Nora Hamdi. Réalisatrice franco-algérienne : «Aujourd’hui, en France, il y a un racisme décomplexé que certains ne trouvent pas choquant»

17/09/2023 mis à jour: 04:00
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Nora Hamdi réalisatrice, scène du film La couleur dans les mains - Photo : D. R.

La réalisatrice franco-algérienne, Nora Hamdi, a présenté au 6e Festival national de la littérature et du cinéma de la femme de Saïda, qui se déroule jusqu’au 17 septembre 2023, son dernier film La couleur dans la main, inspiré de son roman éponyme. Un long métrage qui n’est pas encore sorti en France. C’est l’histoire de Yasmine (Kenza Moumou), une jeune peintre d’origine algérienne, qui veut louer un studio à Paris. Elle est choquée lorsqu’on lui demande de changer son nom pour pouvoir louer. Le propriétaire français ne loue pas aux étrangers. Yasmine adopte le pseudonyme de Janine à contre-cœur. Son nom l’attache à ses parents morts dans «un accident» en Algérie durant les années 1990. Yasmine veut savoir ce qui s’est passé en Algérie durant «la décennie noire» et tente de se libérer de ses douleurs en réalisant des tableaux où les mots sont dessinés en éclats et les couleurs en tempête. Le film intimiste de Nora Hamdi dénonce «le racisme décomplexé» qui entend effacer les identités des Français d’origine étrangère en les obligeant à changer de nom ou de prénom au nom de...l’intégration. Rencontre avec la cinéaste.

Propos recueillis à Saïda par Fayçal Métaoui

- Vous avez décidé d’adapter au grand écran La couleur dans les mains, un roman paru en 2011, en 2022. Pourquoi ?

La couleur dans les mains est un film réalisé après les attentats terroristes à Paris du 13 novembre 2015. Dans le long métrage, je restais toujours sur l’histoire de mes parents restés sous les débris après l’attentat à la bombe contre l’aéroport international d’Alger en août 1992. Je me suis dit que le terrorisme ne va pas s’arrêter là, il sera mondial. Pendant dix jours, je ne savais pas si mes parents étaient vivants ou pas. A l’époque, il n’y avait pas de téléphone portable.

- Une incertitude pénible...

Cet épisode m’a traumatisé. Nous sommes douze frères et sœurs. J’ai dû m’occuper de la famille en l’absence de mes parents. Heureusement, ils sont arrivés quelques jours après. Comme j’étais artiste, cela m’avait beaucoup marquée surtout qu’à l’époque en Algérie, des artistes étaient ciblés aussi par le terrorisme.

Quand j’ai vu ressurgir le débat sur l’idendité avec les propos d’Eric Zemmour en France et la montée du Rassemblement national (ex-Front national) avec un racisme décomplexé et la mise à l’index d’Arabes accusés de terrorisme... Il fallait faire quelque chose face à la régression. J’ai décidé alors d’adapter mon roman La couleur dans les mains. Il est grave de vouloir effacer des identités au milieu d’un silence général. Il existe en France, certains qui ne veulent pas intégrer les jeunes issus de la migration. Ces jeunes vont se relever. Le silence peut être très bruyant...

- Dans le film La couleur dans les mains, Yasmine n’accepte pas le changement de nom qui lui est imposé. Pourquoi cet attachement au nom ?

Le nom, c’est essentiel. Si on le change, on ne sait pas qui on est. Le nom, c’est ce qui vous rattache à votre origine, à votre histoire, à votre culture. Sans nom, on n’est rien ! Il faut rester soi. Nous portons l’histoire de nos parents et de nos grands-parents. Leur nom, c’est un héritage. Réussir après avoir changé son nom est pour moi le signe d’un échec. On réussit avec son nom et son art. C’est lié. Il faut se battre pour conserver son nom. Quand on porte un pseudonyme, on n’est pas soi.

- Existe-il une volonté en France d’effacer les identités des personnes d’origine étrangère surtout avec «l’appel» à changer les prénoms ?

