Point de vue - L’inflation structurelle en Algérie : Quelle stratégie de retour à la stabilité financière et à la croissance ?

22/06/2024 mis à jour: 22:57
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Photo : D. R.

L’inflation qui persiste en Algérie depuis 2021 est de nature structurelle et a conduit à une crise du coût de la vie qui pose un défi majeur sur les plans social et macroéconomique, défi qu’il faudra relever sur le moyen terme. L’article ci-joint analyse les causes et conséquences de l’inflation en Algérie et propose une stratégie de désinflation sur le moyen terme qui repose sur cinq axes de réformes sur les plans macroéconomique, structurel et sectoriel.

L’inflation qui persiste en Algérie depuis 2021 est de nature structurelle et a conduit à une crise du coût de la vie qui pose un défi majeur sur les plans social et macroéconomique, défi qu’il faudra relever sur le moyen terme. A l’instar des autres pays du monde, l’inflation est repartie à la hausse en Algérie au cours de la pandémie avec une accélération particulière, à la faveur de la réouverture de l’économie mondiale en 2021 et de la guerre en Ukraine à partir de 2022. Dans un contexte de faible résilience et de politiques macroéconomiques inadaptées, ces trois chocs ont exacerbé les contraintes macroéconomique et structurelle internes qui entretenaient l’inflation des prix à la consommation.

Les autorités algériennes ont mis en œuvre plusieurs mesures budgétaires en 2022 et 2023 pour protéger les ménages contre la crise du coût de la vie. Nonobstant une certaine décélération de l’inflation au cours des premiers mois de 2024, la crise du coût de la vie continue d’éroder fortement le pouvoir d’achat des consommateurs, d’appauvrir les couches les plus vulnérables de la population, d’épuiser les épargnes des ménages et de réduire la visibilité économique des investisseurs.

Plus important, cette crise du coût de la vie bloque la croissance économique et contraint tout processus de refondation du modèle économique et social. Vu le caractère structurel de l’inflation, le désencrage des anticipations inflationnistes et la nature de ses déterminants (endogènes et exogènes), il est souhaitable de bâtir une stratégie globale et cohérente de désinflation et de croissance à moyen terme autour de mesures budgétaires, monétaires, structurelles et sectorielles fortes et complémentaires. Une telle stratégie doit être, bien entendu, articulée autour d’un projet plus vaste de refondation de l’économie du pays.

L’évolution de l’inflation entre 2000-2024 : (1) Période 2000-2009 : l’inflation moyenne reste sous contrôle à 3,9%, en dessous de l’objectif implicite de 4% de la Banque d’Algérie (BA) ; (2) Période 2010-2020 : (i) première envolée des prix à 8,9% en 2012, en raison du choc des produits de base en 2011 et de la forte hausse de la masse salariale en 2012 (injection de 240 milliards de DA) ; (ii) seconde envolée de l’inflation à 6,4% en 2016 du fait de la hausse des prix des biens manufacturés et alimentaires, des produits importés, des carburants, des tabacs, de certains produits de luxe, de la hausse de la TVA (à 9% et 19% en fonction des types de produits) et du financement monétaire du déficit ; (iii) légère décélération des prix à 5,6% en 2017 du fait du ralentissement des prix des biens manufacturés ; et (iv) émergence de pressions déflationnistes en 2019 et 2020 qui ont contribué à une baisse des prix à 2% et 2,4%, respectivement sous l’effet conjugué d’un effondrement des prix des produits de base, d’une excellente récolte agricole et d’une baisse des revenus liée à la pandémie (673000 personnes avaient perdu leur emploi) ; (3) Période 2021-2023 marquée par : (i) une accélérations de l’inflation à 7,2% en 2021 liée à une hausse des prix des produits alimentaires frais et des biens non alimentaires (en relation avec la dépréciation du taux de change) ; et (ii) un bond inflationniste à 9,3% en 2022 et 2023 du fait d’une augmentation des prix de toutes les composantes du panier.

Cette hausse est intervenue, en dépit des mesures prises par les autorités en 2022 (injection de 229 milliards de DA pour augmenter les salaires de la Fonction publique et octroyer une allocation pour les primo-demandeurs d’emploi) et en 2023 (injection de 465 milliards de DA pour augmenter les salaires et 300 milliards de DA pour financer des allocations chômage pour les nouveaux demandeurs d’emploi ainsi que les subventions alimentaires); et (4) Janvier - Avril 2024 : amorce d’une phase de décélération de l’inflation qui passera de 9,1% en janvier 2024 à 7.4% en avril 2024, en raison essentiellement d’un ralentissement des prix des fruits et légumes et des produits agricoles.

