Point de vue / Crise au Niger : La Cédéao met l’Algérie au centre des effets collatéraux

09/08/2023 mis à jour: 00:56
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L’Algérie, qui a opportunément condamné la violation de l’ordre constitutionnel au Niger, pays avec lequel elle partage une frontière de près de 1000 kilomètres, a toujours privilégié un traitement politique et diplomatique des situations de crise dans la région. Dans cet esprit, le processus d’Alger adopté pour le règlement de la crise malienne propose une approche globale, graduelle et consensuelle et jouit à ce jour de la confiance de l’ensemble des acteurs .
 

Les puissances occidentales, qui ont souvent négligé le Sahel, et qui sont restées figées dans le schéma du partage du monde en zone d’influences au XIXe siècle, considéraient, il y a encore quelques années, que cette région était sous le contrôle de la France alors que sa présence a considérablement reculé, ce qui a pour effet de favoriser la multiplication d’intervenants internationaux et  paradoxalement de réduire l’autorité des pouvoirs locaux. Nous assistons ainsi à une sorte de répétition des scénarios syrien et libyen à notre flanc Sud devenu une zone de décantation dans le dispositif de l’Otan de  protection de l’Europe des risques de menaces terroristes et de flux migratoires incontrôlés.
 

Le terrorisme international - que l’Algérie connaît mieux que quiconque -  souvent invoqué pour justifier les ingérences étrangères est en fait un pur produit de calculs géostratégiques de l’Occident et de la sous-traitance de certains Etats arabes. 

Les élites politiques, médiatiques et académiques occidentales, souvent alignées sur les thèses officielles sur cette question, ont réussi, quant à elles, l’une des plus grosses manipulation de ce siècle, l’islamisation de la radicalité. La doctrine algérienne en la matière considère que le terrorisme n’est pas une fatalité en Afrique et qu’il n’a aucun fondement religieux. 

Elle n’a pas cessé de le rappeler depuis les années quatre-vingt-dix. Il a reculé en Afghanistan et au Moyen-Orient pour trouver en Afrique, ces deux dernières décennies, un terreau fertile, servi en cela  par l’instabilité politique, la mauvaise gouvernance et la pauvreté. 
 

Une intervention militaire au Niger affecterait les intérêts stratégiques de l’Algérie car les frontières sont plus qu’un marqueur matériel d’une limite territoriale, elles sont des lignes de souveraineté que la Nation a chargé son l’armée de défendre. Celle-ci a conscience qu’elle doit assurer seule la surveillance et la protection de cette ligne de front qui se prolonge jusqu’aux confluences des frontières du sud-ouest de la Libye elle-même en guerre depuis 2011 après l’intervention d’une coalition occidentale. 

La multiplication de ces foyers de tension à l’est, à l’ouest et au sud de l’Algérie ne peut procéder que d’une stratégie délibérée d‘affaiblir son armée en la mettant sous tension permanente dans une guerre d’usure non déclarée. Même si l’Algérie est confiante en ses capacités à assurer pleinement ses missions constitutionnelles sur la question des menaces globales à ses frontières, la question de la prévalence de l’option militaire chez la Cédéao et son accueil favorable par la France notamment, l’effacement inexpliqué de l’Union africaine posent de sérieuses interrogations sur les dommages collatéraux  de natures humaine, sécuritaire et économique. 
 

Elle signifie pour nous l’accélération de flux migratoires massifs et qui viendront s’ajouter à la forte communauté nigérienne composée essentiellement de mineurs non accompagnés dont la protection sociale est et doit être assurée par le pays d’accueil. Cela sera encore moins aisé de le faire  dans des conditions exceptionnelles dès lors qu’il s’agira de situation de conflit armé ou encore de contraintes climatiques majeures. 

Il faudra enfin tenir compte du fait que les migrants sont devenus une arme de guerre ou de pression entre les mains des Etats et de groupes aux agendas multiples. Ainsi, le Maroc, entre autres pays, utilise à volonté cette carte avec l’Espagne comme un outil de régulation diplomatique.
 

