Le marché mondial des matières premières est en ébullition au même titre que les places financières mondiales. L’invasion russe en Ukraine avant-hier a eu comme premiers effets la chute des places financières européennes et des Bourses asiatiques mais surtout la flambée des prix des matières premières.
C’est le cas précisément pour le blé, les deux pays étant deux acteurs majeurs du marché mondial de ce produit. L’Ukraine et la Russie pèsent en effet lourdement dans ce marché. Globalement, le blé russe représente de 75 à 85 millions de tonnes par an, soit entre 10 et 12% de la production mondiale. La Russie est le premier exportateur au monde depuis 2016. Elle exporte une tonne sur deux récoltées. Soit l’équivalent de 35 à 40 millions de tonnes de blé exportées par an, c’est-à-dire 20 à 23% du total mondial.
L’Ukraine, pour sa part, s’accapare 12% des exportations mondiales de blé et vend en outre la moitié de l’huile de tournesol mondiale. Ce pays alimente également le marché mondial en maïs. Rien qu’à début février, l’Ukraine disposait encore de plus de 6,3 millions de tonnes de blé tendre à exporter, soit une quantité record pour cette période de l’année. Habituellement, sur les mois de février et mars, le pays compte pour 8 à 10% du marché mondial. Du côté du maïs, le constat est encore plus lourd, car le pays compte habituellement pour 25 à 30% du commerce des quatre grands exportateurs sur cette même période. C’est ce qui explique tout cet impact sur les prix. Sur le marché européen, le blé a enregistré jeudi dernier un pic totalement inédit à 344 euros la tonne sur Euronext, en hausse de près de 12% par rapport à son cours de clôture de la veille, et son plus haut niveau historique. Et ce, avant de redescendre à 320 dollars, selon les informations rapportées par les agences.
A Chicago, c’est le cours le plus haut depuis juillet 2012, atteignant 9,26 dollars le boisseau (27 kg), progressant de 5,7%. Les prix du blé meunier étaient encore en baisse hier à l’ouverture d’Euronext. Mais suffisamment hauts. Le blé pour livraison en mars 2022 a ainsi ouvert à 308,50 euros. La tonne de blé meunier reculait de 4,75 euros sur l’échéance de mars à 311,75 euros et de 4,25 euros sur l’échéance de mai à 310,75 euros, pour environ 18 000 lots échangés.
Les cours du maïs, dont l’Ukraine est le quatrième exportateur mondial, se sont envolés dès l’ouverture, quelques heures après le début de l’invasion russe de l’Ukraine. Même s’il est encore trop tôt pour mesurer l’impact à long terme de l’invasion russe en Ukraine sur les cours des matières premières, la hausse commence déjà à s’installer et inquiète les pays importateurs. Pour le cabinet Agritel, il est d’ailleurs difficile, «dans le contexte actuellement, de prévoir l’intégralité des conséquences de l’action russe sur les marchés, sachant que des ports, comme Marioupol ou Odessa, deviennent inopérants en raison des bombardements. Dans ce contexte, les exports au départ de la mer Noire sont interrompus, avec pour implication une hausse des cours tous produits confondus».
Dimension géopolitique du blé
Si la situation perdure, les conséquences seront, selon les analystes, «extrêmement graves pour la sécurité alimentaire au Moyen-Orient et en Afrique du Nord», qui représentaient, faut-il le noter, 40% des exportations ukrainiennes de maïs et de blé en 2021.
Le magazine américain Foreign Policy met de son côté en garde contre une crise alimentaire dans le monde, notamment en Afrique et en Asie, suite aux tensions entre la Russie et l’Ukraine. Le rapport affirme dans ce sillage qu’une grande partie des terres agricoles productives de l’Ukraine se trouvent dans ces régions orientales, qui sont les zones les plus exposées à l’attaque russe. «Les deux bassins à très forte dépendance céréalière se situent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, on y consomme beaucoup de blé, mais on ne produit pas assez par rapport à la demande. Quand la Russie a déployé ses exportations, elle a principalement visé ces deux zones géographiques», a indiqué à ce sujet Sébastien Abis, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), dans un entretien au journal français l’Eco. Il rappellera que le premier acheteur de blé russe reste l’Egypte, avec 13 à 14 millions de tonnes de blé par an. La Turquie achète entre 6 et 8 millions de tonnes chaque année, alors qu’en 2021-2022, 10% du blé acheté par l’Algérie est d’origine russe. Des rappels qui soulignent la dépendance de ces pays vis-à-vis des importations mais qui viennent également montrer, selon Sébastien Abis, qu’il «y a très souvent des variables alimentaires et des questions céréalières dans les phénomènes géopolitiques». «Le blé fait partie de cette catégorie de produits sensibles qu’il faut regarder dans cette dimension géopolitique. Il a toujours été utilisé soit comme une arme de paix, soit comme une arme de rivalité, de coercition, d’opposition», a-t-il relevé.