Option militaire de la Cédéao au Niger : Une initiative à risques

13/08/2023 mis à jour: 09:01
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Une intervention militaire au Niger risquerait de plonger tout le Sahel dans une instabilité durable

Les pays d’Afrique de l’Ouest ont reporté vendredi une réunion prévue hier sur le déploiement d’une force d’intervention pour rétablir le président Mohamed Bazoum renversé par un coup d’Etat au Niger. Prévue à Accra, cette réunion a été renvoyée sine die pour «des raisons techniques», selon des sources militaires régionales, selon l’AFP. 

Les chefs d’état-major de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) devaient faire part à cette occasion à leurs dirigeants «des meilleures options» pour donner suite à leur décision d’activer et de déployer sa «force en attente». 

Lors d’un sommet jeudi de la Cédéao à Abuja, les Etats membres ont opté pour une possible intervention militaire à l’effet de rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Le calendrier et les modalités d’une éventuelle intervention militaire ouest-africaine n’ont pas été dévoilés. La Cédéao a toutefois réaffirmé son espoir d’une résolution par la voie diplomatique: le président du Nigeria, Bola Tinubu, qui assure la présidence tournante de l’organisation, a dit espérer «parvenir à une résolution pacifique», un recours à la force n’étant envisagé qu’en «dernier ressort». 

Mais selon le président ivoirien, Alassane Ouattara, dont le pays contribuera à cette force, l’opération devrait pouvoir intervenir «dans les plus brefs délais». 

Il a indiqué que son pays «fournira un bataillon» de 850 à 1100 hommes, aux côtés du Nigeria et du Bénin, notamment, et que «d’autres pays» les rejoindront. Les décisions de la Cédéao ont reçu le «plein soutien» de la France et des Etats-Unis. Vendredi, un rassemblement près de la base française à Niamey a réuni des milliers de partisans des militaires ayant pris le pouvoir. 

Ces derniers ont accusé la France d’être à l’origine de la décision de la Cédéao. La France, alliée du Niger avant le coup d’Etat, compte en ce pays quelque 1500 hommes engagés avec l’armée nigérienne dans la lutte contre les groupes jihadistes au Sahel.
 

Le 28 juillet, le général Abdourahamane Tiani, le chef de la Garde présidentielle est nommé par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) chef de l’Etat. Le 30 juillet à Niamey, à l’appel d’un mouvement anti-opération Barkhane de l’armée française au Sahel, il y a eu une manifestation de soutien au coup d’Etat. Le 2 août, le général Abdourahmane Tiani a déclaré qu’il a pour objectif de créer les conditions d’une transition apaisée devant déboucher «dans un délai relativement court» à des élections générales.
 

La menace d’intervention a été brandie une première fois le 30 juillet par les dirigeants ouest-africains qui ont lancé un ultimatum de sept jours aux militaires de Niamey pour rétablir le président Bazoum, sous peine d’utiliser «la force», non suivi d’effet. «Nous sommes prêts. Dès que nous recevrons l’ordre d’intervenir, nous le ferons», a menacé le général Christopher Musa, chef des armées du Nigeria, le lendemain sur RFI. Le Sénégal a dénoncé, le 3 août, un «coup d’Etat de trop». 

Dakar affirme être prêt à déployer des troupes si la Cédéao décidait d’une intervention. Mais le Sénat nigérian, tout en condamnant le coup d’Etat au Niger, s’est opposé, dans une résolution du 5 août, à l’usage de la force. Le Nigeria est confronté à des problèmes de sécurité intérieure. En conséquence, envoyer une partie importante de l’armée au Niger serait un véritable risque. 

Le Nigeria et le Niger partagent de nombreux liens historiques et ethniques, avec des populations des deux côtés parlant la même langue, le haoussa, ce qui pourrait rendre certaines troupes nigérianes réticentes à s’engager pleinement dans cette intervention. En plus la guerre civile du Biafra (1967-1970) est loin d’être effacée de la mémoire collective du Nigeria.
 

De leur côté, le Mali et le Burkina Faso ont déclaré qu’une intervention militaire au Niger serait considérée comme une «déclaration de guerre» et qu’ils iraient défendre leurs voisins putschistes. Les deux pays ont affiché leur solidarité avec le Niger, affirmant que si le pays est attaqué par la Cédéao, ce serait «une déclaration de guerre» pour eux. Mardi, ils ont adressé des lettres conjointes à l’ONU et à l’UA en appelant à leur «responsabilité» pour empêcher «toute intervention militaire contre le Niger dont l’ampleur des conséquences sécuritaires et humanitaires serait imprévisible». Même position pour la Guinée du président Mamadi Doumbouya, lui aussi arrivé au pouvoir à la faveur d’un putsch.
 

Des putschistes inflexibles

Les auteurs du coup d’Etat se sont montrés intransigeants en la circonstance. Mardi, ils ont refusé  d’accueillir une délégation conjointe de la Cédéao, de l’Union africaine (UA) et de l’ONU, invoquant des raisons de «sécurité, dans cette 
atmosphère de menace d’agression contre le Niger». «Le contexte actuel de colère et de révolte des populations suite aux sanctions imposées par la Cédéao ne permet pas d’accueillir ladite délégation dans la sérénité et la sécurité requises», est indiqué dans une lettre du ministère nigérien des Affaires étrangères adressée lundi à la Cédéao. 

