Triste mardi 22 mars. La nouvelle du décès du journaliste Kamel Ghimouz plonge la ville de Constantine dans la consternation et la stupéfaction. Ses parents, des confrères et des amis de la presse l’accompagnent à sa dernière demeure, au cimetière de Aïn Smara, en quête d’une fenêtre ouverte, d’une fenêtre éclairée, au bout de leur chagrin. Il n’avait que 56 ans.
Kamel Ghimouz, chef de bureau du quotidien Liberté, est parti prématurément, comme avant lui Nasser Hannachi et Adlene Hamidechi. On le savait souffrant depuis quelques mois, mais on comptait sur sa résilience pour s’en remettre et retrouver le terrain.
C’est un coup de trop dans le corps frêle de la corporation, fragilisée par la décrépitude économique et morale de la profession. La blessure se gâte, et le deuil se prolonge. Il ne reste que le souvenir et l’empreinte de l’homme. Ghimouz a réalisé un parcours honorable entamé au journal Le Matin, et ensuite au Soir d’Algérie, où il est resté plus d’une vingtaine d’années en tant que chef de bureau, avant de rejoindre Liberté en 2018. Il était attaché à un journalisme libre, sans concessions.
Il était syndicaliste, amoureux de Brel et des belles lettres. Il mettait sa plume immanquablement au service des causes démocratiques, la liberté de la presse en premier. Des qualités rares par ces temps de reniements. Kamel Ghimouz est le cinquième journaliste que la corporation locale perd en moins d’une année.
Comme si la grande dépression dont souffre le métier à cause de la répression politique et de la récession économique ne suffisait pas, la mort a frappé sous prétexte de la Covid-19, ou autres maudits cancers. Son dernier post Facebook, il l’avait dédié à son confrère Nasser Hannachi, correspondant du quotidien Horizons à Constantine. C’était le 21 décembre dernier, Nasser venait de succomber au virus après avoir résisté deux semaines sur un lit d’hôpital.
La nouvelle tombe comme la foudre sur la ville, notamment parmi les journalistes qui avaient beaucoup d’estime pour lui, pour sa droiture, sa rigueur professionnelle et sa fierté qu’il ne monnayait sous aucun prétexte.
Nasser était retourné depuis quelques années à Horizons où il avait commencé en 1993. Durant les années 2000, il avait mis sa plume au service des journaux Le Matin et Liberté, comme correspondant sportif, et avait fait ensuite de longues années à La Tribune, où il a déployé toutes ses compétences, notamment sur les pages culturelles où s’est épanouie sa fibre artistique. Sa disparition fut inattendue, tout comme celle de Adlene Hamidechi, le premier à tirer sa révérence en cette année noire.
Le 18 juillet 2021, Adlene est emporté par une leucémie foudroyante. Il n’avait que 49 ans. Adlene a fait l’essentiel de sa carrière au bureau régional d’El Khabar à Constantine. Ses compétences lui permettent de s’imposer dans la presse sportive nationale comme une référence, d’où la confiance placée en lui par la direction du premier journal arabophone pour créer et diriger El Khabar Erriadhi.
Grâce à lui, la presse sportive à Constantine retrouve son lustre d’antan, celui qu’elle avait forgé du temps d’El Hadef où avait brillé une génération de journalistes de talent qui allait devenir l’école pour la postériorité, parmi lesquels Selim Mesbah, Mustapha Maanceri, Aziz Rahmani, Mohamed Kamas et le père de Adlene, Boubakeur Hamidechi.
Tel père tel fils. Adlene rêve cependant de monter sa propre publication sportive ; un but qu’il atteint avec la création en 2019 d’El Mohtarif (le Pro), un quotidien sportif qu’il projetait de transformer en chaîne de télévision. Kamel Ghimouz, Nasser Hannachi et Adlene Hamidechi avaient bouclé chacun trois décennies dans ce métier et restaient toujours jeunes.
Ils avaient encore beaucoup à donner à la presse locale et nationale. La presse constantinoise a perdu aussi cette année Abderrahim Kadoum, journaliste retraité d’An-Nasr, et Mustapha Bouchetib, ancien journaliste de l’APS, tous les deux emportés par des complications dues à la Covid-19.
Ils sont partis, nous laissant la douleur d’en parler au passé, mais aussi de doux souvenirs et des signatures indélébiles. Des journalistes qui meurent, c’est comme des arbres qui tombent. Mais c’est aussi des graines qui germent dans une terre nouvelle.