3,2 milliards de dollars au premier semestre de l’année 2022, enregistrant ainsi une baisse de 22,4%, ce qui donnerait en tendance fin 2023, 5 milliards de dollars ( source APS). Alors que certains soi-disant experts organiques induisant en erreur tant les décideurs que l’opinion affirmaient, sans analyses objectives que les exportations hors hydrocarbures allaient s’élever à 10 milliards de dollars pour 2023 et 13 milliards de dollars pour 2024.

 Aussi, pour bien situer les enjeux des exportations hors hydrocarbures dans le temps et non se fier aux facteurs conjoncturels, il faudrait pour un bilan serein en dressant la balance devises nette et retirer toute les matières premières et services importées en devises qui ont un impact sur la balance des paiements et quantifier les subventions, dont les bonifications des taux d’intérêt et pour les unités fortes consommatrices d’énergie, aligner le prix du gaz sur celui du prix international pour calculer leur rentabilité réelle dans un cadre concurrentiel mondial.
 

En conclusion, toutefois, évitons toutefois la sinistrose. L’Algérie du fait de ses potentialités avec une nouvelle politique économique peut surmonter la crise. Existant un lien dialectique entre sécurité et développement, toute récession économique aurait des incidences sociales et politiques internes, posant la problématique de sa sécurité intérieure, mais également déstabilisatrices géostratégiques au niveau de la région méditerranéenne et africaine renvoyant à sa sécurité extérieure. 


 

Dr Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international
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