Par Mourad Goumiri
Economiste
Si au niveau politique le Président Tebboune peut considérer que son prochain mandat sera plus «serein» que celui passé du fait qu’il a eu cette fois une «légitimité avérée» mais qu’il devra cependant «gérer» les deux partis qui ont pris part à l’élection présidentielle (Hamas et le FFS), peu importe leur score final.
Pour son dernier mandat, il aura les «mains libres» pour imposer les réformes nécessaires pour sortir notre pays d’une situation de «milieu du gué» dans laquelle il s’est enfermé depuis le départ, pour le moins tumultueux, de l’ancien président.
Cette liberté d’action recouvrée (vis-à-vis de l’administration centrale et locale et des entreprises économiques publiques et privées) va lui donner un large spectre de manœuvres pour enfin préparer ce qu’il appelle de ses vœux «l’Algérie nouvelle», c’est-à-dire celle de demain.
Le défi de la politique économique
C’est à cet endroit que tout le monde l’attend. En effet, l’incohérence des politiques économiques menées jusqu’à présent a créé des situations kafkaïennes (pénurie de lait, de semoule, de légumineuses…) et démontré un manque flagrant d’intersectorialité, alors que les solutions basiques étaient à portée de main. Il y a une grande différence entre la politique de substitution à l’importation et celle des restrictions aux importations.
Cette première politique a été initiée, avec succès, fin des années soixante en Amérique latine et a permis aujourd’hui à ces pays de construire une industrie nationale capable de substituer les biens et services locaux aux importations. Ces pays sont de nos jours appelés «émergents» du fait qu’ils s’autosuffisent dans de larges domaines de la vie économique, y compris les secteurs stratégiques (automobile, infrastructures, industries, agriculture, mines, services…).
La politique de restriction aux importations mise en œuvre par le gouvernement a entraîné automatiquement des pénuries et des ruptures de stock pour les industries locales (pièces de rechange, inputs, innovations technologiques, process, exportations…) comme d’ailleurs pour le secteur agricole (intrants, fertilisants, machinisme…), ce qui s’est répercuté négativement sur la croissance, la production et la productivité.
La rente énergétique et ses conséquences
Les politiques publiques chargées de diminuer notre dépendance vis-à-vis des hydrocarbures n’ont pas atteint leurs objectifs affichés c’est le moins que l’on puisse dire. Les exportations hors hydrocarbures ont certes augmenté mais portées par des produits à forts coefficients énergétiques (ciments, aciers, chimie et pétrochimie…), ce qui n’est pas le but recherché.
Il s’agit donc d’un problème structurel qu’il faut gérer en tant que tel, soit par la diminution de nos importations (par substitution) soit par l’augmentation de nos exportations hors hydrocarbures, soit les deux en même temps. La volatilité du marché mondial de l’énergie étant très importante, un retour de conjoncture est toujours possible, d’autant que c’est la géopolitique qui l’emporte actuellement sur les fondamentaux. Notre pays a connu ces différentes phases historiques en a-t-il tiré toutes les conséquences ?
La politique de diversification et ses impératifs
Les vulnérabilités et les dépendances sont les maîtres-mots souvent évoqués pour caractériser une économie qui n’arrive pas à planifier un processus de développement, à moyen et long termes.
Une politique de diversification nécessite une vision prospective, après avoir fait l’inventaire des capacités nationales et d’identifier les voies et moyens de valoriser le potentiel existant (ressources humaines et matérielles). Elle se décline à travers la recherche de toutes les opportunités qui se présentent soit en interne soit en partenariat avec des entreprises étrangères, pour la conquête des marchés existants ou ceux nouveaux.
C’est une œuvre de longue haleine qui nécessite une stratégie cohérente des tous les acteurs et une libéralisation de l’acte d’investir, de tous les visas et autres autorisations administratives, ainsi que la gestion économique de notre pays par le biais des walis et les chefs de daïra, qui n’ont ni les prérogatives ni les compétences.
Le poids de la dette intérieure et les recettes fiscales
Quasi sans dette extérieure, notre pays a cependant accumulé une dette intérieure (déficit cumulé du budget de l’Etat) structurelle importante et financée par les avances de la BA au Trésor public.
La réduction de cette dernière doit se matérialiser par une recherche systématique de la ressource fiscale, sans augmenter de la pression fiscale sur les entreprises et les ménages. La modernisation (informatisation, structures, formation, rémunération…) des services chargés de récupérer l’impôt national et local (fisc, domaine, douanes…) doit être un objectif stratégique, de manière à améliorer le rendement et réduire l’évasion et la fraude fiscale afin de réconcilier le citoyen avec l’impôt.
En outre, la dépense publique doit être contenue en recherchant plus d’optimalité de la dépense, par une réforme des procédures de la comptabilité publique et une évaluation stricte des ordonnateurs primaires et secondaires du budget de l’Etat.
L’alignement des planètes
Avec un matelas de réserves de changes confortable, une conjoncture énergétique favorable, une dette extérieure quasi nulle, une stabilité politique et sociale gérable, le président de la République jouit d’un «alignement de planètes» qui peut lui permettre de faire de notre pays un pays émergent, à condition qu’il prenne les mesures courageuses que lui impose la conjoncture nationale et internationale.
C’est à ce prix qu’il sortira par le haut de sa carrière politique et qu’il laissera une trace positive dans l’histoire de notre pays. L’erreur n’est pas permise à ce niveau de responsabilité, dans un environnement international hostile où beaucoup de pays envieux cherchent la moindre faille pour nous soumettre à leurs desideratas.
(*) Economiste