Soixante ans après l’indépendance, la presse algérienne continue de faire du surplace.
Malgré l’avènement du pluralisme, les maux dont souffrent les médias, publics et privés, sont les mêmes. «En dépit des transformations de la politique médiatique en Algérie, la presse n’a pas réussi à changer le paradigme professionnel qui demeure, de 1962 à nos jours, intimement lié à la vision propagandiste du discours médiatique. De par sa nature rentière, l’entreprise médiatique reste dépendante sur le plan économique.
La presse est également prisonnière du système législatif, dont beaucoup de dispositions ne sont pas appliquées en raison de la gestion administrative et politique du système médiatique», résume Redouane Boudjema, professeur à l’Université Alger 3.
Intervenant hier à l’ouverture du forum international sur «Le soixantenaire du système médiatique en Algérie 1962-2022», organisé par cette université en collaboration avec la revue algérienne de la communication, l’orateur explique en détail ce triptyque du «mal» qui freine toute évolution de la presse algérienne.
Analysant les politiques adoptées dès l’indépendance du pays, les différentes législations produites et les pratiques connues jusque-là, le conférencier n’y est pas allé avec le dos de la cuillère pour dresser un véritable réquisitoire sur l’état des médias dans le pays. Se référant souvent aux positions du moudjahid et historien de la presse algérienne, feu Zoheir Ihaddaden, il souligne d’emblée la «mission propagandiste confiée par le système du parti unique aux médias». «Malheureusement, cette vision s’est poursuivie d’une manière ou d’une autre après l’avènement du pluralisme médiatique», regrette-t-il.
«Rupture avec le paradigme de la propagande»
Selon lui, ce paradigme de la propagande a installé l’entreprise de presse «dans une profonde crise». «Une rupture avec ce paradigme est nécessaire, car il nuit à la crédibilité des entreprises médiatiques et crée un fossé avec leurs publics», affirme-t-il.
La vision propagandiste de la presse, soutient-il, «n’est pas efficace et elle est même nuisible». «Ledit paradigme ne forme pas une opinion publique nationale. Pis, il l’offre sur un plateau aux médias étrangers», insiste-t-il, précisant que «la paradigme de la propagande ne peut convaincre un public qui a accès aux nouvelles technologies».
Le volet législatif, ajoute-t-il, a également sa part de responsabilité dans la crise profonde du système médiatique algérien. Le législateur algérien, indique-t-il, «continue à gérer les médias avec la même mentalité qui a prévalu sous le régime du parti unique». «Ils veut reconduire la même vision même pour la presse électronique», déplore-t-il.
Redouane Boudjema plaide, dans ce sens, par «un changement profond du dispositif législatif pour mettre en place des mécanismes pratiques à même de garantir la liberté de la presse, l’accès aux sources et le respect du droit constitutionnel du citoyen à l’information et à l’exercice de ses libertés politique, culturelle, économique et sociale».
«Des entreprises rentières»
L’autre mal qui ronge la presse algérienne, souligne-t-il, «est la crise de son modèle économique». «La nature rentière des entreprises médiatiques a contribué à leur échec. Nous nous sommes retrouvés avec des sociétés fragiles économiquement.
La majorité d’entre elles a produit des patrons riches, tout en enfonçant les journalistes dans la précarité et la pauvreté», dit-il. Intervenant par la même occasion, Salah Benbouza, enseignant à la même université, estime que «la situation des politiques médiatiques en Algérie ne peut être dissociée des politiques publiques générales». «Comme il n’y a pas d’entente, depuis l’indépendance, sur les politiques publiques, cela s’applique aussi sur les médias», déclare-t-il.
Selon lui, le pluralisme médiatique «était boiteux dès le début, car il n’a pas pris en compte les règles de la pluralité, et ses conséquences nous les vivons toujours». Ce forum, qui se poursuivra aujourd’hui, abordera aussi plusieurs problématiques, dont «Les rapports presse-pouvoir», «L’influence des forces politiques et économiques sur le développement du système médiatique» et «Les défis».
Le mandat de l’ARAV a expiré la semaine dernière
Le mandat de l’Autorité de régulation de l’activité audiovisuelle (ARAV) a expiré la semaine dernière, affirme Redouane Boudjema, professeur à l’université d’Alger. Intervenant à l’ouverture, hier à Alger, du forum international sur «Le soixantenaire du système médiatique algérien 1962-2022», il affirme que «ce fait est passé sous silence jusqu’à maintenant».
L’enseignant, qui a déploré la situation de l’audiovisuel en Algérie, où les chaînes privées lancées depuis 2013 sont toujours considérées comme des médias étrangers, précise que l’ARAV n’a produit, durant les six dernières années, aucun rapport, alors que la loi l’oblige à le faire chaque année. M. M.