La baisse pluviométrique, le niveau bas des barrages et celui des puits font que l’eau manque et c’est inquiétant. Nous forçons notre destin pour continuer à travailler nos terres, mais jusqu’à quand ?», s’interrogeait, dépité, le président de l’association des fellahs indépendants de Maghnia, Abdelhamid Bouhassoune. Une menace à peine voilée qui nous enseigne sur les déboires d’agriculteurs assujettis aux forces de la nature... et des hommes, parfois aussi. Hamoud Zitouni, ancien directeur des services agricoles dans la wilaya de Tlemcen, témoigne, en expert, «la plaine de Maghnia est l’une des plus riches potentiels agricoles. Son problème capital est la rareté de l’eau. Sans eau, pas de culture intensive dans une zone particulièrement chaude. Sa distribution par les services de l’hydraulique est hasardeuse, son usage est encore peu rationnel et quelquefois anarchique. Le projet du Grand bassin réservoir mort né de Souani (25 km plus loin) est un témoin frappant de cette incapacité des pouvoirs publics de l’époque. Seule la remise en état du périmètre irrigué et sa gestion rigoureuse et moderne peuvent sauver cette riche plaine de la mort. Mais le gros effort à consentir sur au moins le moyen terme est d’accompagner les agriculteurs dans l’usage des techniques modernes d’économie de l’eau».
à la rareté de l’eau s’ajoute l’envahissement du béton
Cependant, la mort lente de cette plaine est justifiée par mille et une raisons. En plus de la reconversion des terres fertiles en zones urbanisables, souvent d’une manière illégale, encouragée par des complicités au niveau des administrations, les agriculteurs estiment qu’ils n’arrivent plus à «rentabiliser leurs investissements, pour différentes raisons». Avant les fortes pluies et les chutes de neige salvatrices de la semaine dernière, le barrage de Hammam Boughrara (12 km de Maghnia), d’une capacité de 177 millions de mètres cubes, qui devait irriguer les terres, enregistrait un taux de remplissage ne dépassant pas les 50%. Le déficit demeurait ainsi important dans la majorité des barrages de la région ouest. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, la station de dessalement de l’eau de mer de Souk Tléta, dans la wilaya de Tlemcen, d’une capacité de traitement de 200 000 m3/jour, était tombée en panne à cause de problèmes techniques. Conséquence : plus de 200 000 habitants, représentant 12 communes vivaient de graves perturbations dans l’alimentation en eau potable. L’espoir de la région, qui est le périmètre irrigué de Maghnia, s’est transformé en cauchemar. La superficie de 7000 ha est toujours en l’état, malgré une enveloppe de 4 milliards de dinars allouée par l’Etat pour la réhabilitation et l’extension de la superficie du périmètre irrigué et de son système hydraulique. Une opération confiée pour sa gestion à l’Office national d’irrigation et de drainage (ONID). «On avait annoncé cet immense projet en grande pompe en avançant des chiffres étourdissants, comme l’emploi de 21 000 personnes, pour ne citer que cela, mais peu importe les chiffres, la plaine de Maghnia avait besoin d’être revalorisée et l’irrigation était indispensable. Sauf que passé le temps des discours, les quelque 600 agriculteurs que nous sommes ne voient rien venir. On ignore toujours où ça cloche ? », s’insurgent les fellahs.Les agriculteurs expliquent avec amertume la baisse de la production des produits agricoles, notamment la pomme de terre, la tomate et les agrumes. «L’électrification rurale était un autre problème. Quant à la production, on a nos mains expertes et notre amour pour la terre, sauf que le secteur n’est pas vraiment organisé. A défaut de chambres froides en nombre suffisant et de marchés de gros, le fellah travaille selon des prévisions ne répondant à aucun critère scientifique ou économique à proprement parler. Un exemple, si un agriculteur met tout son argent et ses efforts dans la culture des pastèques et des melons et que l’année est mauvaise, le fellah se retrouve livré à lui-même. Perdant toutes ses économies, l’année d’après, il optera pour une autre culture, ce qui déséquilibre le marché…»
Le projet du périmètre irrigué… est-il tombé à l’eau ?
Et ce n’est pas fini : «Nous sommes soumis à un passavant, autrement dit, on ne peut acheminer nos produits d’une daïra à une autre sans passer par la douane pour obtenir l’autorisation de circuler. Une procédure administrative qui ralentit notre activité et nous met dans une situation de suspect». Au début des années 2000, l’Etat a créé le Fonds national de régulation et de développement agricole (FNDRA), un fonds consistant à aider et subventionner les agriculteurs pour, espérait-on, produire plus et mieux. 60 millions d’euros ont été débloqués pour ce programme dans la wilaya de Tlemcen qui possède 124 000 ha de terres emblavées. «Tout cela pour qu’une dizaine d’années plus tard, le prix de la pomme de terre, entre autres, a doublé», reconnaissent amèrement nos interlocuteurs. Échec d’une politique sans véritable étude, ni contrôle. Pourtant, la plaine de Maghnia et son périmètre irrigué ont cette réputation de terres fertiles ayant obtenu, dans les années 1990, le titre de premier producteur de la pomme de terre à l’échelle nationale Bonne nouvelle, cependant, depuis mars 2022, pas moins de 500 exploitations agricoles dans la wilaya de Tlemcen ont été raccordées au réseau électrique, selon la direction locale de Sonelgaz. «Les fellahs concernés ont bénéficié de ces raccordements sans condition préalable de payer les frais (…) les efforts se multiplient pour accélérer le rythme des travaux et permettre aux agriculteurs de commencer leurs activités, visant à contribuer au développement local, surtout que Tlemcen est une wilaya agricole par excellence… Avec les nouvelles donnes, les terres fertiles de la plaine de Maghnia seront ressuscitées…