Publication du projet de la Constitution tunisienne : Vers un régime présidentiel !

02/07/2022 mis à jour: 01:41
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Photo : D. R.

Projet de Constitution reflétant la pensée du président Saïed. Un régime présidentiel et une souveraineté populaire. Pas de religion pour l’Etat mais un peuple musulman. La polémique continue sur les plateaux mais Saïed semble sûr de l’emporter.

Pas de surprises dans l’énoncé du projet de la nouvelle Constitution tunisienne, publié hier au Journal officiel et devant faire l’objet du référendum du 25 juillet 2022. Il y a un renforcement des attributions du président de la République et une réduction du poids des autres structures de l’Etat, comme le Parlement et le gouvernement.

«Il est nécessaire de réviser les mécanismes de contrôle des actes du président de la République», a souligné Abid Briki, président du mouvement Tunisie, en avant, pourtant très favorable au président Saïed mais soucieux d’installer du contrôle. Il est à constater que les plateaux des radios, à l’image de Mosaïque Fm, Shems Fm ou Express Fm, et des médias électroniques, comme Businessnews, ont multiplié hier, comme à l’accoutumée, les critiques du projet. Rares sont les intervenants qui lui sont favorables.

Contenu

Le premier constat, évident depuis le coup de force du 25 juillet 2021, c’est le retour de l’option présidentiel dans le régime politique tunisien. Un président de la République âgé de 40 ans, au moins, tunisien sans discontinuité et n’ayant pas d’autre nationalité, musulman, peut se présenter pour deux mandats consécutifs. Il a été également créé un Conseil national régional et territorial, afin de souligner l’intérêt au développement régional.

Par ailleurs, pour tout ce qui est droits et libertés, les acquis de la Constitution de 2014 ont été préservés. Il s’agit de la préservation des acquis de la femme, la liberté d’expression, d’information et des médias, l’interdiction de la torture, la liberté de conscience et de rites, le droit à un environnement sain, etc. Le projet de la nouvelle Constitution a gardé l’essentiel dans ces volets.

Le projet pour la nouvelle Tunisie a innové par l’élimination de l’article 1er, polémique des Constitutions de 1959 et 2014, qui dit que «la Tunisie est un Etat libre, indépendant, l’arabe est sa langue et l’islam est sa religion».

Le président Saïed a régulièrement dit que «l’Etat n’a pas de religion et que c’est la ‘umma’ qui a une religion». Ainsi, l’article 5 du nouveau projet indique que «la Tunisie fait partie de la umma islamique et que seul l’Etat œuvre pour la réalisation des préceptes de l’islam en matière de respect de la vie humaine, de la dignité, des biens, la religion et de la liberté».

Le projet insiste également sur le fait que toute fraude fiscale est considérée comme étant un crime contre l’Etat et la société. Il est aussi indiqué que l’Etat veille à distribuer ses revenus sur la base de l’égalité et de l’équité entre les citoyens dans toutes les régions de la République. C’est dire qu’il y a coupure avec les politiques économiques ayant abouti au déséquilibre régional actuel.

Réactions

La polémique n’est pas née hier concernant ce projet. Ainsi, le constitutionnaliste Slim Laghmani a déjà publié sept questions depuis le 20 juin et avait alors dit que son évaluation du projet dépendra des réponses données. Aujourd’hui que le projet est là, en réponse à la 1re question portant sur le maintien de l’article 49 concernant les droits et les libertés, le professeur Laghmani souligne que «l’article a été maintenu et affaibli, il n’y a plus de référence à la condition de nécessité dans un Etat civil et démocratique, ni de référence directe au principe de proportionnalité ; il y a également interdiction de la grève des magistrats».

La 2e question concernait l’article 21 et l’égalité entre les citoyens et les citoyennes, il a été maintenu sans aucune modification. La 3e question portait sur la liberté de conscience, l’article a été maintenu ; la formulation retenue est meilleure, selon le Pr Laghmani. Concernant le régime politique, objet de la 4e question, il sera clairement présidentialiste ; le chef de l’Etat n’est pas responsable politiquement, alors que les assemblées peuvent être dissoutes et le gouvernement peut être démis ou censuré.

Plus grave, le Président a droit au référendum direct législatif ou même constitutionnel. Il peut donc passer outre le pouvoir législatif et le pouvoir constituant dérivé. Pour ce qui est de l’élection des députés, en 5e question, il y a silence sur le mode de scrutin, ce qui pourrait déduire des préemptions sur les élections par les bases.

La 6e question a porté sur l’indépendance des magistrats, le Pr Laghmani pense qu’elle a été fortement affaiblie, les conseils de magistrature proposent la nomination des magistrats et le chef de l’Etat dispose. Leur avis n’est plus conforme alors qu’il l’est dans la Constitution de 2014.

En plus, la Cour constitutionnelle est composée de neuf juges, nommés parmi les plus anciens des trois ordres, sans préciser l’autorité de nomination. Concernant les instances indépendantes, faisant l’objet de la dernière question, seule l’ISIE a été citée. Le Pr Laghmani a promis d'y revenir avec plus de détails.

Pour sa part, l’ex-membre de l’ISIE, Zaki Rahmouni, a exprimé, à première vue, un avis «globalement positif» sur le projet de la Constitution, «en attendant une lecture plus approfondie», a-t-il dit dans un post Facebook.

La constitutionnaliste Sana Ben Achour a publié, elle-aussi, un post Facebook où elle évoque «un retour de six siècles en arrière», en disant : «La Tunisie est partie de la communauté (umma) islamique. A l'Etat exclusivement d'œuvrer à assurer les finalités (maqassid) de l'islam en sa conservation de la vie, de l'honneur, des biens, de la religion, de la liberté.» Au passage, il y a oubli du maqsad de la raison (al àql). «Ce n'est pas étonnant !» a-t-elle expressément écrit.

Par contre, le secrétaire général du parti Tunisie, en avant a souligné que «le projet répond à près de 80% des souhaits exprimés lors du dialogue national consultatif». Briki a notamment insisté sur le fait que «le projet limite à deux les mandats présidentiels et qu’il garantit les droits et libertés, ainsi que la liberté de constituer des partis et des associations». La Tunisie retient son souffle. 

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