Sur le plan sécuritaire, il y a depuis quelques années une opération de diabolisation de  l’Algérie visant à présenter notre pays comme une puissance hostile aux intérêts occidentaux en prenant prétexte de nos positions sur le conflit en Ukraine et sur le processus de normalisation avec Israël. 

Cela apparaît dans les attitudes diplomatiques de nos partenaires, dans l’ensemble des médias occidentaux et dans les réseaux sociaux des pays arabe qui ont signé les Accords d’Abraham. Il faut relever aussi le fait que les acteurs majeurs dans le dossier libyen ont tout fait pour disqualifier l’Algérie et la Tunisie dans la participation à la recherche d’une solution nationale libyenne. Les deux pays voisins directs de la Libye sont pourtant les premiers à subir les conséquences du drame libyen marqué, tout comme le Sahel, par la présence d’acteurs étrangers. Cela semble se répéter avec le Cédéao qui a consulté les puissances occidentales en s’abstenant de le faire avec le premier voisin du Nord proche, l’Algérie.
 

Cette situation implique que ces acteurs, à des degrés divers, mettront toute leur influence pour réduire le niveau d’indépendance de la décision diplomatique et mettre en place les conditions qui favoriseront une implication de l’Algérie dans une guerre d’usure  pour affaiblir son armée et la détourner de ses missions stratégiques. L’option armée sous la forme de guerre par procuration est toujours privilégiée par les Occidentaux car elle est peu coûteuse en vies humaines occidentales et ne provoque pas beaucoup de débats internes dès lors que les victimes sont africaines. 

La solution militaire, au détriment d’une approche globale politique et économique, a pourtant montré ses limites ces deux dernières décennies au Sahel et ne fera qu’ajouter le désordre au désordre.  
 

Enfin, cette nouvelle situation pourrait amener à différer la concrétisation des projets intégrateurs dans la région comme la route Alger-Lagos ou le gazoduc Nigeria-Niger-Algérie et ses impacts sur l’autonomie énergétique dans le développement du Niger. La dimension économique et sociale au Sahel est souvent négligée au profit de l’option militaire alors qu’il est admis par ailleurs que développement économique  est créateur de richesse et principal facteur de stabilisation d’une société.  
 

La Cédéao, le traitement différencié des crises et l’effacement de l’UA  

La Cédéao gagnerait à préserver sa vocation d’organisation régionale dont la mission est de favoriser l’intégration et les bonnes relations entre ses Etats membres. Elle a été à ce jour très tolérante avec les situations de violation des  Constitutions, de l’instauration de  présidences à vie, de putschs répétés dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest. En dehors du cas gambien et ce, grâce à la forte implication du Sénégal, la Cédéao s’est accommodée de toutes les situations de violation de l’ordre constitutionnel établi. Elle a avec cette question d’ultimatum et d’usage  de la force, perdu une part de sa  crédibilité qui est la condition qui fait l’autorité des organisations internationales et régionales, tout comme l’ONU avait perdu la sienne dans le dossier palestinien.
 

L’usage de la force dans la pratique internationale est l’ultime étape d’un processus de bons offices, d’échanges, de dialogue, de médiation et de négociations qui n’a pas été engagé dans son intégralité avec le Niger. 

L’expérience internationale a montré les limites des sanctions de même que  les menaces sur la sécurité du Sahel que représente la feuille de route aventurière de certains des Etats membres de la Cédéao ont, selon toute vraisemblance, obéi à des sollicitations non africaines. Tout comme le mutisme de l’organisation continentale africaine peut légitimement susciter des interrogations. 
 

Cette opération précipitée, conjuguée aux sanctions envisagées contre un pays pauvre et sans littoral, aura l’effet contraire de celui escompté puisqu’il favorisera une mobilisation sociale autour des putschistes et affectera les catégories sociales les plus précaires.
 

Par Abdelaziz Rahabi  , Diplomate, ancien ministre de la Culture et de la Communication. 
 

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