Le 28e Congrès national de la société algérienne de médecine interne (SAMI) s’est clôturé samedi. Tenu sur 3 jours à Sétif, le congrès a vu la participation de nombreux experts, nationaux et internationaux, venus animer des conférences.
D’ailleurs, le choix des thèmes a été, une nouvelle fois, judicieux, touchant à plusieurs aspects de la médecine interne avec leurs actualités, leurs impacts sur la pratique quotidienne et retombées tant sur le plan scientifique que santé publique. Dans cet entretien, le Pr Rachid Malek, président de la société algérienne de médecine interne (SAMI), revient sur les thématiques abordées, leur importance et délivre quelques recommandations en ce qui concerne la prise en charge.
Propos recueillis par Sofia Ouahib
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-Quelle est la nouveauté cette année ?
Dans notre politique interne, le congrès de la SAMI, après le congrès franco-maghrébin d’Alger, se localise à l’Est et la ville de Sétif s’y prête bien. Cette année d’ailleurs, nous avons décidé d’aborder les manifestations neurologiques des maladies systémiques, le risque cardiovasculaire des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires et le diabète sucré avec ses comorbidités. Il y a de la santé publique, de la recherche et l’update concernant ces trois thèmes. Mais comme vous pouvez le remarquer, la médecine interne est dans le cadre de l’interdisciplinarité et d’échanges que ca soit sur le plan national qu’international.
-Sur quoi l’accent a été mis ?
Les trois aspects intéressants sont la mise à jour des connaissances des praticiens à commencer par les internistes, les médecins généralistes et toute autre spécialité concernée par les thèmes retenus. D’ailleurs, nous avons une session qu’on partage avec nos confrères les néphrologues de la SANDT sur le lupus érythémateux systémiques et les vascularites. Il faut savoir que discuter des points et renforcer le partenariat facilitera la tâche aux praticiens et surtout aux patients. L’année dernière, nos amis les néphrologues nous avaient invités à un débat sur le diabète et les nouvelles classes thérapeutiques. La société française de médecine interne était également représentée et a donné son expertise à travers toute une séance sur les manifestations neurologiques des maladies systémiques.
-Pourquoi ce 28e Congrès est important ?
Le chiffre 28 est important. Je pense d’abord à la pérennité du congrès, au nombre important des internistes et à la continuation de tout ce qui a été fait par nos prédécesseurs depuis la création de la société depuis 1994 et qui rend la SAMI parmi les plus anciennes en Algérie. C’est un congrès en présentiel et qui draine toute l’Algérie, avec beaucoup de spécialités. D’ailleurs, nous avons compté une participation de tous les CHU avec un nombre de propositions d’abstract qui a dépassé les 800, dont 500 travaux ont été retenus. Cela dénote de l’engagement des universitaires de la médecine interne et d’autres pour le travail accompli. Transmettre le flambeau aux jeunes et les valoriser fait partie de nos objectifs puisque on va concrétiser la SAMI junior. Évidemment tout ce travail, c’est grâce à la collaboration effective de tous les membres du bureau de la SAMI.
-Divers thèmes concernant les maladies prévalant en Algérie, telles que le diabète, l’hypertension artérielle et les maladies métaboliques, ainsi que les maladies rares, comme l’auto-inflammatoire et les maladies systémiques seront abordés. Pourquoi ces maladies précisément ?
A chaque manifestation scientifique, nous nous posons toujours les mêmes questions : qu’est-ce qui préoccupe nos praticiens et nos patients et qu’est-ce qui touche à l’actualité. A partir du constat, on détermine, après concertation, des thèmes les plus appropriés pour répondre à nos soucis. Les maladies choisis rentrent souvent déjà dans un cadre de chronicité, avec souvent des conséquences sur la morbi mortalité, et socioéconomiques, sans oublier l’énorme fardeau sur nos patients. L’objectif est d’alléger les souffrances des patients en améliorant leur confort, l’accès aux soins et en dédramatisant, tout en les déculpabilisant. Il est très difficile de surmonter les problèmes posés par ces maladies, tant pour les praticiens que pour les patients. Evidemment, les maladies choisies font partie de notre pratique quotidienne. De plus, la médecine avance et nul n’est censé ignorer les avancées thérapeutiques et technologiques. Notre société savante essaye de trouver des consensus et nous sommes tout le temps en discussion avec les autorités gouvernementales pour tomber sur des consens qui arrangeraient tout le monde.
-Avez-vous constaté une hausse en ce qui concerne ces maladies ?
