Opportunité d’introduction en bourse d’une PME : Diligences du Commissaire aux comptes

18/01/2025 mis à jour: 11:57
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Depuis longtemps, l’organisation financière de l’économie algérienne souffrait de lacunes manifestes : alors que l’on observait une insuffisance des fonds propres des entreprises et un manque d’orientation de l’épargne privée vers l’entreprise en général et l’industrie en particulier, les sociétés n’envisageaient pas de s’introduire en bourse. Ce phénomène tenait à deux raisons fondamentales : l’existence de problèmes spécifiques aux PME-PMI et l’inadéquation de la structure du marché boursier à leur financement.

De nombreuses PME-PMI renonçaient à des choix d’investissement judicieux, non pour des raisons de fonds mais pour des problèmes relatifs aux structures et aux modes de financement, alors même qu’elles étaient en croissance et que les perspectives de leur développement étaient plus importantes que la moyenne des entreprises.


Avec la nouvelle direction politique du pays sous la présidence de Abdelmadjid Tebboune, un nouveau paysage économique s’offre à l’Algérie. Ainsi, depuis 2020, on assiste à une hausse spectaculaire de startups avec 7800 startups enregistrées sur la plate-forme dédiée (startup.dz), entre 2021 et 2023, on enregistre une hausse de 228%. 

A la fin juin 2022, l’Algérie comptait 1 320 664 PME à l’échelle nationale en hausse de 4,45% employant 3 220 661 salariés, selon un bulletin statistique distribué à l’occasion de la 2e conférence internationale sur l’intelligence économique tenue le 18 et 19 février 2023, ce qui confirme une tendance haussière continuelle et augure d’un avenir prometteur. Avant 2020, on ne figurait même pas dans le start-up Ranking, a déclaré le ministre de l’Economie de la croissance. 

Ce phénomène témoigne d’une dynamique favorable propulsée par des politiques gouvernementales visionnaires et un écosystème entrepreneurial en pleine expansion.

S’inscrivant dans cette nouvelle politique, le nouveau règlement régissant la bourse d’Alger a induit une séries de nouveautés, dont la réorganisation de la cote officielle en cinq compartiments différents, dont un compartiment «croissance» dédié aux startups et aux PME, ainsi qu’un assouplissement des procédures et des conditions d’admission sur le marché, à travers notamment l’abrogation de l’exigence d’une ouverture de capital de 20% au minimum et son remplacement par une nouvelle disposition fixant ce seuil d’ouverture à une valeur de 1 milliard de dinars. 

En outre, l’admission aux négociations sur le compartiment principal sera ouverte aux titres de capital émis par les sociétés par actions justifiant d’une capitalisation d’une valeur minimale de 5 milliards de dinars, au lieu de l’exigence fixée auparavant de justifier d’un capital social minimal de 500 millions de dinars.

Cette nouvelle mesure vient ainsi privilégier les introductions en bourse sur la base de la valeur marchande des actions, ce qui devrait contribuer à y faciliter les conditions d’accès pour les différentes catégories d’entreprises, s’y ajoutent des conditions d’admission également assouplies sur les compartiments des petites et moyennes entreprises, avec l’exigence d’un seuil d’ouverture de capital fixé à seulement 10 millions de dinars, en plus d’autres assouplissements liés aux montants minimum exigés pour le lancement d’opérations sur le compartiment des titres de créance, c’est-à-dire sur le marché des emprunts obligataires. 

L’ensemble de ces modifications, souligne en définitive la COSOB, vise avant tout à améliorer la transparence et marché des valeurs mobilières en Algérie, à élargir la base et l’éventail des investisseurs en bourse et à promouvoir l’attractivité de cette dernière pour les entreprises désireuses d’accéder à des sources de financement alternatives et diversifiées. 

A souligner qu’en parallèle à cette mise à niveau de son cadre réglementaire et législatif, le marché des capitaux local œuvre aussi à moderniser ses structures et son mode de fonctionnement à travers la mise en place, très prochainement, d’un système d’information digital et de cotation en continu et en ligne, comme l’a affirmé récemment le directeur général de la bourse d’Alger, Yazid Benmouhoub, estimant à cet égard que «la digitalisation constitue la clé de voûte de toute démarche de réforme. Ainsi, un nouveau pas vient d’être franchi avec l’ouverture des nouveaux marchés boursiers pour les PME PMI et start-up.


Les PME-PMI, en particulier les plus jeunes, sont amenées plus naturellement qu’auparavant à s’interroger sur l’opportunité d’une introduction en bourse. 

Cela dit, l’introduction en bourse est un moment important dans la vie d’une PME et doit être abordée avec un soin particulier. Plus qu’un passage obligé, la bourse doit être une étape réfléchie et délibérée de l’entreprise. Les avantages de l’introduction en bourse sont nombreux : financer sa croissance, valoriser son patrimoine, faciliter sa transmission, élargir sa notoriété, mobilier les énergies... Mais les entreprises sous-estiment parfois les contraintes d’une cotation et les conditions de son succès. Avant de se lancer dans l’aventure, les dirigeants doivent avoir analysé les contraintes. Une introduction en bourse, nécessite une certaine maturité. L’organisation comptable et juridique doit permettre de satisfaire les exigences des investisseurs et des autorités de tutelle en matière de transparence.


Ainsi, l’introduction en bourse n’est opportune que si la structure est suffisamment mature pour en supporter les contraintes. Dans le cas contraire, il existe des solutions alternatives, notamment celle de l’endettement et du capital-risque, qui peuvent être pertinentes de manière transitoire, pour laisser à l’entreprise le temps de se structurer en vue de l’introduction en bourse.


