«Pas des martyrs» : En zones de conflit, la sécurité difficile des humanitaires

14/12/2023 mis à jour: 02:30
AFP
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Le personnel de l’ONU s’approchant d’un Palestinien abattu par les forces israéliennes

Depuis le début octobre, la guerre entre Israël et le Hamas est meurtrière chez les humanitaires. A Ghaza, trois médecins de Médecins sans frontières (MSF) ont été tués lors d’une frappe sur l’hôpital al-Awda, un urgentiste de Médecins du monde (MDM) est mort avec sa famille dans son immeuble bombardé, des auxiliaires médicaux du Croissant-Rouge tués dans leurs ambulances. 

Plus d’une centaine de personnels des Nations unies y ont également péri. «Le nombre le plus élevé de travailleurs humanitaires de l’ONU tués lors d’un conflit en si peu de temps», selon son secrétaire général Antonio Guterres. Désormais, les risques sur le terrain «dépassent l’entendement», dénonçait en août un rapport de Médecins du monde, Action contre la faim et Handicap international. En 2022, 444 humanitaires ont été tués, blessés ou kidnappés dans le monde, selon la base de données britannique Aid Worker Security (AWSD).

 Pour Léa Gauthier, chargée de plaidoyer chez MDM, une «ligne rouge» a été franchie avec la guerre en Syrie qui a fait au moins 500  000 morts depuis 2011. Le droit international humanitaire, instauré en 1949 pour protéger les civils, y a été bafoué selon elle et n’a cessé de l’être dans les conflits qui ont suivi. Dans ces guerres modernes, «asymétriques», selon Raphaël Pitti, formateur en médecine de guerre au sein de l’ONG Mehad (ex-UOSSM), cette violence est «indiscriminée».

Cibles

«Durant la guerre de 14-18, 80% des morts étaient des soldats et le reste, la population. Aujourd’hui, ce chiffre s’est complètement inversé. On est plutôt sur 80% de civils et 20% de soldats», estime-t-il lors d’un entretien avec l’AFP. Mêlés à la population, les travailleurs humanitaires font les frais de ces attaques lorsqu’ils ne sont pas directement visés. «Désormais, quand vous aidez dans des zones conquises par des rebelles ou un régime, on peut considérer que vous prenez parti pour l’adversaire», regrette Raphaël Pitti. «En Syrie, les hôpitaux sont également devenus des cibles. Les personnels soignants ont été arrêtés, torturés, tués.»

 Près de 1000 d’entre eux sont morts depuis, selon lui. «Dans certains endroits, comme à Gaza ou en Ethiopie, la famine est utilisée comme une arme de guerre et il n’est pas apprécié que des ONG tentent d’aider les personnes affamées», ajoute Deepmala Mahla, directrice humanitaire mondiale de CARE International. 

La complexité des relations diplomatiques ou la convoitise peuvent aussi causer des violences, souligne Léa Gauthier. Au Sahel, les humanitaires sont agressés pour leur argent, leurs médicaments, ou kidnappés pour obtenir une rançon. D’où l’importance de la «composition des équipes», souligne Michaël Neuman, directeur d’études du Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires (Crash) de MSF. Au Sahel, l’ONG recrute son personnel localement car il est «difficile d’opérer quand on est Français ou blanc», confie-t-il.

Exposition grandissante

Si l’insécurité des humanitaires ne cesse de croître depuis la fin de la Guerre froide, ajoute-t-il, c’est aussi à cause de leur «exposition grandissante» sur le terrain. L’aide humanitaire s’est «énormément» développée et s’est rapprochée du cœur de la violence. «Avant, MSF travaillait davantage dans les camps de réfugiés, en périphérie», 
relate-t-il, mais «nous ne sommes pas des martyrs». Comment protéger ces travailleurs humanitaires ? Sur le terrain, Michaël Neuman note l’importance de se rendre «plus utiles vivants que morts» aux yeux des groupes armés, en acceptant par exemple de soigner leurs membres.

 Il prône également une analyse approfondie des zones de conflit et une communication «transparente». «Si demain vous êtes envoyé en Syrie, au Yémen ou à Gaza, vous devez avoir conscience des dangers auxquels vous êtes exposé», détaille-t-il. Plans d’évacuation, voitures en état de marche et outils de communication performants sont autant de moyens nécessaires aux humanitaires pour se protéger. Deepmala Mahla de CARE, qui a travaillé au Soudan du Sud, en Irak ou en Ouganda, décrit des bâtiments humanitaires désormais équipés de «safe rooms», aux murs hauts, parfois blindés. 

«On peine à faire valoir auprès des bailleurs de fonds que les coûts de sécurité sont aussi nécessaires que les autres», déplore toutefois Léa Gauthier de MDM. «Les guerres ont des règles. Malheureusement, celle d’épargner les populations et les infrastructures civiles n’est plus respectée», résume Deepmala Mahla. 
 

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