Les chiffres exacts doivent découler d’enquête, de registres nationaux ou régionaux ou de publications. Concernant le diabète, l’obésité et l’HTA, on a des chiffres assez précis grâce à la dernière enquête STEPwise OMS du ministère de la Santé (2016-2017). Au-delà des chiffres, c’est la progression galopante de ces maladies chroniques non transmissibles de plus de 75% en 15 ans avec une prévalence de 14,4% pour le diabète, 30% pour l’obésité chez la femme et 14,4% pour l’homme. Pour les maladies du système, auto-immunes et auto-inflammatoire, c’est plutôt des statistiques hospitalières, mais qui comptent énormément de par la complexité de la prise en charge. Leur diagnostic est souvent à notre portée, mais ce sont certaines complications cardiovasculaires, neurologiques, rénales et autres qui compliquent les choses. C’est pour toutes ces raisons qu’on doit rendre hommage à tous les hospitalo-universitaires et médecins des secteurs public et libéral pour leur engagements sans faille.
-Le diabète est au cœur de tous les débats...
Comment s’y extraire ! C’est la pandémie du siècle et est indissociable de l’obésité. 537 millions de diabétiques actuellement dans le monde avec probablement plus 700 millions d’ici 2045, selon les projections de la Fédération internationale du diabète (IDF). Tout le monde est concerné puisque sur 100 personnes, presque 15 sont concernées avec une personne vivant avec le diabète sur 3 qui ne le savent pas. Notre politique a toujours été de dépister le plus possible de patients chez la population à risque de développer le diabète (plus de 35 ans, d’âge, surcharge ou obésité, HTA, hyperlipémie, femme qui a eu un gros bébé de plus de 4 kg, etc.). A mon avis, nous n’avons presque plus de problème de diagnostic. La prise en charge des complications est parfois laborieuse par manque de moyens humains ou matériel.
A titre d’exemple, en ce qui concerne le pied, dont la population des patients vivant avec le diabète souffre, un guide a été élaboré entre le ministère de la Santé et des experts en vue de circulaires et d’instructions ministérielles pour faciliter l’accès aux soins à cette catégorie de patients. Ça a commencé, une évaluation est prévue par les autorités ainsi qu’un feed-back des patients et des praticiens.
On s’intéresse aussi au diabète, car il est tout à fait possible de le prévenir, de retarder et maintenir prévenir aussi certaines complications rénales et cardio-vasculaires. Pour ce faire les patients doivent disposer des nouvelles technologies de surveillance de la glycémie (CGM) pour les diabétiques sous insuline et certaines catégories de patients. Le manque de pompes à insuline pour les DT1 est en discussion. Il y a aussi des classes médicamenteuses dont certaines ne sont plus nouvelles puisqu’elles datent de plus de 10 ans et qui doivent être à la portée de certains profils de patients de type 2.
Il faudrait envisager tous les moyens avec un partage entre les experts et les payeurs pour trouver des solutions potentielles, sans pour autant aggraver les choses pour les uns et pour les autres. N’oublions pas que le patient est au centre de tout. Améliorer sa qualité de vie, passer de 1800 piqûres d’autosurveillance / an à 25 n’a pas de prix, sans compter l’amélioration qu’apportent ces nouvelles technologies sur l’équilibre glycémique, la réduction des hypoglycémies, le bien-être et le confort des patients et leur familles (mamans des enfants DT1).Nous avons d’autres préoccupations, notamment la transition des patients DT1 de la pédiatrie vers les médecins adultes.
Des équipes commencent à toucher du doigt cette problématique pour éviter de rompre, ne serait-ce que transitoirement la prise en charge et le suivi des patients. Pour les insulines, nous n’avons pas de soucis, nous attendons impatiemment l’arrivée des analogues basales de 2e génération.
Les enfants sont également concernés par le diabète…
Il existe au moins deux catégories de patients. Pour le diabète de type 1, nous assistons à une augmentation spectaculaire de l’incidence chez les moins de 15 ans. En effet, nous sommes passés d’une incidence de 4/100 000 dans les années 1980 à 30/100 000 actuellement. Cette catégorie de patients a besoin de pompes à insuline et de nouvelles technologies (CGM) pour leur surveillance glycémique. En ce qui concerne le diabète de type 2 (DT2), intimement lié à l’obésité et qui peut survenir dès l’âge de 10 ans, c’est comme le DT2 de l’adulte, mais avec une survenue précoce et des complications cardiovasculaires précoces.
Dans ce type de diabète, la prévention est la première mesure à entreprendre pour ne pas rejoindre les pays occidentaux. Le changement de mode de vie en évitant les mauvaises habitudes alimentaires et la pratique du sport dès l’enfance représentent l’essentiel de la prévention.
