Production de boissons : Une filière dans la tourmente

02/06/2022 mis à jour: 03:01
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Photo : El Watan

Le PDG de Golden Drink Algérie, Amra Salim, connu pour ses Tazedj, Aqua fine et Fruix, affirme que l‘instabilité juridique sur le plan local et l’arrêt des importations sont un «grave problème qui risquent d’emporter avec eux toute la filière.»

La filière des boissons non alcoolisées en Algérie, autrefois la plus dynamique dans l’industrie agroalimentaire, est-elle en passe de connaître ses plus mauvais moments suite à la conjonction de plusieurs facteurs, tant internes qu’externes.

En effet, la hausse des prix des matières premières et du fret maritime, conjuguées à certaines restrictions liées aux importations, ont fait que plusieurs producteurs, notamment les plus vulnérables, ainsi que plusieurs distributeurs d’intrants tels les arômes mettent la clé sous le paillasson.

Au Salon du Djazagro à Alger qui fermera ses portes aujourd’hui, l’absence de plusieurs producteurs de boissons est édifiante. Un nombre aussi réduit (4 à 5 exposants) sur des dizaines d’acteurs est symptomatique de l’état de la filière.

Un constat que ne partage pas Mme Manel Dekkar, chargée de presse chez Taiba food company, connue sous le label Ramy. Entousiaste, notre interlocutrice s’est dite satisfaite du niveau des ventes de l’entreprise tant sur le plan interne qu’à l’export (une dizaine de pays).

Créée en 2007, avec Ramy food (boissons) et Ramy milk (laits et yaourts), l’entreprise a eu trois prix cette année, dont celui «Elu produit de l’année», a-t-elle fièrement relevé. «La filière boissons se porte à merveille», a-t-elle confié.

Un autre son de cloche nous parvient juste dans le stand d’à côté, où l’entreprise Golden Drink Algérie, connue par la marque Tazedj, Aqua fine et Fruix a élu domicile. Et c’est son dynamique PDG, Amra Salim, qui nous fait savoir que l'instabilité juridique sur le plan local et l’arrêt des importations sont un «grave problème qui risquent d’emporter avec eux toute la filière».

Plus explicite, le PDG de Golden Drink Algérie, dont l’entreprise est sur le marché algérien depuis 2005, a indiqué que «depuis 3 mois, et avec la fameuse attestation Algex, beaucoup d’acteurs dans la revente en l’état sont à l’arrêt. Des usines sont à l’arrêt, notamment les petits producteurs».

Et d’ajouter : «Les pouvoirs publics doivent savoir que l’importateur n’est pas un ennemi, mais un maillon dans la chaîne de l’économie algérienne. L’importation est un métier et le surplus, c’est le marché qui va le réguler. Lorsqu’un produit est fabriqué localement, aucun ne s’aventurera à l’importer. Et pire encore, lorsqu’on ferme tout à l’importation, on donne la chance aux spéculateurs d’augmenter les prix. Les pays les grands industrialisés dans le monde sont pourtant les plus grands importateurs».

Montrant des signes d’agacement face aux dernières mesures du ministère du Commerce, qu’il juge «arbitraires, avec des conséquences dramatiques sur l’économie nationale», M. Amra a indiqué que «le malheur dans ce pays, c’est que les pouvoirs publics n’ont même pas la préforme des données. Ils sont incapables de dire si tel ou tel produit est fabriqué localement ou pas. Ils bloquent, et c’est tout. J’espère qu’ils vont intervenir rapidement pour débloquer la situation».

Mesures aléatoires et coercitives

Société familiale avec quelque 330 ouvriers dans l’usine installée dans la zone d’activité Taharacht d’Akbou et un verger de 1500 hectares d’arbres fruitiers avec ses 170 travailleurs destinés pour la transformation, Golden Drink Algérie espère produire à partir de 2024 des produits 100% naturels à base de fruits locaux, selon son PDG. Mais d’ici là, il faut gérer avec une plus grande dextérité la situation complexe actuelle.