Par le passé, j’ai réalisé le film La maquisarde sur la colonisation française de l’Algérie (en 2020). J’étais proche de cette thématique. J’ai bien réfléchi en constatant que cette mise en avant de la question des prénoms en France était une forme de colonisation. Ils veulent effacer notre histoire, l’air de rien, nous n’existons plus. Porter le prénom de Nathalie, cela peut être joli, mais ce n’est pas mon histoire. Certains disent qu’il serait plus pratique de changer de nom pour trouver des postes de  travail ou pour l’intégration et que ce n’est pas si grave que cela. Pour moi, c’est très grave.

 Etait-il facile pour vous de trouver des financements pour ce film ?
Le montage financier m’a été refusé.

- A cause du sujet ?

Le sujet ne plaisait pas, oui. On m’a dit qu’une jeune peintre d’origine arabe qui vit seule à Paris dans un studio, cela n’existe pas. Je leur ai dit que moi-même, j’ai vécu cette histoire en tant qu’artiste peintre. Ils m’ont dit que c’était fictif. En France, on n’associe que très peu l’immigré avec l’intellectuel. Pour certains, les migrants ne doivent travailler qu’avec leurs mains, dès qu’ils commencent à penser, cela devient un problème. Dans La couleur dans les mains, j’ai montré une Arabe intellectuelle. En Algérie, dans les années 1990, les intellectuels étaient la première cible pour le terrorisme (...).

- Est-ce que les Français d’origine étrangère ou algérienne ont des sujets «particuliers» à traiter dans leurs films ?

Oui. Si j’avais choisi d’aborder l’histoire d’un dealer ou d’une voleuse, des rôles toujours négatifs, j’aurais eu de l’argent. En fait, ils ne veulent pas qu’on réussisse. Alors, j’ai décidé de casser les codes. Je vais moi-même faire sortir le film dans les salles. On va se battre. Pour le financement du film, J’ai trouvé d’autres partenariats ailleurs.

- N’avez-vous pas trouvé de distributeurs ?

Des distributeurs existent, mais je sais bien ce qu’ils vont faire. Ils vont couper. Pour le film La maquisarde, on m’a demandé pour des considérations commerciales de changer l’affiche pour mettre une française blanche. Je n’ai pas pensé que le film La couleur dans les mains, d’une manière commerciale. J’ai décidé d’aller jusqu’au bout de cette aventure et je ne sais pas ce qu’il va arriver après.

- Le distributeur a-t-il le droit de couper des scènes du film ?

Oui, même si on ne vous dit pas les choses clairement et directement. On vous conseille de changer ceci ou cela. Le distributeur met de l’argent, il a le droit de regard (...) Je vais essayer de faire sortir ce film, après on verra. Je cherche une date. Sinon, j’écris actuellement un roman sur les relations amoureuses en France sur des âges différents. Un sujet léger. Aujourd’hui, le marché amoureux est devenu un business aussi.

- Et d’où vient le titre La couleur dans les mains ?

Un jour, mon père, qui faisait des dessins pour les charpentiers, est venu à mon atelier. En voyant mes peintures pour la première fois, il m’a dit que j’avais de l’or dans les mains. Il pensait que j’allais devenir riche avec mes tableaux.  En dessinant moi-même, j’ai repris le flambeau. Et j’ai choisi le titre La couleur dans les mains pour faire un peu poétique.

- Pourquoi vous êtes-vous attachés à ce film ?

Parce que pour moi, c’est un film sur l’art aussi. Depuis longtemps, je voulais réaliser un long métrage sur la peinture. Les gens me disaient qui va se déplacer pour voir un film de ce type. J’ai répondu en disant qu’il ne fallait pas prendre le public pour des «imbéciles». On ne va pas leur servir tout le temps des comédies avec des acrobaties. En tant qu’artiste-peintre, je me dis qu’il faut montrer cet art. Souvent, au cinéma, on montre des hommes peintres. J’ai choisi de faire un film sur une femme peintre, contemporaine et d’origine étrangère.

 L’Algérie est toujours présente dans vos films...