-Est-ce plus héréditaire ou bien la conséquence d’une mauvaise hygiène de vie ?
Pour le diabète de type 2, l’hérédité représente un facteur de risque auquel sera surajouté, l’obésité, une hygiène de vie délétère et la présence d’autres facteurs de risque du diabète de type. C’est souvent plusieurs facteurs de risque qui agissent ensemble. Le DT1 par contre reste dans la majorité des cas une maladie auto-immunes avec d’autres facteurs environnementaux (ex-virus, etc.). Ce qui d’actualité et c’est que pour la première dans l’histoire du DT1, l’utilisation de médicaments (anticorps monoclonaux) approuvés par la FDA permet des rémissions jusqu’à environ 2 ans. De l’espoir pour les DT1.
-Les maladies cardiovasculaires seraient la première cause de mortalité en Algérie. Avons-nous des chiffres en ce qui concerne cette pathologie ?
Oui parce que tous les MNT sont à l’origine de cette mortalité. Il s’y ajoute les complications CV des maladies systémiques, liées en partie à l’aggravation du RCV par la maladie auto-immune et son traitement (corticoïdes), le tabagisme.
Les chiffres se limitent souvent aux travaux de thèse de DESM qui se limitent à des séries hospitalières. Mais tout ce qu’on peut dire c’est que la mortalité cardiovasculaire est importante. Le taux de mortalité CV est souvent biaisée par les décès à domicile, majoritairement mis sous le compte d’une mort naturelle.
-Que recommandez-vous pour une meilleure prise en charge ?
La stratégie doit émaner des sociétés savantes des différentes disciplinaires, en ressortant tout ce qui est commun et complémentaire et évidemment en concertation avec la tutelle. Ce que l’on peut recommander par exemple est l’arrêt du tabac et toutes ses dérivés (cigarette électronique, chicha), dont les conséquences sont incommensurables et touchent de très près notre société. L’intervention des pouvoirs publics reste déterminante sur ce facteur de risque.
-Qu’en est-il des maladies rares en Algérie ?
Là aussi, nous avons beaucoup à faire et le ministère de la Santé s’est engagé dans cette prise en charge. Une réunion multidisciplinaire a d’ailleurs eu lieu au CIC il y a quelques mois avec le ministre. Il est important de trouver des solutions pour les patients et leur famille qui sont souvent dans le désarroi. La cherté des médicaments nous interpelle et le choix des patients à traiter reste déterminant pour les praticiens.
-Pensez-vous qu’on n’en parle pas assez de ce type de maladie ?
Heureusement que ces maladies sont rares, car il suffit d’un patient pour bouleverser la vie de toute la famille. Heureusement aussi qu’on en parle de plus en plus. Les principaux soucis demeurent parfois le retarddiagnostique, l’annonce diagnostique, le carrefour entre plusieurs spécialités et le coût de la prise en charge. Il faut beaucoup communiquer avec les patients et surtout les parents pour aborder tous les aspects liés à la pathologie.
Ce qui est également important, c’est la désignation et l’information sur les centres hospitaliers qui prennent en charge ce type de maladies pour éviter le nomadisme médical. Des choses simples qu’on peut améliorer et qu’on est justement en train de réaliser entre les sociétés savantes, le ministère de la Santé, avec l’aide de l’industrie pharmaceutique. La multiplication des formations médicales est aussi la pour tenir au courant l’ensemble de la corporation et les médecins généralistes et surtout pour un diagnostic précoce. L’essentiel c’est que cette catégorie de patients ne se sente pas seule.
-Certains malades souffrent de nombreuses pathologies en même temps. Quelle prise en charge pour ce type de malade ?
On est confronté à travers cette question à la problématique de la prise en charge. Le premier problème c’est la personne âgée avec ses particularités et qui nécessite une approche particulière. D’ailleurs, la gériatrie est en plein développement en attendant de véritables structures. Pour l’instant, cette catégorie de patients est souvent en médecine interne.
Le second problème est la polymédication avec les interférences médicamenteuses, dangereuse et pourvoyeuse de catastrophes, à l’exemple des conséquences rénales. Le troisième problème est de trouver un bon diagnostic, un bon suivi et optimiser le traitement, tout en pensant aux dépenses du patient. Ce n’est pas chose facile. Mais il y a des règles universelles à respecter, notamment l’écoute des patients, un bon interrogatoire et examen clinique, le minimum d’informations via une éducation thérapeutique et le respect de prescription médicamenteuse. Je terminerai par dire que la concertation entre les différentes spécialités est primordiale et il existe des solutions à tous les problèmes.