En effet, la société qui exporte dans plus de 14 pays dans le monde, voit les coûts du transport exploser. «Le fret maritime, avec ses hausses, est un frein pour l’import et l’export. Avant, le container vers l’Irak via la Turquie coûtait 700 dollars et maintenant on le paie à 2700 dollars. A Dubaï, avant c’était 800 dollars le container et maintenant c’est 4000 dollars. Il y a des destinations qu’on a arrêté carrément.

Le Yémen, par exemple, avec le taux de risque puisqu’il est en guerre, le container est monté à 6000 dollars ! Le prix du container est plus cher que la marchandise elle-même», a tenu à expliquer notre interlocuteur, non sans souligner que «même s’il y a une subvention de 50% sur le transport, nous, on ne l’a jamais vue.

Elle existe dans la législation, mais dans les faits, rien ! Cela fait 3 années qu’on exporte et il n’y a jamais eu un sou en retour sur les transports», a-t-il clamé. Actuellement, le plus grand souci c'est la dégradation du pouvoir d’achat de l’Algérien et la hausse des matières premières, notamment cette année, où certains produits ont augmenté de 200%, nous a-t-on fait savoir.

A peine sorti de la Covid, d’autres facteurs comme la hausse du fret maritime, la hausse des coûts de l’emballage, des arômes et des additifs, qui ont connu, selon certains intervenants dans la filière des hausses jamais égalées, ont compliqué la situation à laquelle s’ajoutent l’arrêt de la Chine et des exportations américaines, rendant la disponibilité de certains produits problématique.

«Investir dans la matière première est indispensable en Algérie. Je lance un appel à mes confrères d’investir dans l’agriculture parce qu'attendre des arômes et des concentrés depuis l’étranger n’est pas évident du tout. Même si ce n’est pas facile par rapport à la législation en vigueur, on espère que dans la prochaine loi sur l’investissement il y aura un terrain favorable», a tenu à lancer M. Amra Salim.

Du côté des distributeurs d’intrants, Mme Ibtisem Chabi, de la société Alsochem, relève la situation dramatique que vit le secteur suite aux dernières mesures sur les importations.

Pour cette chargée commerciale d’Alsochem, filiale du groupe Reda, et spécialisée dans la distribution de la matière première pour l’agroalimentaire, que ce soient les jus, confiseries ou autres, beaucoup d’acteurs de la filière ont carrément fermé depuis des mois. «Nous sommes toujours en attente, même s’il y a encore certains produits qu’on peut importer, mais d’autres encore primordiaux sont toujours interdits», a-t-elle relevé.

Et d’ajouter : «On s’attendait qu’après la Covid, les choses allaient s’améliorer et on se retrouve face à beaucoup de restrictions et de nouvelles mesures coercitives. Du coup, nos clients ne sont pas satisfaits puisqu’on a pas pu honorer nos engagements».

Plus explicite, il a indiqué, par exemple, que dans le dédouanement, il y a des positions tarifaires qui sont complètement bloquées et il y a aussi la loi pour séparer les codes d’activités, certificat de respect, etc. «C’était très difficile pour nous de répondre à tout cela. En plus, il y a la crise mondiale dans les matières où il y a pénurie. Donc, on a été bloqué de partout», a-t-elle martelé.

«On a été libérés pour certains produits, mais on fait face à d’autres problèmes comme les amidons modifiés, alors que l’Algérie ne les produit pas. Certes, elle produit des amidons, mais pas les amidons modifiés. S’il y avait une production locale, personne ne recourrait à l’importation. Et produire localement ne se fait pas du jour au lendemain, il faut préparer le terrain à long terme. Ce qui se passe ne fait que pénaliser la filière.

C’est bien de canaliser les importations, mais pas de bloquer les distributeurs», a-t-elle conclu. Des cris d’alarme de certains intervenants de la filière boissons, non alcoolisées en Algérie dont le consommateur commence à demander la qualité, et à chercher des produits sains, même s’il est en perte de pouvoir d’achat.

Une filière qui fait travailler plus de 150 000 personnes pour un marché de près de 800 millions d’euros avec de bons acteurs, nous a-t-on fait savoir. L’Algérien consomme une moyenne de 17 litres par personne par an. «Beaucoup moins que l’Européen, mais assez bien par rapport à l’Africain», a-t-on relevé. 

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