L’introduction en bourse est une des phases essentielles de la vie d’un entrepreneur, soit pour ouvrir le capital de sa société au public afin de lever les fonds nécessaires à la réalisation de sa stratégie de développement, soit pour des raisons patrimoniales. Les entreprises matures réalisent ainsi, en général, des opérations mixtes (augmentation de capital et cession) et les entreprises dites de croissance réalisent plutôt des opérations d’augmentation de capital à l’occasion de leur introduction en bourse.


Les dirigeants de l’entreprise ainsi que les services directement impliqués dans le processus d’introduction en bourse entrent dans une période tout à fait particulière à laquelle ils ne sont, en général, pas habitués et qui les mettent en situation de tension du fait des enjeux financiers et des exigences en matière de disponibilité et d’informations requises.


Dans ce contexte, le commissaire aux comptes est donc naturellement de plus en plus sollicité et engagé dans une extension de sa mission générale de contrôle des comptes à l’examen des informations de nature comptable et financière présentées dans les prospectus et notes d’informations soumis au visa de la Commission des opérations de bourse (Cosob) et présentés au public.


C’est dans ce contexte de multiplication des introductions en bourse et d’augmentation du volume des informations financières et comptables communiquées au public dans le cadre de ces opérations que le référentiel international de normalisation comptable (IASC) a revu la norme 354 sur le contrôle des prospectus et notes d’opération soumis au visa de la Cosob. La norme 6-801 (354 révisée) qui a fait l’objet d’un travail des services du Board en relation avec la Cosob afin de faciliter les relations entre les commissaires aux comptes et la Cosob.
Ce travail de collaboration avait pour objectifs de :


- permettre une meilleure intégration des évolutions de la doctrine des diverses structures professionnelles,  de la réglementation issue de la Cosob et des usages de places de marché,


-clarifier autant que possible les responsabilités du commissaire aux comptes dans le cadre du contrôle des  prospectus soumis au visa de la Cosob (informations couvertes par les diligences du commissaire aux  comptes, nature des travaux, contenu de l’avis)à des fins de transparence vis-à-vis du marché et notamment des investisseurs et de limitation des risques des commissaires aux comptes.


L’introduction en bourse d’une société implique, on l’a vu, une extension importante de la mission 
«habituelle» du commissaire aux comptes. Celui-ci est, en effet, amené à mettre en œuvre des diligences très larges prévues par diverses normes (IASC). 

Les interventions dans des domaines variés, la multiplicité des intervenants et l’accélération des travaux dans certaines phases du processus d’introduction rendent la mission du commissaire aux comptes plus complexe donc plus difficile à gérer. Le commissaire aux comptes doit donc se préparer à ce type de mission, et c’était l’un des objectifs majeurs de cette contribution, de présenter tant le contexte particulier de l’intervention que les difficultés susceptibles d’être rencontrées et de fournir des outils méthodologiques qui peuvent être utiles aux commissaires aux comptes,
 

Dans le cadre de cette opération, la responsabilité du commissaire aux comptes se trouve étendue  du fait de l’accès du public aux informations comptables et financières présentées dans le prospectus et publiées. La période actuelle et les mois à venir sont cruciaux en ce qui concerne la responsabilité des commissaires aux comptes sur les prospectus d’introduction en bourse et de façon plus générale sur les documents de référence et notes d’information publiées par les sociétés cotées. 

La pression des marchés pour davantage de transparence donc pour plus d’informations communiquées plus régulièrement (information trimestrielle dans le cadre des nouveaux segments) va nécessairement impliquer une exigence plus forte des autorités de tutelle mais également des différents acteurs de la place sur les contrôles des commissaires aux comptes afin de s’assurer de la fiabilité et de la sincérité de l’information communiquée. 

Cette accélération du rythme de publication et l’extension des informations communiquées par les sociétés cotées peuvent être considérées comme des éléments moteurs pour la profession car sources de revenus et de reconnaissance de ses compétences et de son sérieux

Néanmoins, il est également extrêmement important, dans le contexte actuel, que les instances professionnelles définissent clairement les limites des diligences et des responsabilités que les commissaires aux comptes ne pourront pas dépasser. Sans une telle définition de ces limites, peut-être dans un cadre conceptuel révisé pour des raisons de cohérence entre les différentes normes, les risques pris par les commissaires aux comptes dans des domaines pour lesquels ils n’ont pas nécessairement les compétences qui leur sont demandées iront croissants avec les conséquences judiciaires qui pourraient en résulter.


Veillant au bon fonctionnement et à la transparence du marché, à la protection de l’épargne investie la Cosob a introduit un nouveau règlement de nature à renforcer sa responsabilité puisqu’elle indique que 
«l’enregistrement du document est effectué après un examen de la pertinence et de la cohérence de l’information donnée sur la situation de la société mais n’implique pas l’authentification des éléments comptables et financiers présentés». 

Dans ce contexte, il paraît donc légitime que la Cosob, autorité de tutelle dont la responsabilité va grandissante, cherche à obtenir les assurances maximales quant à la pertinence, à la cohérence mais aussi à la fiabilité et à l’exhaustivité des informations de toute nature figurant dans le prospectus. L’objectif sous-jacent de la Cosob est de s’assurer que le prospectus donne, dans tous ces aspects, une image fidèle de la situation et des perspectives de l’émetteur à la date de sa parution et fournisse aux investisseurs potentiels l’ensemble des informations nécessaires pour fonder leur jugement sur l’émetteur.


Par Saheb Bachagha                                                        

Membre de l’Académie des sciences et techniques financières  et comptables Paris
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