Pr Rachid Belhadj. Chef de service de médecine légale au CHU Mustapha Bacha : «Les pédophiles sont souvent des personnes qu’on ne soupçonne pas»

24/01/2024 mis à jour: 00:23
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Photo : D. R.

A la tête du service médico-légale du CHU Mustapha Pacha, dont dépend l’Unité médico-légale (UML) qui prend en charge les victimes de violence, le Pr Rachid Belhadj attire l’attention sur la pédophilie qui, selon lui, est en train de prendre des proportions alarmantes. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il met l’accent sur «la nécessité de se doter de moyens scientifiques de diagnostic, mais aussi de prélèvements des traces de l’agression, comme le séquenceur d’ADN et l’anuscopie pour identifier les pédophiles».

  • L’Unité médico-légale (UML) du service de médecine légale reçoit de plus en plus d’enfants victimes de violences sexuelles. Quelle explication avez-vous à donner ?

Des facteurs qui n’existaient pas avant les années 1990 ont rendu ce phénomène plus visible : le portable et les réseaux sociaux ont facilité le recrutement de victimes de violence, la culture sexuelle. Cela veut dire qu’il y a de plus de plus de fenêtres ouvertes. Le deuxième facteur, est l’avènement de la toxicomanie.

En réalité, l’information et la toxicomanie ont amplifié le phénomène dont les statistiques officielles cachent un chiffre noir qui reste, selon nos analyses, de loin  beaucoup plus important. Ce ne sont pas toutes les victimes qui consultent. Il y a la loi du silence. Beaucoup d’enfants, adolescentes ou d’adultes abusés, gardent le silence pendant des années. Il était important pour nous de changer la méthodologie de diagnostic pour la rendre plus efficace.

  • Avant d’arriver aux moyens, vous pointez du doigt les réseaux sociaux la culture sexuelle, etc., mais dans les rapports d’expertise, souvent l’agresseur, c’est-à-dire le pédophile se trouve dans le milieu familial. N’êtes-vous pas d’accord  ?

Nous avons vu de tout. Certes, il y a des agresseurs très proches des victimes. L’inceste représente 9% des violences sexuelles contre les enfants. Mais il y a d’autres pédophiles qui n’ont aucune relation avec la victime. Ce sont, ce que nous appelons, les prédateurs sexuels. Ils utilisent des moyens modernes pour attirer leurs victimes via les réseaux sociaux ou tout autre moyen de communication. Ils attirent les adolescentes vers des réseaux en liens avec l’argent et la drogue, pour les rendre dépendantes de ces deux éléments. Il y a aussi un phénomène nouveau où les agressions ont lieu dans des SPA qui s’apparentent plus à la prostitution.

  • Selon vous, s’agit-il de milieux où s’exerce la violence sexuelle ou de lieu de prostitution ?

Même la «travailleuse du sexe» est une victime. Pour nous, en tant que médecins, c’est une personne non consentante et vulnérable vu qu’elles viennent, généralement, d’un milieu social très difficile, à la recherche d’un emploi, sans aucun niveau d’instruction et sans aucune formation. Parfois, il y a aussi l’élément de la drogue qui vient se greffer à cette situation tragique.

  • Qu’en est-il de la prise en charge des migrants, victimes de violences sexuelles que vous prenez en charge à l’Unité médico-légale ?

C’est durant leur voyage que, généralement, les migrantes font l’objet de violences sexuelles commises souvent par des éléments de la bande organisée à laquelle, elles font appel pour rejoindre l’Algérie. Ce constat est récurent dans la plupart de nos études.

Ces victimes viennent à l’unité pour avoir un document médico-légal devant leur permettre de justifier auprès du Haut commissariat des réfugiés de l’Onu leur présence en Algérie. Elles parlent de situation d’agression sexuelle réelle ancienne et souvent dramatique et inhumaine. En fait, pour nous, le plus grand danger est la prostitution non contrôlée, surtout que des cas de sida ont été identifiés.

