Des spectateurs sont demeurés debout au fond de la salle jusqu’au mot fin. Un moment de silence quasi religieux s’ensuit. Le suspense est cependant bref. Une ovation et des youyous fusent. Bachir Derraïs et son équipe sont au comble de la satisfaction.
Un riche et passionné débat s’engage. Au détour d’une réflexion, le réalisateur laisse échapper un scoop : «Ben M’hidi va être remonté pour donner lieu à une nouvelle version !» Cela, apprend-on, est souhaité par de nouvelles parties après la virée du film à Cannes en vue de sa promotion à l’export. Au visionnage des rushs non exploités lors du montage, des acheteurs potentiels ont estimé que certains de ses rushs, assez exceptionnels, pourraient sérieusement bonifier le film s’ils étaient pris en compte dans une nouvelle version. Cependant, aussitôt, Khaled Bénaïssa a rassuré : «Il n’a nullement été question de l’aspect politique véhiculé par le film. Pas non plus d’histoire, mais d’équilibres dans le traitement de l’aspect histoire humaine, du recours au flash back, etc., donc de questions purement techico-artistiques». Ainsi, la version en vue va en particulier revaloriser le rôle de la mère de M’hidi, campé avec ce qu’il faut de justesse par Lydia Larini, sans pathos excessif comme habituellement dans le cas des mamans éplorées dans le cinéma algérien. Identiquement, le personnage émouvant de la fiancée de Ben M’hidi, comme notamment dans une séquence intimiste, devra revenir plus longuement sur lui.
La question s’est posée de savoir ce qui a changé entre la version définitive entre la version actuelle et celle qui avait été contestée par le ministère des Moudjahidine. Pour avoir visionné les deux, nous avons relevé une infime partie soustraite de la séquence au Caire avec Ben Bella, d’une durée de 76’. Selon l’évaluation de Bachir Derraïs, ce dernier conteste le reproche fait au film d’être régionaliste : «Comment cela peut-il en être alors que l’auteur Bahloul Abdelkrim, un enfant de Saïda, fils de chahid, n’est pas Kabyle. Bahloul aussitôt témoigne : «Avant d’aborder le scénario, j’ai épluché 150 ouvrages de référence dont des témoignages tant côté algérien que français et de divers bords. Etant universitaire de formation, je les ai abordés de façon académique, en procédant à des recoupements.
Par la suite, avec la casquette de scénariste, il m’a fallu choisir les situations pour caser au mieux les leçons que j’en ai tirées». Evoquant le scénario primitif écrit par Bourboune qui aborde le biopic tant côté algérien que français, Bahloul juge qu’il aurait donné une fresque dont la réalisation aurait nécessité le pharaonique budget de 40 millions d’euros au minimum : «J’ai écrit le scénario après avoir rencontré Drifa, la sœur de Ben M’hidi pour m’imprégner de lui. Elle m’en a parlé de manière que le souvenir de mon père, abattu par la soldatesque coloniale, m’a submergée. Ben M’hidi, c’est devenu mon histoire. Je l’ai alors abordé de façon passionnelle».
Sources exploitées
Sur la question des sources exploitées par Bahloul, le ministère a contesté les témoignages des proches compagnons de M’hidi, des témoignages recueillis sur vidéos. Il ne les a pas reconnus parce que non répertoriés dans ses archives. En fait, il se trouve que les moudjahidines qui ont livré leurs déclarations n’ont jamais voulu les délivrer au ministère dont ils se méfiaient. Même de Bachir, ils s’étaient méfiés : «C’est en constatant que le tournage du film avait été bloqué qu’ils ont compris que nous étions indépendants dans notre démarche».
Par ailleurs, le riche débat qui a suivi la projection a porté sur la question des débats contradictoires à répétition entre dirigeants de la Révolution, des séquences qui auraient quelque peu alourdi le film, en particulier pour ce qui concerne un public peu au fait des points de vue développés par les uns et les autres. En réponse, Derraïs a estimé que s’il fallait privilégier l’action, il aurait été facile de réaliser un film de guerre. «Or, j’ai réalisé un film politique : La révolution a été aussi affaire de débats entre ses dirigeants et de dissensions politiques entre eux sur des choix stratégiques qu’il fallait éclairer et qui ont entrainé des liquidations physiques».
Ce point de vue aurait été cependant recevable si les séquences considérées, dynamiques par les tensions extrêmes entre personnages qu’elles charriaient et les enjeux qui les sous-tendaient n’en faisaient pas déjà des scènes d’action. Il aurait convenu de ne pas abonder dans le sens de la critique du spectateur qui a soulevé la question. En effet, ce qui donnait parfois l’impression de lourdeur, c’est plus certainement le recours quelque peu pléthorique à de savoureuses répliques passées à la postérité, mais restituées non sans emphase sous formes d’envolées lyriques, par certains comédiens.
C’est ce qui suspendait l’action, rendant par moment le film verbeux. Enfin, sollicité par El Watan sur le paradoxe qu’il a fallu engager un bras de fer pour que Ben M’hidi fasse bouger des lignes enfin devenir visible après cinq années de mise sous le boisseau, et le fait que Hassan Terro de Lakhdar Hamina, n’ait pas connu le même désagrément alors qu’aujourd’hui, il aurait jugé scandaleux, un film, qui plus est comique sur la question sensible de la lutte de libération nationale. Or, il a été applaudi à l’époque de sa sortie, en 1968. Pour preuve supplémentaire en matière de paradoxe, un autre film du même calibre sorti quinze ans plus tard, après .
Hassan Terro, en l’occurrence
Les folles années du twist de Mahmoud Zemmouri, a été voué aux gémonies. Pour rappel, Hassen Terro, le personnage est un antihéros qui passerait maintenant de la pire espèce. C’est un pleutre devenu moudjahid par accident, ce qui portait ombrage à l’image du moudjahid sans peur et sans reproche des films de guerre d’alors.
A cela, Derraïs apporte une explication qui devrait être méditée : «Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, tous les vrais moudjahidine étaient encore vivants et que le ministère des Moudjahidine n’avait pas les pouvoirs qui lui ont été attribués depuis. Deuxièmement, Lakhdar Hamina est lui-même un moudjahid qui, à ce titre, jouissait d’une légitimité que personne n’était en mesure de contester. Hamina a fait la guerre, caméra au point. Enfin, la classe politique des années 1960 était d’un tout autre calibre : plus instruits, plus ouverts».
Saida
De notre envoyé spécial Kali Mohamed