Le même ministère a également signifié dans une autre lettre que «les autorisations diplomatiques permanentes» accordées pour 2023 «aux aéronefs des pays amis et partenaires du Niger sont temporairement suspendues», sans préciser le type des appareils, ni les pays concernés.

 Le report de la visite de la délégation ouest-africaine s’ajoute à un autre signe de défiance des nouveaux dirigeants nigériens, la nomination lundi soir d’un Premier ministre civil, Ali Mahaman Lamine Zeine, qui apparaît comme la première étape vers la désignation d’un gouvernement de transition.

 Le 3 août, ils ont dénoncé plusieurs accords militaires conclus avec la France, qui concernent notamment le «stationnement» du détachement français et le «statut» des militaires présents dans le cadre de la lutte antijihadiste, dans un communiqué lu à la télévision nationale. Et selon un conseiller de la présidence malienne sous couvert d’anonymat, l’un des hommes forts du régime nigérien, le général Salifou Mody, nouveau ministre de la Défense, a effectué une courte visite au Mali vendredi. 
 

Les Etats-Unis ont tenté le dialogue avec la junte. La numéro deux de la diplomatie américaine, Victoria Nuland, a effectué lundi à Niamey pour rencontrer les auteurs du coup d’Etat, réunion à laquelle n’a pas participé le général Abdourahamane Tiani, nouvel homme fort du Niger. Elle n’a pas non plus rencontré le président Mohamed Bazoum, assigné à résidence à Niamey. Les discussions «ont été extrêmement franches et par moment assez difficiles», a-t-elle reconnu. 

Elle a dit avoir proposé «de nombreuses options» pour mettre fin au coup d’Etat, ajoutant: «Je ne dirais pas que cette offre a été prise en compte de quelque manière que ce soit.» «Il est certain que la diplomatie est le moyen préférable pour résoudre cette situation», a pour sa part déclaré le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken. Il a par ailleurs estimé «que ce qu’il s’est passé (...) au Niger n’a pas été orchestré par la Russie ou Wagner, mais (...) ils ont essayé d’en profiter». Plus tard, un porte-parole du Département d’Etat a déclaré: «Nous avons toujours de l’espoir, mais nous sommes aussi très réalistes» quant à la réussite de la diplomatie. 
 

Sur plusieurs fronts

Situé en Afrique de l’Ouest, ex-colonie française, le Niger partage des frontières avec l’Algérie, le Bénin, le Burkina Faso, la Libye, le Mali, le Nigeria et le Tchad. Le Niger est un des pays les plus pauvres au monde. L’ONU estime que 17% de la population du Niger aura besoin d’une assistance humanitaire cette année et le pays est classé 189 sur 191 sur le classement de l’Indice de développement humain (IDH) 2021 réalisé par les Nations unies. 

Comme ses voisins du Sahel, Niamey est engagé depuis bientôt quinze ans dans la lutte contre les groupes intégristes islamistes, d’abord Boko Haram, mais aussi l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Le pays fait ainsi face à deux fronts «djihadistes» : au nord-ouest, les attaques dans la zone des «trois frontières» ; au sud-est, les 1200 kilomètres de frontière avec le Nigeria, où Boko Haram est omniprésent. En 2018 et en 2020, le gouvernement malien a missionné des intermédiaires afin de discuter avec les chefs du GSIM. 

Au Burkina Faso, le gouvernement a négocié un cessez-le-feu officieux et temporaire avec les jihadistes au cours de la campagne présidentielle de 2020, afin que le scrutin puisse se dérouler correctement. De son côté, le président nigérien, Mohamed Bazoum, a annoncé en février 2022 avoir amorcé des discussions avec les jihadistes. Mais pour Paris, ces groupes sont des «terroristes». Mohamed Bazoum est arrivé au pouvoir en avril 2021 à la suite d’une élection contestée : opposition et observateurs indépendants ont constaté des fraudes électorales orchestrées par son mouvement politique, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS). 

Fin août 2022, quelques centaines de militants ont manifesté devant l’Assemblée nationale à Niamey pour dénoncer les interventions militaires étrangères dans le pays et exprimer leur colère face à la hausse du coût de la vie.
Lorsque le Mali a réclamé le retrait de l’opération Barkhane, en février 2022, le président français, Emmanuel Macron, a déclaré que le Niger a accepté d’accueillir une partie des troupes françaises. 

Le Premier ministre burkinabè, Apollinaire Kyelem de Tambela, a émis des doutes quelques jours après sa prise de fonction en novembre 2022 quant à la contribution de la France dans la lutte contre les jihadistes au Sahel : «Nous pensons, peut-être à tort, que certains partenaires n’ont pas toujours été loyaux. 

Comment comprendre que le terrorisme gangrène notre pays depuis 2015, dans l’indifférence, si ce n’est avec la complicité de certains de nos prétendus partenaires ?» s’est-il interrogé.
 

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