Procès de l’ancien ministre de la justice Tayeb Louh et Noah Kouninef : La défense dénonce l’absence des magistrats témoins à charge

02/03/2022 mis à jour: 01:22
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Les avocats ont tous insisté sur la «prescription» des faits

Le procès de l’ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh, son ex-inspecteur général Tayeb Benhachem et de l’homme d’affaires Tarek-Noah Kouninef, s’est terminé lundi dernier, en fin de journée, après les longues plaidoiries de la défense. 
 

Les avocats ont tous insisté sur la «prescription» des faits. Selon eux, ces derniers remontent au mois de février 2016, alors que la poursuite a été engagée en septembre 2019. «Nous sommes devant des délits qui tombent sous le coup de la prescription, après trois années, sans actes de procédure. 

Le tribunal doit prononcer le non-lieu», ont-ils clamé. Me Abdelaziz Medjdouba a estimé que «principalement, le dossier est touché par la prescription et accessoirement, les éléments constitutifs des griefs ne sont pas réunis». Pour l’avocat, «il n’y a aucun fait lié au transfert de fonds vers l’étranger ou au blanchiment d’argent, y compris contre Tarek Kouninef, pour que l’affaire soit exempte de la prescription». 

Abondant dans le même sens, Me Brahimi s’est offusqué de l’instruction qui, selon lui, s’est faite «à charge et à surcharge». Tout en félicitant le procureur «pour son courage» de réclamer 10 ans de prison contre Louh, l’avocat a dit avoir «honte pour la justice de notre pays» avant de revenir aux faits : «A supposer que Louh ait donné des directives. Il l’avait fait lors de l’instruction, au moment où Kouninef était présumé innocent. Il lui a évité la détention provisoire, qui est une mesure exceptionnelle, afin qu’il soit laissé en liberté, étant donné que cette mesure doit être la règle générale. Malheureusement, aujourd’hui, cette règle a été inversée.» 
 

Constituée des avocats Nadir Lakhdari et Bahia Kheddar, la défense de Tarek-Noah Kouninef a été virulente à l’égard du procureur. «Nous sommes choqués par le fait que le parquet requière 10 ans de prison contre le prévenu, sur la base de sa condamnation précédant à 15 ans de prison pour ‘‘trafic d’influence’’. Que faisons-nous ici ? Est-ce que sa condamnation est déjà prête ? Est-il concevable que l’on se base sur d’autres faits pour faire son réquisitoire ?

 Cela veut dire que Kouninef doit être condamné à 10 ans de prison», a déclaré Me Kheddar. Elle s’est demandée «où se situe la responsabilité» de son mandant  dans le fait qu’il n’a pas eu un numéro d’écrou pour vider son mandat d’arrêt ou dans celui de l’existence d’instructions pour régulariser sa situation. «Si ces instructions existent, ce sont vos collègues qui les ont exécutées et non pas Kouninef», dit-elle. 
 

Et d’ajouter : «Si on vous demande d’exécuter une directive sous peine d’être muté à Reggane, qu’auriez-vous fait ? Vous auriez certainement opté pour Reggane, parce qu’on vous connaît. Ici, on a coupé la chaîne d’accusation. Tous les auteurs sont devenus des témoins et leurs propos constituent, au vu de la loi, de simples déclarations sans aucune valeur juridique.» 
 

Me Kheddar revient sur le contentieux qui opposait Kouninef aux Douanes : «Il n’y a jamais eu de transaction comme l’a affirmé le procureur. La banque Baraka, domiciliataire de l’opération d’importation, a adressé, le 22 octobre 2014, un courrier aux Douanes, leur confirmant le règlement du contentieux pour lequel elle avait déposé plainte contre Kouninef en 2013. 

Une copie de cette lettre a été remise au juge par les Douanes, mais elle n’existe pas dans le dossier. Le listing des communications, sur lequel reposent les faits est également inexistant. Ce document fait état d’un échange de 16 communications téléphoniques entre le ministre et son inspecteur général, au moment où Noah était au tribunal de Mostaganem. 

A supposer qu’il y ait eu des instructions verbales du ministre, vos collègues ont rendu les décisions librement et ils sont rentrés chez eux. Si vous condamnez Noah Kouninef, ne le faites pas en vous basant sur sa condamnation de 15 ans. Il est là comme simple justiciable.» 
 

Abondant dans le même sens, Nadir Lakhdari a évoqué «un précédent judiciaire» et qualifié d’«anormal» que l’on interroge des magistrats sur des instructions verbales. Pour l’avocat, «la crédibilité de la justice est foulée aux pieds. Kouninef a vidé ses mandats d’arrêt et a été laissé en liberté. Où est le préjudice ? Pourquoi n’avez-vous pas poursuivi l’ancien ministre de la Justice (Ndlr : Belkacem Zeghmati), qui a réquisitionné les forces de l’ordre contre les magistrats à l’intérieur de la cour d’Oran ?» 
 

La défense de Tayeb Benhachem, a été très succincte. Pour elle, le mis en cause agissait comme «simple courroie de transmission» entre le ministre et les magistrats, et ce, «dans le cadre de ses prérogatives». Et de demander : «Pourquoi ces magistrats qui disent avoir subi des pressions et des menaces ne se sont pas constitués partie civile dans ce procès ?» 
 

Avant de lever l’audience, le président a donné la parole aux prévenus. D’abord à Tayeb Louh, qui, en s’adressant au procureur, a déclaré : «J’étais procureur et il m’arrivait de réclamer la relaxe ou l’application de la loi lorsque je constatais que le dossier était gonflé. 

Dans cette affaire, mon collègue le procureur n’a pas apporté de preuves pour argumenter sa demande de 10 ans de prison. Celui qui a engagé l’action publique a ouvert les portes de l’enfer sur l’Algérie. J’ai vécu longtemps dans les rouages de l’Etat. Notre pays a toujours été visé et continue à l’être.» Il s’est tourné vers le juge : «Je vous prie, je vous prie et je vous prie de lever cette injustice qui s’abat sur moi, à l’âge de 71 ans, après 41 ans de service.» 
 

Très irrité, Tarek-Noah Kouninef a demandé au tribunal de le voir comme «un simple justiciable», avant de clamer : «Je suis parti à Mostaganem pour régler un contentieux avec la justice. Je ne suis pas responsable de ce qui s’est passé. Je ne connais ni les magistrats ni l’inspecteur général.» Tayeb Benhachem réclame la relaxe en disant : «Comment puis-je payer une amende d’un million de dinars réclamée par le parquet alors que je n’ai qu’un euro et 26 000 DA sur mes comptes ?». Le verdict sera connu le 7 mars. 
 

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