Production et commercialisation des compléments alimentaires en Algérie : Une activité qui échappe à tout contrôle

14/05/2022 mis à jour: 03:31
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La consommation de ces produits a connu un boom ces dernières années

Depuis le déclenchement de la pandémie de Covid en Algérie, le marché des compléments alimentaires a connu un véritable boom, alors que l’activité elle-même échappe à toute forme de contrôle à cause d’un vide réglementaire. 

Alors qu’ils sont considérés comme denrées alimentaires ainsi qu’un produit pharmaceutique commercialisé sous forme de doses, l’encadrement de la production, de la commercialisation et de la consommation des compléments est complètement absent. 

Pour faire la lumière sur cette problématique, le laboratoire d’études et de recherches sur le Maghreb et la Méditerranée a organisé, jeudi dernier, une rencontre à l’université des Frères Mentouri Constantine 1, en présence de médecins, pharmaciens, avocats et chercheurs universitaires ainsi que des représentants des services du commerce et de la santé. 

Le constat révélé était tout simplement effrayant, où on a dévoilé l’incapacité des lois existantes à intervenir, alors que le vide juridique est énorme. 

Dans son intervention, le Dr Abdelmoumen Abid de la faculté de droit de Constantine 1 a qualifié la législation algérienne d’ «un ensemble de lois mineures» en comparaison avec celle d’autres pays, comme les Etats-Unis, où les compléments alimentaires sont commercialisés depuis des décennies. 

«En Algérie, la loi ne compte pas de définitions précises des produits, surtout les végétaux ; contrairement aux concepts américains qui sont globaux et détaillés. Il existe effectivement des textes réglementaires, mais ils sont dispersés, non cohérents, ne sont pas clairs et imprécis», a-t-il soutenu. 

Il citera parmi les lois concernant «la bonne production» des compléments alimentaires en Algérie, la loi 09-03 de la protection du consommateur et la lutte contre la fraude, et celle de normalisation 04-04, sur la production et la commercialisation des compléments. 

Mais il ajoutera que les opérateurs doivent se soumettre également à d’autres textes, dont les décrets exécutifs 17-140, 12-203, 14-366, 12-214 établi le 15 mai 2012, 05-484, 16-299 et 13-378 déterminant les conditions de l’information du consommateur. 

Sans oublier les décisions interministérielles du 20 juin 2016 et du 16 janvier 2021. «Ce qui rend très difficile de prendre acte de toutes ces lois. Il faut créer une autorité indépendante pour la production, la commercialisation et contrôle des compléments alimentaires, à l’instar de La Food and Drug Administration (Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux, ndlr) aux Etats-Unis», a argué le Dr Abdelmoumen Abid. 

L’aspect publicitaire pointé du doigt 

Par ailleurs, des chercheurs ont également mis en lumière l’article 03 du décret exécutif 12-214 du 15 mai 2012, définissant les compléments alimentaires comme «des sources concentrées de ces éléments nutritifs, seuls ou en combinaison, commercialisées sous forme de gélules, comprimés, poudre ou solution. Ils ne sont pas ingérés sous la forme de produits alimentaires habituels, mais en petites quantités et dont l’objectif est de suppléer la carence du régime alimentaire habituel en vitamines et/ou en sels minéraux». 

Mais les intervenants, surtout les pharmaciens, ont souligné qu’un complément alimentaire peut être également composé de protéines, de micro-organismes, d’extraits végétaux et autres. 

En plus de cette nuance de définition, on a évoqué les pratiques de certains laboratoires ou vendeurs qui osent des manœuvres, même sur le plan de dosage, en l’absence des normes précises concernant les compléments alimentaires. D’ailleurs, des compléments alimentaires sont prescrits comme des médicaments. 

De son côté, le Pr Saighi Mebarek, spécialiste en droit, estime que la loi de la santé n’a pas également parlé du droit de brevet d’invention et à qui l’accorder. Pis encore, il a souligné que l’autorisation et l’accréditation de la production des compléments sont octroyées par les services du commerce sans prendre en considération les qualifications scientifiques du producteur. 

Cet aliment n’est retiré du marché que lorsqu’une transgression des conditions de production ou une fraude flagrante sont signalées. 

Dans un autre volet, le Pr Belkacem Boudraa, également spécialiste en droit a indiqué que nous vivons des scandales induisant le consommateur en erreur. Des publicités diffusées sur des chaînes télévisées jouent sur les mots, d’après ses dires, faisant croire que ces compléments peuvent être des remèdes pour certains maux. 

«Pourtant, c’est interdit de faire de la publicité sur un médicament. Il faut encadrer et réglementer ce genre de publicités», a-t-il dit, rappelant l’interdiction de vente de 20 compléments alimentaires décidée au mois de février dernier par le ministre de tutelle. 

Pour sa part, le chef de service chargé de la protection du consommateur et de la répression des fraudes à la direction du commerce de Constantine, Abdelghani Bounaas, a déclaré que la wilaya compte 94 producteurs de compléments alimentaires, dont 86 sont des personnes morales. 

«Durant l’année 2021, nous avons enregistré 132 interventions, avec 19 poursuites judiciaires, pour non-respect des critères de l’information du consommateur et pour tentative de tromperie sur les résultats du produit. Nous avons saisi un total de 68 kg. Pour les 4 premiers mois de l’année 2022, nous avons effectué 58 interventions avec 14 poursuites judiciaires, pour principalement le non-respect de l’information du consommateur et tentative de tromperie avec la saisie de 86 kg de compléments alimentaires», a-t-il souligné. 

De son côté, le représentant de la Gendarmerie nationale a appelé à ne pas dramatiser les choses. «Il y a eu de nombreuses interventions sur terrain et l’Etat algérien a mis les moyens nécessaires pour la protection du consommateur et la santé du citoyen», a-t-il dit à la fin de la rencontre. 

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