L’inflation qui demeure très élevée depuis sa résurgence en 2021 a conduit à une crise du coût de la vie. En raison : (1) de l’accentuation de l’écart entre la demande et l’offre de biens, en raison des dommages structurels causés au tissu économique par la pandémie et de la faiblesse des appuis budgétaires mis en place pour protéger les ménages ; (2) des politiques macroéconomiques incohérentes (une politique monétaire accommodante accompagnée d’une politique budgétaire expansionniste) ; (3) de la mise en œuvre de mesures budgétaires et monétaires ciblant les symptômes de l’inflation plutôt que ses causes réelles ;  (4) d’un taux de progression de l’activité économique inférieur de moitié à celui de la hausse des prix ; (5) d’un diagnostic erroné sur les déterminants de l’inflation (l’étude de la BA de 2022 couvrant la période 2011-2021 a conclu que la masse monétaire, les prix unitaires à l’importation et le taux de change effectif nominal étaient les déterminants de l’inflation (avec ces deux derniers facteurs contribuant à concurrence de 91% à l’inflation à long terme en Algérie) ; (6) de l’absence d’une stratégie globale et cohérente de désinflation ; (7) des perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales ; et (8) du désancrage des anticipations d’inflation de la part des acteurs économiques. 

Les déterminants de l’inflation. Trois études ont été conduites par les services du FMI sur la dynamique de l’inflation en Algérie en 2013 (couvrant la période 2002-2011), en 2017 (couvrant l’inflation de base entre 2003-2016) et en 2022 (couvrant la période 2002-2022).

Il ressort de ces travaux qui se complètent que la dynamique de l’inflation en Algérie reflète : (1) des facteurs macroéconomiques : à savoir l’output gap, la masse monétaire, le niveau des déficits budgétaires, la variation des prix des produits importés et la dépréciation tu taux de change effectif nominal ; (2) des facteurs structurels externes : la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales ; et (3) des facteurs structurels internes, notamment (i) un excès de demande pérenne dans de nombreux secteurs produisant des biens composant le panier de l’IPC ; et (ii) des circuits de distribution affaiblis par un manque de concurrence, des pratiques commerciales illicites et déloyales et une forte concentration. Ces éléments sont cruciaux pour formuler une politique de revenus ou une politique monétaire appropriée.

Le dispositif actuel de lutte contre l’inflation n’est pas performant, en raison des trois contraintes. 
Un système hybride de formation des prix qui réprime l’inflation : ce dernier a été mis en place après les réformes des années 1990 et combine des subventions de prix et des contrôles de prix et de marges, facteurs de répression de l’inflation. Les subventions explicites (sur les biens essentiels) et implicites (produits vendus en dessous du coût de production) représentent, désormais, 13,3% du PIB en 2023.

Les réglementations sur les prix et les marges affectent divers secteurs et divers biens et sont censés stabiliser les prix. Bien au contraire, ces outils sont source de pressions inflationnistes. In fine, cette répression de l’inflation favorise le marché parallèle, entretient la corruption et la thésaurisation et affaiblit globalement les politiques anti-inflationnistes.

La mesure de l’inflation est inadéquate, au vu de l’obsolescence des outils disponibles. La mesure de l’inflation combine la mesure du taux de variation des prix (et non pas leur niveau absolu) et les anticipations d’inflation. En Algérie, l’indice des prix à la consommation (IPC) est calculé pour Alger et pour l’ensemble du pays, avec une pondération significative des produits alimentaires (43% du panier), dont 26% sont soumis à des contrôles de prix. Les produits importés représentent 26% du panier.

La période de référence pour l’IPC est 2001, avec des pondérations basées sur les dépenses annuelles de 2000. L’IPC mensuel pour Alger est considéré comme la référence pour l’analyse macroéconomique. Les données sont publiées en temps opportun, moins d’un mois pour l’IPC et moins d’un trimestre pour l’indice des prix à la production.

Cependant, ces indices ne mesurent pas le coût de la vie ni la variation du budget de consommation, mais seulement la variation des prix depuis 2001. De plus, les autorités n’ont pas mis en place d’outils pour anticiper l’inflation efficacement. En conclusion, les outils actuels sont obsolètes et incomplets et ne permettent pas une mesure et une prévision précises de l’inflation en Algérie.Top of Form Bottom of Form.

Le levier de la politique monétaire pour lutter contre l’inflation est faible. Avant les années 1990, la BA avait un rôle passif avec peu d’attention portée sur la gestion des grands équilibres économiques. Depuis les réformes entamées en 1994, la politique monétaire est devenue un outil de gestion macroéconomique plus actif.

