Ecrivain et musicien, Omar Taleb, d’origine algérienne né à Maghnia, est le fondateur du Festival et du prix littéraire Les Lorientales. Humble, il se livre avec passion. Sans fioriture.
Vous êtes médecin de formation, vous avez pratiqué à Lorient où vous résidez. Vous êtes musicien aussi. En 2010, vous avez changé de trajectoire pour vous consacrer entièrement à la littérature, en fondant notamment le prix littéraire Les Lorientales. Qu’est-ce qui a changé votre destin ?
C’est le souhait de retrouver mes racines, et j’y suis arrivé en partie via la musique puis la littérature. Guitariste et contrebassiste, j’ai joué dans plusieurs formations et donné des concerts dans nombre de styles, jazz, musique bretonne, classique ou baroque, mais au fond de moi, je voulais jouer de la musique arabe. Ne trouvant pas de musiciens au pays de Lorient pour suivre ce chemin, j’ai décidé d’y faire venir la musique arabe en créant le festival Les Lorientales en 2010. Mais comment se démarquer des autres événements culturels pour s’inscrire dans la durée et gagner en notoriété ? C’est là que m’est venue l’idée de créer ce prix littéraire. Bien m’en a pris, car c’est grâce à lui que Les Lorientales sont toujours présentes et actives dans le paysage culturel aujourd’hui. Désormais retraité, je ne lis plus de revues scientifiques mais des textes d’auteurs et les congrès médicaux ont été remplacés par les concerts, les rencontres avec les auteurs, les éditeurs, les institutions culturelles.
Créé en 2011, le Prix gagne des galons d’année en année, mais l’on sent une certaine amertume quand vous en parlez…
L’amertume vient du fait que ce prix, reconnu par les éditeurs et les médias du Maghreb, n’a pas réussi à se faire la place qu’il mérite sur le territoire français et même, au sein de l’Institut du monde arabe qui n’a jamais répondu à mes appels. Parmi les plus de 2000 prix littéraires organisés en France chaque année, le prix Lorientales, avec son jury populaire, est le seul à défendre et promouvoir la littérature orientale dans sa globalité, en plus de la littérature arabe proprement dite. Le prix du roman arabe organisé par l’Institut du monde arabe reste cantonné au monde arabe.
Ce prix qui existe depuis 2011, connu et reconnu n’a pas fait écho et nous ne trouvons pas trace dans les médias, hormis les locaux, de son histoire, de ses lauréats, contrairement aux «grands» prix d’automne en France qui raflent la mise. Et ce n’est pas faute de les tenir informés. Les rédactions restent sourdes à mes appels. Et ce sont toujours les mêmes auteurs «orientaux» que l’on retrouve sur les plateaux radios ou télé, les journaux spécialisés ou non. Comme si la littérature orientale ne se résumait qu’à ces moins de cinq auteurs. Je reste légèrement amer, mais fier du travail accompli. Etre toujours présent depuis 15 ans dans le paysage culturel, avec nos modestes moyens, c’est tout de même un signe positif et la preuve que l’idée est bonne.
Cette ténacité et cette qualité dans nos choix littéraires, qui nous tiennent depuis 2010, bien sûr elle nous a fait gagner des galons, mais nous n’arrivons pas, faute de visibilité, à attirer les mécènes et les partenaires qui nous permettraient de faire venir les auteurs à Lorient, promouvoir cette littérature et ces auteurs peu connus, comme il se devrait. Malgré ce désintérêt flagrant, je suis persuadé que ce prix percera un jour.
Vous êtes aussi écrivain, auteur de Quand l’Orient apostrophe Lorient, qui montre que vous restez attaché à vos origines et à la ville qui vous a adopté. Qui voulez-vous apostropher avec ce livre ?
Les Maghrébins comme moi connaissent leur histoire et savent ce que leur histoire a donné à la France depuis plusieurs générations. Mais les Français et en particulier les Lorientais, pour beaucoup, ont vécu en parallèle de ces parcours de vie, sans vraiment chercher à les connaître. Pour Lorient où je réside depuis 40 ans, la plupart de ses habitants ne connaissent que le nom du navire qui a donné à la ville son nom: le Soleil d’Orient, et le nom de la compagnie des Indes qui faisait escale à Port-Louis. Et j’ai voulu, à travers ce livre, apostropher ces Lorientais en rendant hommage à la part du Maghreb et du Proche-Orient dans l’histoire de la ville de Lorient qui au départ s’écrivait avec, justement une apostrophe : L’Orient. Dans ce livre, des témoignages d’hommes et de femmes, Bretons ou immigrés, l’histoire du commerce avec les vins d’Algérie, les mots français d’origine arabe à travers un conte et bien d’autres choses à découvrir au fil des chapitres.
Ce livre, paru en 2020, a été écrit pour laisser une trace. Il a fait l’objet d’une adaptation pour le spectacle, joué en 2023, il sera rejoué en 2024 et un deuxième spectacle en sera à l’origine pour 2025.
Vous avez quitté l’Algérie très jeune, vous y êtes retourné deux fois. Pensez-vous à un projet dans votre pays ?
Je suis retourné à l’âge de 10 ans en 1963, dans la maison natale à Maghnia. J’allais où ma famille m’emmenait, à Oran, Tlemcen… Mon deuxième séjour date d’octobre 2017, après plus de 50. Dès que j’ai foulé son sol, je m’y suis senti bien et à l’aise, comme si je l’avais quitté la veille.…
Lors de ce séjour, j’ai été reçu à l’ambassade de France et à l’Institut français pour parler des Lorientales et je les ai imaginées développées aussi en Algérie en organisant des échanges culturels entre mon pays d’origine et mon pays d’adoption, Lorient, en créant un prix du Livre Lorientales similaire à celui que j’ai fondé en France, avec son jury populaire. Lors de ma visite au SILA, j’ai rencontré les responsables culturels au stand de l’Institut français d’Algérie en leur faisant part de mon projet. Ils étaient enthousiastes mais je n’ai pas pu suivre, Les Lorientales n’ayant ni les moyens financiers ni les appuis politiques ou diplomatiques qui permettraient de faciliter toutes les démarches administratives nécessaires. Des projets et des rêves, bien sûr que j’en ai. Accueillir des artistes, des musiciens d’Algérie à Lorient et en retour, proposer des artistes et musiciens du pays de Lorient. J’en rêve toujours…
Les cornemuses et bombardes bretonnes sont des instruments de même facture, importés d’Orient et aux sonorités similaires. Les musiques d’Orient et de Bretagne utilisent certains modes et gammes en commun et même les micro-intervalles, ces fameux quart-de-tons caractéristiques. Deux musiques qui pourraient s’accorder et contribuer à établir une passerelle entre ces deux cultures, nos orients et nos occidents. Je devais retourner à Alger début 2024 mais comme je voulais profiter de ce nouveau séjour pour me rendre à Djanet, cela n’a pas pu se faire, il n’était pas possible d’obtenir de visa pour s’y rendre. J’espère que ce sera possible dans l’année qui vient.
Propos recueillis Par Chahredine Berriah