Je ne peux pas me détacher de l’Algérie. C’est mon héritage. En France, on vous pose toujours la question de «Vous venez d’où ?». Pour certains, je ne serai jamais Française.

- Et l’intégration alors ?

Je suis bien intégrée, je n’ai aucun problème avec cela. J’adore la France sauf qu’il existe une certaine France qui ne veut pas nous intégrer comme nous sommes. Ils veulent nous façonner à leur manière. C’est cela la différence.

- Le film La couleur dans les mains évoque aussi la tragédie des années 1990 en Algérie...

Dans les années 1990, l’Algérie était bien seule face au terrorisme. Après l’attaque de Charlie-Hebdo, à Paris, le 7 janvier 2015, des chefs d’Etat et de gouvernements étaient venus en France marquer leur solidarité et soutenir les Français. Je me suis dit pourquoi personne n’était allé en Algérie rassurer les Algériens au moment des attentats terroristes dans les années 1990. Je voulais, à travers ce film, rendre hommage aux victimes en Algérie (...) En France, les musulmans sont les premières victimes du terrorisme.  J’ai mis dans le film quelques images d’archives pour faire un rappel.

Les jeunes d’aujourd’hui, qui n’ont pas connu l’Algérie des années 1990, n’ont aucune trace, aucune idée sur ces événements, c’est le vide. Ces jeunes s’informent sur cette période à travers ce qu’ils trouvent sur internet comme images et vidéos en utilisant leurs smartphones. J’ai eu recours à la voix-off, ça fonctionnait bien avec la présence de la peinture. Yasmine s’exprime à travers la couleur et des mots. Cette période des années 1990 m’a beaucoup marqué. C’était l’époque où je faisais de la peinture avant de décider de passer au cinéma.

- Depuis 2008, Vous avez adapté trois de vos romans au grand écran. Pourquoi ce choix ?

Pour le premier, Des poupées et des anges, le producteur a acheté les droits et je me suis chargée de la réalisation. Ce film a été financé, entre autres, par France 2. C’est un long métrage qui m’a fait entrer dans le métier. J’ai pu avoir les droits pour le deuxième roman La maquisarde sur une erreur de contrat. L’éditeur m’a cédé les droits pour ce troisième roman La couleur dans les mains. Il était difficile de réaliser La maquisarde qui évoque la lutte pour l’indépendance en Algérie.

C’était une petite production mais le film a bien marché. Il s’agissait de montrer la guerre d’une façon différente. Quand j’adapte un roman, je vais au cœur du sujet. Je fais également le deuil de certains passages du livre car on ne peut pas tout filmer. Il y a les mots et il y a le jeu d’acteurs. Mon premier roman, Des poupées et des anges avait intéressé des réalisateurs. J’en étais jalouse. Je voulais transmettre moi-même ce roman au grand écran. Il y a des choix à faire aussi, couper certaines choses, aller à l’essentiel.

- Vous êtes passés de l’art pictural à la littérature et au cinéma...

Je m’exprime à travers l’art. Actuellement, la littérature et le cinéma sont mes moyens d’expression surtout que je ne suis pas une grande bavarde dans la vie.

- Il y a l’affaire Nahel (du nom d’un adolescent franco-algérien tué par un policier en juin 2023) en France qui a provoqué un débat portant sur la culpabilisation des parents d’origine étrangère. Ils ont été «sommés» par les politiques et les commentateurs de «bien éduquer» leurs enfants, de les civiliser. Comment expliquer ce discours ?

C’est l’intégration qui ne se passe pas du bon côté. Il y aura toujours quelque chose à critiquer. Mes parents m’ont bien élevé. J’ai la richesse de mes origines. J’ai avancé dans la vie d’une manière forte. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Mais, évoquer le terme «civiliser», cela renvoie à l’héritage colonial. Certains, comme Zemmour et Le Pen,  pensent que nous sommes des sauvages à dompter...Aujourd’hui, en France, il y a un racisme décomplexé que certains ne trouvent pas choquant. Par le passé, on réagissait, on organisait des manifestations contre le racisme. Aujourd’hui, on ne bouge plus.  F. M.

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