Près de 10 000 subsahariens transitent par la localité nigérienne chaque mois : Agadez, plaque tournante de l’immigration clandestine au Sahel

08/05/2024 mis à jour: 00:04
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Le trafic de migrants est un business qui rapporte beaucoup d’argent à certains pouvoirs en place au Sahel - Photo : D. R.

La junte militaire au Niger ne coopère plus dans la lutte contre l’immigration irrégulière depuis novembre 2023. La ville d’Agadez, au centre du pays, redevient la plaque tournante du trafic de migrants vers le Nord.

L’activité de la migration irrégulière a repris depuis décembre 2023 à une cadence élevée. Près de 10 000 migrants tentent chaque mois de rallier l’Europe depuis la ville nigériane d’Agadez.

Ce fut suite à l’abrogation par les autorités de Niamey de la loi, instaurée en 2015, criminalisant le trafic des migrants. C’était l’une des premières décisions prises par la junte militaire qui s’est installée au pouvoir le 26 juillet 2023 au Niger, après avoir renversé le président élu, Mohamed Bazoum, en réaction aux sanctions de la communauté internationale. 

La position du Niger, prise le 26 novembre 2023, a provoqué les regrets de l’Union européenne qui avait annoncé, dès le lendemain, que pareille décision allait entraîner l’augmentation des flux migratoires vers l’Europe. C’est maintenant chose faite, la ville d’Agadez, au centre du Niger, a déjà repris son statut de plaque tournante de la migration irrégulière, provenant surtout de l’Afrique de l’Ouest, notamment du Burkina, voisin, du Mali et de la Guinée, si l’on se réfère aux statistiques des services de migration en Italie.

Les citoyens du Niger préfèrent, semble-t-il, rester dans les pays maghrébins et ne sont pas tentés par l’eldorado européen, bien que les Nigériens constituent les trois quarts des convois de migrants. Des migrants rencontrés à Tripoli indiquent que les départs en provenance d’Agadez s’opèrent tous les mardis et jeudis, par petites voitures 4x4, des Toyota Hilux en général, ou par camions.

Chaque convoi pourrait comprendre 15 à 20 de ces moyens de transport. «La frontières avec la Libye n’est plus aussi poreuse qu’en 2015 ; les contrôles sont devenus plus fréquents», raconte le Burkinabè Mamadou, travaillant comme gardien à la cité El Andalous à Tripoli. Mamadou attire l’attention sur le fait que le coût de la traversée a quadruplé depuis 2015.

«Il faut entre 550 et 600 euros maintenant pour arriver au nord de la Libye, alors que c’était autour de 150 euros auparavant», ajoute-t-il, en expliquant que «la situation sécuritaire s’est nettement stabilisée en Libye, ce qui exige davantage de dessous-de-table». Le parcours d’Agadez au nord de la Libye dure cinq jours et le convoi est escorté par des patrouilles de l’armée nigériane, jusqu’à la frontière, pour éviter les attaques des brigands sur la route, toujours selon ce Burkinabè.

Business lucratif

Les citoyens d’Agadez se sont réjouis de la décision de la junte militaire d’abolir la loi de 2015, interdisant le trafic des migrants. En effet, de nombreuses activités économiques tournent autour de ce trafic. «Tout le monde à Agadez gagne de l’argent grâce à la migration», explique Abdoulaye, un intermédiaire dans la vente des places sur les convois partants au Nord.

Il explique que «la sécurité des passagers est garantie puisqu’il y a toujours une feuille de route avec les noms des passagers et des chauffeurs et que tout le convoi est protégé par l’armée». La question de l’infiltration des terroristes n’a pas échappé à ce jeune Nigérian de 32 ans, membre du Syndicat des transporteurs, qui souligne qu’en vertu des accords de la Cédéao, «n’importe quel ressortissant de l’Union africaine peut voyager sur le continent tant qu’il dispose d’une pièce d’identité». 

Il paraît évident que la junte militaire au Niger a trouvé intéressant d’abolir l’accord de 2015 afin de permettre la reprise d’une activité économique génératrice de richesses pour les habitants d’Agadez et d’ailleurs. Ce souci traduit un véritable problème d’emplois et de création de richesses dans les pays du Sud, pourvoyeurs de migrants et pour lesquels la réunion de Rome a été tenue jeudi 2 mai entre l’Italie et les trois pays du Maghreb, l’Algérie, la Tunisie et la Libye.

Et c’est dans ce sens que le ministre algérien de l’Intérieur, Brahim Merad, a affirmé lors de cette conférence que la réponse à cette épineuse question de la migration irrégulière ne saurait être limitée aux mesures opérationnelles, sécuritaires et administratives ; et qu’il fallait se concentrer davantage sur une réponse aux causes profondes de ce phénomène.

Donc, la conférence de Rome et la situation à Agadez renvoient toutes les deux sur un phénomène complexe : celui du développement des pays pourvoyeurs de migrants, auquel les pays du Nord doivent apporter les fonds nécessaires.

Le plan Mattei, dont n’a cessé de parler la cheffe du gouvernement italien, Georgia Meloni, nécessite des milliards d’euros. Des milliards que Mme Meloni éprouve pour le moment des difficultés à trouver, surtout que l’UE ne veut pas vraiment mettre la main à la poche.

Conférence euro-libyenne sur la migration irrégulière fin Mai à Benghazi

Le gouvernement de Oussama Hamed, parrainé par le Parlement libyen, prévoit la tenue fin mai d’une conférence euro-libyenne concernant la migration irrégulière. L’Union européenne et l’Italie seront les principaux acteurs de cette conférence aux côtés de la Libye.

«C’est une tentative de la part des autorités de l’Est libyen de dire qu’elles ont également leur mot à dire sur le sujet», explique le politologue Ezzeddine Aguil à El Watan. Par ailleurs, et hormis la réunion au sommet algéro-tuniso-libyenne tenue en avril dernier à Tunis, qui a parlé de cette problématique, d’autres tractations sont en cours entre la Libye et l’Union européenne, en vue de coordonner leurs actions en matière de lutte contre la migration irrégulière.

L’UE a récemment convenu avec la Libye de renforcer les dispositifs de prise en charge des Soudanais, fuyant leur pays en guerre et arrivant à la ville de Kofra, passage obligé au sud-est de la Libye. Au vu des récentes rencontres, il ressort que tous les belligérants libyens cherchent à avoir leur mot à dire sur cet épineux dossier. M. S.

 

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