Othmane Bourouba. Président de Aids Algérie : «La stigmatisation et l’évitement sont des obstacles majeurs au dépistage du VIH»

12/12/2023 mis à jour: 19:01
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Photo : D. R.

Le mois de décembre est dédié à la lutte contre le Sida dans le monde. En cette occasion, M. Othmane Bourouba, président de Aids Algérie, revient sur les missions de son association, la pertinence des campagnes de sensibilisation élaborées en direction des jeunes, les contraintes de la stigmatisation et l’importance du dépistage précose.

  • Tout d’abord, présentez-nous l’association Aids Algérie ?

Aids Algérie est une association pour l’information sur les drogues et le SIDA. Il s’agit d’une organisation non gouvernementale à caractère public, à but non lucratif œuvrant pour la préservation de la santé de l’individu, des communautés et le bien-être de la cellule familiale dans une société saine et équilibrée.

L’association a pour mission principale de promouvoir la préservation de la santé de l’individu et des communautés et le bien-être de la cellule familiale dans une société saine et équilibrée. De ce fait, elle œuvre pour la prévention de la transmission du VIH et ce, à travers diverses campagnes d’information, d’éducation et de communication pour le changement du comportement.

Elle contribue aussi à la formation des éducateurs pairs ainsi que des intervenants et intensifie les programmes de proximité auprès des populations identifiées, dans le cadre du Plan stratégique national, et fait la promotion de la eTME  (élimination de la transmission du VIH de la Mère à l’enfant). L’association lutte également contre la stigmatisation et la discrimination et réalise des études et des recherches sur le VIH.

  • Sur quelle base sont élaborées vos campagnes de sensibilisation à destination des jeunes ?

Travailler avec les jeunes, dans le cadre de la prévention du sida, représente un défi crucial, nécessitant une approche holistique et adaptée à leurs réalités. La mise en place de campagnes de sensibilisation constitue un élément clé de cette initiative. Ces campagnes sont conçues de manière à captiver l’attention des jeunes et cela, en utilisant des supports visuels attrayants tels que des vidéos informatives.

Pour maximiser l’impact, il est essentiel d’inclure une variété de messages et de médias adaptés aux divers contextes socio-culturels locaux. Il devient possible de créer des contenus qui résonnent avec le public ciblé qui renforcera la pertinence des messages de prévention.

Une composante essentielle de ces campagnes est l’offre de services de dépistage. Il est important de rendre ces services accessibles, confidentiels et sans  stigmatisation. Des initiatives telles que le dépistage mobile ou des centres de dépistage communautaire (associatif) intégrés peuvent contribuer à surmonter les obstacles liés à l’accessibilité, la confidentialité et à la lutte contre le tabou et la stigmatisation.

Parallèlement, on fait la création de supports éducatifs tels que des dépliants qui sont orientés vers les besoins spécifiques des jeunes. Ces documents fournissent des informations claires et concises sur la prévention du sida et l’importance du dépistage régulier.

Enfin, l’intégration de l’approche de prévention virtuelle constitue une étape innovante et nécessaire pour atteindre les jeunes de manière efficace car l’incorporation de ces éléments virtuels dans les stratégies de prévention du sida permet de toucher les jeunes là où ils sont le plus actifs, tout en exploitant les technologies contemporaines pour maximiser l’efficacité des messages de santé publique.

Tout ceci afin d’encourager les jeunes à s’engager activement dans la prévention du VIH/sida. En somme, la prévention du sida auprès des jeunes exige une approche intégrée, faisant appel à des campagnes de sensibilisation créatives, des services de dépistage accessibles, des supports éducatifs adaptés et un discours culturellement adapté.

  •  Selon les derniers chiffres annoncés, l’Algérie comptait 19 890 porteurs du VIH Sida jusqu’au premier semestre 2023…

Je pense que ces chiffres, comme d’ailleurs dans presque tous les pays du monde, ne reflètent que la face visible de l’iceberg car les statistiques ne capturent souvent qu’une partie de la réalité de la pandémie du VIH/sida.

Et de nombreux facteurs, tels que la stigmatisation et la non-acceptation sociétale des malades, contribuent à sous-estimer l’ampleur réelle du problème. Les défis socio-culturels peuvent créer des barrières importantes, décourageant les individus de se faire dépister, de divulguer leur statut sérologique ou de rechercher un traitement.

