Des spécialistes soutiennent que le système algérien de protection sociale a finalement perdu une partie du caractère assuranciel en faveur du caractère «assistanciel».
Menant depuis l’indépendance un système d’aides et de subventions dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’énergie et autres, l’Etat algérien se trouve actuellement face à une politique sociale chaotique. Cette politique marquée par la dépense de milliards de dollars durant des années ayant permis une évolution du cadre de vie à une certaine époque, connaîtra par la suite un recul social flagrant avec un risque de retour au point zéro.
Cette problématique a fait l’objet d’une rencontre organisée hier et qui se poursuivra aujourd’hui par le laboratoire «Etat, politique publique et stratégie gouvernementale» (EPPSG) à la faculté des sciences politiques de l’université Salah Boubnider Constantine 3. Les intervenants ayant abordé le thème du conclave intitulé «Les politiques sociales publiques en Algérie entre réalité et horizons» étaient unanimes pour une réforme du système social avec une évaluation rétrospective de tout ce qui a été fait jusqu’à présent.
Selon Abdelaziz Charabi, professeur en économie, tout est presque subventionné en Algérie qui n’avance pas beaucoup, malgré les nouvelles stratégies. «A l’époque, il y avait un monopole de l’Etat de tous les secteurs avant un nouveau changement du système. Mais, le problème chez nous est qu’on passe d’une politique à une autre, sans évaluation, faisant que les mêmes erreurs commises se répètent dans les nouvelles stratégies.
Une évaluation grâce à laquelle les pays développés ont avancé», a-t-il déclaré. Pour ce dernier, l’évaluation signifie le fait de mesurer l’efficacité et l’efficience des programmes et des politiques publiques retracées. Certains pays, ajoute-t-il, ont créé des ministères d’Evaluation indépendants qui travaillent avec des associations libres.
Selon le Pr Charabi, plusieurs politiques algériennes ont eu des effets négatifs sur l’Etat. Donc, la première exigence est l’indépendance des organismes d’évaluation continue, particulièrement l’association algérienne de la promotion de l’évaluation agréée en 2016. Le champ d’intervention de cette dernière demeure très limité. C’est pourquoi, selon ses dires, il est nécessaire de créer «un ministère léger» ou un organisme indépendant d’évaluation en parallèle des institutions officielles.
De son côté, le Dr Yasmina Ben Abderrahmane a abordé le système de protection sociale en Algérie qui empruntait à deux autres. Il s’agit d’une fusion du système bismarckien qui est le principe d’assurance, et le système beveridgien dont le principe est l’assistance. Deux modèles qui s’opposent. «La diversification dans le financement social a entraîné un accroissement des inégalités. L’Algérie a essayé d’unifier ce système avec la loi de 1983, donnant naissance à un seul régime donnant plus d’avantages pour tous.
Par ailleurs, le système algérien de protection sociale a finalement perdu une partie du caractère assuranciel en faveur du caractère assistanciel», a-t-elle indiqué. Et d’expliquer que cet écart qui se creuse chaque jour davantage se perçoit à travers de différents phénomènes, à l’instar du nombre des personnes au chômage, des employés embauchés par le privé non assurés et qui bénéficient des soins gratuits pour tous. Une hausse des prestations avec, en même temps, une diminution des cotisations.
Et c’est le budget social de l’Etat qui va contribuer à combler l’écart. Le Dr Benabderrahmane a soulevé qu’en dépit de l’évolution observée dans les différents domaines la crise persiste. Elle a cité à titre d’exemple le secteur de l’éducation qui s’est focalisé sur la quantité plus que sur la qualité.
L’intervenante a estimé qu’il est nécessaire de préciser les objectifs afin de bien évaluer la définition des rôles des différents intervenants (Etat, actifs, partenaires sociaux, secteurs privés). «Il faut qu’il y ait un meilleur ciblage des bénéficiaires avec la création de mécanismes favorisant le respect des conditions d’attribution des avantages, en associant le secteur privé.
Il faut élargir la couverture sociale, en créant plus d’emplois durables, pour lutter contre l’informel et relever le montant des dispositifs d’assistance sociale», a-t-elle recommandé. Pour sa part, le Pr Abdelaziz Charabi a proposé la création d’une nouvelle spécialité universitaire sur l’évaluation des politiques et les programmes publics, car, conclut-il, le nombre des évaluateurs connus et actifs sur le terrain ne dépasse pas le nombre des doigts des deux mains en Algérie.