Pour revenir à la pédophilie, chez nous, je peux vous dire qu’elle existe depuis longtemps et s’exerce par des personnes souvent insoupçonnables. Le pédophile peut être le frère, le père, le cousin, le beau-père, le gardien, l’imam du quartier, l’enseignant qui donne des cours, ou le fils de la nourrisse qui garde les enfants. Nous avons eu des cas où ces violences ont été commises pendant que les parents étaient occupés par un enterrement, un mariage ou absents.

  • Pourquoi les enfants sont-ils au premier rang des victimes de violences sexuelles ?

Parce que pour l’agresseur, le témoignage d’un enfant est fragile. Il est tellement vulnérable qu’il a peur de dénoncer. Il y a des histoires qui nous marquent à vie. J’ai encore en mémoire celle d’un petit garçon qui m’a tellement fait de la peine, que des années après, je n’arrive pas à l’oublier. Son beau-père (le mari de sa mère) abusait de lui durant des années.

Il a commencé à faire ses besoins sur ses vêtements. Sa mère l’a emmené chez le médecin, ce dernier a constaté des lésions anales. Il l’a orienté vers notre service. Lorsque nous l’avons ausculté, nous étions sous le choc de ce qui nous avons vu comme dommages. Le pauvre enfant, n’avait plus d’anus. Il était violé tous les jours, des mois et des mois, durant des années sans que sa mère ne se rende compte.

Dans notre formation, nous apprenons en tant que médecins légiste, comment constater certaines formes de violences, comment faire le diagnostic et en déterminer l’auteur. Parfois, nous sommes confrontés aux faux témoignages des enfants. Il faut une gestion professionnelle basée sur des preuves formelles. Dans des histoires pareilles, nous n’avons pas droit à l’erreur.

Examiner une victime de violence sexuelle est un moment très particulier. Derrière chaque victime, il y a une histoire tragique, devant laquelle, toutes nos responsabilités éthiques, morales, déontologiques, scientifiques et juridiques sont engagées. Les moyens techniques et scientifiques aident énormément non seulement à trouver les traces des actes, mais aussi à confondre l’auteur.

Nous travaillons pour améliorer l’efficacité afin d’assurer un procès équitable pour les parties, c’est-à-dire donner aux juges, mais surtout aux avocats de victimes et de la partie adverse, des outils scientifiques pour se défendre. Nous faisons en sorte que la vérité soit connue. Vous vous imaginez la douleur des parents lorsqu’ils voient que le violeur de leur enfant a été libéré.

Nous avons eu des cas où l’agresseur, bien défendu par des avocats s’en sort, faute de preuves. J’ai vécu un cas, d’une adolescente qui n’avait aucun signe apparent de violence sexuelle. Ses parents l’ont ramenée pour un examen. Son silence était frappant. Même la psychologue n’a pas pu la faire parler. Quelques semaines après, elle s’est suicidée.

C’était terrible pour nous. Il y a aussi le cas inverse : un jeune qui faute de preuve de son innocence a été condamné, sur la base des déclarations de la victime. Parfois, il est condamné par le juge, sur la base de son casier judiciaire. Aujourd’hui, c’est la science qui permet d’obtenir des preuves irréfutables. Nous sommes à l’air de la numérisation. Nous devons accompagner la modernisation.

Actuellement, nous sommes en train de chercher des sponsors pour nous aider à nous doter d’un anuscope et de séquenceur d’ADN qui sont très importants dans les examens. Souvent, en cas d’utilisation de lubrifiant, les traces de viols sont extrêmement difficiles à trouver. Par contre, avec une anuscopie, on peut les déceler. C’est une preuve scientifique qu’on utilise aux Etats-Unis et en Grande Bretagne.

Ce phénomène est en train de prendre une ampleur inquiétante. Il y a quelques jours, nous avons eu un autiste de 16 ans, qui a été victime d’agression sexuelle. Comment en est-on arrivé à cela ? Ce sont les moyens techniques et scientifiques qui nous permettent d’identifier les auteurs de ces actes. Il est donc important que d’autres unités comme la nôtre puissent exister dans les grands centres urbains, à l’ouest, à l’est et au sud du pays, avant que ce phénomène nous échappe totalement.

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