  • Selon vous, quelles sont les raisons de la sous-déclaration ? 

Les raisons de la sous-déclaration et de la sous-estimation des chiffres sont multiples, notamment la peur de la stigmatisation, la méconnaissance des risques, l’accès limité aux services de santé et d’autres facteurs liés à la culture et à la société.

Une approche holistique qui tient compte de ces aspects culturels et sociaux est essentielle pour lutter contre la propagation du VIH/sida de manière plus efficace. C’est pourquoi, il est important d’adopter des stratégies qui visent à atténuer la stigmatisation associée au VIH.

L’éducation, la sensibilisation et la promotion de la compassion et de l’empathie envers les personnes vivant avec le VIH peuvent contribuer à changer les attitudes sociales et à encourager un environnement plus propice au dépistage et à la prise en charge précoce.

En d’autres termes, une compréhension approfondie des réalités socio-culturelles, combinée à des approches de prévention et de dépistage adaptées à ces contextes, est cruciale pour surmonter les défis complexes posés par la pandémie du VIH/sida. Cela implique non seulement de collecter des données précises, mais aussi de comprendre les nuances socio-culturelles qui influent sur la manière dont les individus interagissent avec la prévention et la prise en charge du VIH.

  • L’épidémie chez nous est peu active, avec une prévalence de 0,1%. Pensez-vous qu’il est possible d’éradiquer complètement la maladie 

Notre  engagement commun envers la réalisation des objectifs de mettre fin au sida d’ici 2030 nécessite des efforts concertés, une planification stratégique et des ressources adéquates. Toutefois, plusieurs défis persistent tels que le financement et la pérennisation des programmes de santé, en particulier ceux gérés par des associations.

Et ces derniers sont des éléments essentiels pour atteindre les objectifs de lutte contre le VIH/sida. Les associations jouent un rôle clé dans la prestation de services de proximité, la sensibilisation et la création de liens de confiance avec les populations clés. Il est donc impératif de développer des mécanismes de financement adaptés qui reconnaissent et soutiennent le travail crucial des associations dans la réponse au VIH/sida.

La coordination stratégique des interventions, impliquant des parties prenantes multiples telles que les institutions, les associations, les professionnels de la santé et les communautés elles-mêmes, est également un élément vital pour garantir une approche globale et cohérente. C’est pourquoi, il est important de ne pas baisser la garde.

  •  Le dépistage précoce reste essentiel pour atteindre les objectifs internationaux de mettre fin au sida d’ici 2030. Pourtant, la stigmatisation constitue un obstacle majeur. Selon vous, comment peut-elle entraver le dépistage ?  

La stigmatisation et l’évitement sont des obstacles majeurs au dépistage du VIH, en particulier pour les populations clés. Ces obstacles peuvent prendre différentes formes et avoir des conséquences graves sur la santé publique. La stigmatisation peut entraver le dépistage par plusieurs facteurs. Il y a par exemple la peur du rejet social qui engendre la crainte d’être rejetés par la famille, les amis, ou même par leur communauté, en raison de leur statut sérologique.

Cette crainte peut décourager le dépistage volontaire. Il y aussi le risque de discrimination. Celle-ci peut se traduire par la discrimination au travail, dans les établissements de santé, et dans d’autres sphères de la vie quotidienne. La peur de ces discriminations peut dissuader les individus de se faire dépister.

Les inquiétudes concernant la confidentialité des informations sur le statut VIH peuvent également être un facteur dissuasif. La peur que la divulgation du statut VIH peut avoir des répercussions négatives sur la vie personnelle et professionnelle et peut conduire à l’évitement du dépistage. Les normes culturelles et sociétales peuvent aussi contribuer à la stigmatisation du VIH.

Certains individus peuvent craindre d’être jugés, en raison de croyances préexistantes liées à la sexualité, à l’usage de drogues ou à d’autres comportements associés au VIH. Et c’est en travaillant sur ces fronts qu’il est possible de créer un environnement plus favorable au dépistage du VIH, en surmontant les barrières liées à la stigmatisation et à l’évitement.