Entre 1994 et 2014, la BA a dû essentiellement gérer une liquidité excédentaire structurelle en utilisant divers instruments, comme la reprise de liquidité, la rémunération des dépôts et les réserves obligatoires. À partir de 2014, l’assèchement de la liquidité causé par le choc pétrolier avait permis à la BA de reprendre le contrôle des conditions de liquidité en s’appuyant sur de nouveaux instruments. Nonobstant cette évolution, la politique monétaire demeure un levier affaibli par ; 

(1) un manque de transparence sur le niveau cible de l’inflation (un objectif d’inflation implicite de 4% existe mais souffre d’un manque de transparence et reste inconnu du public) ; 
(2) l’inefficacité du mécanisme de transmission des taux d’intérêt ; 
(3) une gestion de la liquidité contrainte en partie par une faible coordination entre politique monétaire et budgétaire ; 
(4) la faiblesse du processus d’évaluation des risques et du cadre macroprudentiel ; 
(5) l’absence de profondeur financière ; 
(6) une communication insuffisante. Bien que la BA se soit adaptée aux changements économiques, la politique monétaire en Algérie fait face à plusieurs défis structurels qui entravent son efficacité et sa transparence, notamment dans la gestion de l’inflation, la coordination avec la politique budgétaire et la modernisation du secteur financier.

Quelle stratégie de désinflation en Algérie ? Face à une inflation structurelle qui risque de s’enraciner encore plus, cinq axes de réformes à moyen terme sur les plans macroéconomique, structurel et sectoriel sont proposés : 

Axe 1 : un mix macroéconomique pour agir sur la demande globale : ce qui suppose : (i) une politique budgétaire viable favorisée par une maîtrise des dépenses publiques courantes (notamment la masse salariale et les subventions) et une nouvelle structure de financement du déficit moins inflationniste ; et (ii) le resserrement de la politique monétaire à travers une hausse des taux d’intérêt (ou en agissant si besoin sur le taux de change) pour réduire et contenir les pressions inflationnistes.

Axe 2 : des actions structurelles pour favoriser l’offre globale : ce qui implique une amélioration de la qualité du facteur travail (santé, éducation, formation, etc..) et la mobilisation du capital avec un renforcement de son rendement pour soutenir la croissance du PIB réel.

Axe 3 :  des mesures structurelles pour améliorer l’efficience du réseau de distribution et stabiliser les prix à la consommation : dont : (i) le développement des infrastructures de stockage, de marchés régionaux et une plus grande disponibilité de produits frais, sous-composant déterminant de l’IPC ; (ii) l’élimination des positions de monopole des intermédiaires dans les circuits de distribution ;  (iii) la stimulation de la concurrence ; et (iv) l’ouverture aux investissements directs étrangers. 

Axe 4 : des actions pour renforcer l’efficience du canal de transmission et agir sur la stabilité des prix. Selon l’article 35 de la loi monétaire et bancaire du 21 juin 2023, la mission de la BA est de veiller à la stabilité des prix en tant qu’objectif de la politique monétaire et à la stabilité monétaire et financière en appui d’un développement soutenu de l’économie. Dans ce contexte, elle dispose du canal des taux d’intérêt et du canal du taux de change (qu’elle utilise également pour cibler la valeur d’équilibre du taux de change effectif réel pour des raisons de compétitivité).

Vu les faiblesses dans ce domaine, les réformes devront viser à : (i) améliorer la gestion des liquidités ; (ii) améliorer la stérilisation de la liquidité bancaire dans un contexte de monétisation du déficit budgétaire en mettant en vente des titres de créance au lieu de recevoir des dépôts, ce qui permettrait également des opérations de pension entre banques ; et (iii) réduire l’écart entre les marchés officiel et parallèle des changes par le biais de mesures à court terme, dont la diversification de l’offre de devises sur le marché interbancaire, une plus grande rationalisation des règles régissant les opérations de change et le relèvement des plafonds sur les voyages à l’étranger.

Axe 5 : des actions pour améliorer la mesure de l’inflation : il est souhaitable d’unifier les IPC (Alger et national), revoir sa couverture pour l’actualiser et assurer une couverture optimale, changer les poids des sous-indices pour refléter les nouvelles habitudes de consommation des ménages et changer l’année de base (car plus l’année de base est éloignée, plus l’indice est susceptible de devenir inexact). En outre, étant donné que les modèles de dépense varient selon les localités et le temps, un indice n’a qu’une valeur très limitée pour comparer les variations de prix dans différents endroits. 
 

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