  •  Il y a une mobilisation entière du gouvernement et de l’ensemble des intervenants, notamment la société civile, pour assurer un accès total et gratuit à toutes les prestations de soins aux malades du VIH-Sida, dont le dépistage et le traitement. Mais comment maximiser l’efficacité des centres de dépistage ?

Pour maximiser l’efficacité des centres de dépistage du VIH, il serait judicieux de mettre en place des services de dépistage mobiles, spécialement conçus pour atteindre les populations clés. Cette approche permettrait d’accroître l’accessibilité en éliminant les barrières liées à la stigmatisation, aux horaires contraignants et à la distance par rapport aux centres de dépistage traditionnels.

En outre, ces services pourraient être étendus pour inclure des activités de prévention, d’information, d’éducation et de prise en charge des IST, créant ainsi une offre de service plus complète. L’engagement direct avec les populations, la confidentialité améliorée et la flexibilité des horaires contribueraient à renforcer la confiance et à favoriser des comportements de santé responsables. 

  • Couvrent-ils les besoins ?

Pour la couverture, je pense que c’est bon, mais il existe tout de même une alternative désormais. Le dépistage communautaire mené par des associations apporte une nouvelle dynamique en répondant aux besoins des populations clés et des jeunes.

Cette approche, réalisée dans des lieux familiers (sièges des associations), améliore l’accessibilité, réduit la stigmatisation et personnalise les interventions. Intégré à d’autres services, le dépistage communautaire favorise une approche holistique de la santé et encourage la participation active des communautés.

Pour maximiser son impact, il est crucial de soutenir ces initiatives avec des ressources adéquates et de promouvoir la collaboration entre les centres de dépistage  et les initiatives associatives. Cette diversification des approches renforce la couverture et la qualité des services de santé liés au VIH.

  •  Comment la lutte contre la drogue peut-elle réduire les cas de contamination par le VIH ?

Le lien entre la toxicomanie et le VIH représente une problématique grave, exacerbée par la connexion de plusieurs vulnérabilités. Les personnes qui s’injectent des drogues sont confrontées à un risque accru de transmission du VIH, en raison du partage d’aiguilles, une pratique qui souligne les défis de santé publique liés à la toxicomanie.

Cette vulnérabilité est souvent interconnectée avec d’autres facteurs tels que des conditions de vie précaires, des comportements à risque et la stigmatisation sociale.

L’élaboration de stratégies efficaces de réduction des risques nécessite une approche globale qui prend en compte ces multiples vulnérabilités, engage les communautés concernées et favorise la sensibilisation pour une action concertée.

  • Selon vous, quelle est la meilleure stratégie à mettre en place pour tenter de mettre un terme à ce virus ?

Il faut d’abord intensifier les campagnes de sensibilisation ciblées. Celles-ci peuvent aider à démystifier le VIH, éliminer les idées fausses et à promouvoir la compréhension des réalités de la vie avec le VIH. Il faut ensuite penser à former les professionnels de la santé.

Ces derniers doivent être sensibilisés aux questions liées à la stigmatisation et recevoir une formation sur la manière de fournir des soins respectueux et centrés sur le patient.

N’oublions pas que les témoignages de personnes vivant avec le VIH peuvent avoir un impact puissant et cela, en humanisant l’expérience et en déconstruisant les stéréotypes négatifs. Il est également important d’améliorer l’acceptation sociétale des PVVIH.

Cela va contribuer à changer les attitudes négatives et à favoriser un environnement plus favorable. Il est aussi important de faciliter l’accès aux services de dépistage et de traitement du VIH. La lutte contre les discriminations doit être intégrée dans la stratégie.

Car les efforts visant à lutter contre la discrimination, qu’elle soit liée à la santé ou à d’autres domaines, sont essentiels pour créer une société plus inclusive. Enfin, j’appelle à coordonner les interventions. En effet, une coordination efficace des différentes interventions est cruciale pour assurer une approche holistique.

Une collaboration étroite entre les professionnels de la santé, les associations et l’institutionnel permettra une mise en œuvre harmonisée de la Stratégie nationale de lutte contre les IST/VIH/Sida, renforçant ainsi l’efficacité globale de la réponse au VIH. 

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