Nationalisation des hydrocarbures (24 février 1971) : La place de Sonatrach dans la stratégie algérienne de développement socio-économique algérien

02/03/2022 mis à jour: 04:49
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Le 24 février 1971, date de la nationalisation des hydrocarbures, est un des événements les plus déterminants dans l’histoire des pays producteurs de pétrole. En effet, elle représente un événement des plus féconds, qui a permis de placer depuis l’Algérie au-devant de la scène politique internationale et d’en faire de Sonatrach un des leaders mondiaux du secteur pétrolier et gazier.

Oui, c’était l’époque où l’Algérie présidait les destinées de l’OPEP dans les années 1970, en l’occurrence le défunt Dr. Liamine Khene, figure éminente de la révolution, ancien ministre et ancien secrétaire général de l’Opep, et qui a joué un rôle stratégique dans une période historique de la vie de l’Organisation. En étant leadership et pivot, elle apportera sa contribution active dans les réajustements successifs des prix survenus depuis fin 1973 et favorisé par un renversement de la tendance du marché au profit des pays producteurs de pétrole.

Ainsi, l’Algérie a mené toute une politique géostratégique qui a considérablement révolutionné le marché pétrolier dans le monde et relevé la part de marché à 55% contre aujourd’hui 30% et les prix du baril ont augmenté de 3 dollars en 1968 à 30 dollars en 1978, pour atteindre enfin 40 dollars en 1980 au profit des pays producteurs de pétrole et des matières premières dans le réajustement des prix sur les marchés mondiaux.

Il faut dire que par le passé, l’argent de la rente avait une valeur économique réelle et l’argent de l’Etat appartenait à la nation et ne devait pas être dilapidé. Comme nous le verrons dans les lignes qui suivent.

Pour avoir une idée de la place qu’occupait Sonatrach dans la stratégie algérienne de développement des années 1967 et 1970, il nous faut rappeler les objectifs essentiels qui sont assignés à cette époque à Sonatrach dans une période des plus difficiles de l’histoire de l’Algérie. Ces objectifs sont au nombre de quatre : intégration de l’économie nationale ; indépendance de l’économie nationale ; création d’emplois ; satisfaction des besoins de la population.

En effet, au lendemain de l’indépendance, le 5 juillet 1962, l’Algérie vivait une situation socio-économique critique : la pauvreté et la misère touchaient l’écrasante majorité de la population, le taux de chômage avoisinait les 70%, le taux d’analphabétisme de 90%, un déficit énorme est constaté en main-d’œuvre qualifiée et en encadrement, alors que l’Algérie des années 1960-1970 était très loin de connaître l’aisance financière dont allait bénéficier le pays de l’augmentation des prix du baril de pétrole sur les marchés mondiaux en 1982, 1984 et depuis 2000.

En effet, le premier baril vendu par Sonatrch en 1966, rapportait pour nos réserves de change 1,60 dollar. L’argent du pétrole devait aller au développement, à l’emploi et aux gens du monde rural qui n’avaient pas d’électricité, d’eau, d’école, de dispensaire, de route, habitat rural, etc. Faut-il rappeler au passage que des réunions du gouvernement se tenaient au niveau des régions, dont notamment les Aurès, la Kabylie, le Titteri, l’Oasis, la Saoura.

L’Algérie avait une stratégie de développement sans doute mieux ciblée qu’aujourd’hui. Notre pays se devait de mettre fin au plus tôt à ce lourd héritage légué par le colonialisme, les Européens ayant laissé derrière eux un pays sous-développé et totalement à l’arrêt.

Pour cela, il fallait mettre en œuvre une politique de développement national qui réponde aux impératifs majeurs de l’Algérie indépendante, à savoir l’industrialisation, l’indépendance économique, la formation et emploi, la valorisation des ressources, le développement de l’agriculture. Elle n’aurait pas pu voir le jour sans ces investissements tirés par Sonatrach qui devient le principal outil de la réalisation de la politique de l’Etat, dont l’objectif fondamental est la valorisation des richesses naturelles au profit d’abord de la nation et d’une stratégie d’exploitation et d’utilisation des ressources énergétiques de l’Algérie mises en place dans de nombreux secteurs jusqu’au milieu des années 1980.

En effet, Sonatrach s’identifiait déjà à l’Etat algérien, autrement dit : Sonatrach, véritable Etat dans l’Etat, où règne l’accélération de la renaissance d’une industrie pétrochimique aux valeurs technologiques hautement capitalistiques. Ainsi, Sonatrach a réussi la continuité de l’exploitation dans les sites pétroliers et gaziers désertés par les cadres et techniciens européens.

Il y a eu, en effet, le plan triennal (1967-1969), les plans quadriennaux (1970-1973 et 1974-1977) et un vaste plan de valorisation des hydrocarbures à travers le plan (Valhyd), répondant aux différents impératifs industriel, social, agraire, culturel, scientifique, sportif, santé, enseignement et enfin, à travers le plan Valhyd pour développer une industrie pétrolière et gazière, le plan Comédor qui devait restructurer et moderniser la capitale, voire la projection d’une nouvelle capitale politique dont le choix était porté sur Boughezoul à la faveur de la nationalisation des hydrocarbures.

Les premiers cadres algériens ont été d’un apport indéniable au développement national, après avoir empêché, notamment la paralysie de l’Algérie après le départ massif des cadres européens et préservé et valorisé le patrimoine public au service de la collectivité nationale dans les premières années de l’indépendance du pays (1962 -1970). Ils ont su changer la donne et s’imposer comme acteurs-clés dans le processus de nationalisation et de développement national, en développant une expérience profitable par laquelle ils ont été au-devant de la scène de l’Algérie future.

En effet, cette expérience a permis rapidement de faire fonctionner les institutions, les sites pétroliers, gaziers, miniers, les sociétés nationales pour rétablir l’économie.

C’était une étape nouvelle de l’évolution économique et sociale de l’Algérie indépendante, tout aussi importante, qui fut la grande bataille qui s’annonçait pour cette génération qui portait la marque morale et patriotisme, développement et héritage, après celle de la libération du pays pour lesquelles hier la classe ouvrière et la classe moyenne des années 1962 -1970 (fonctionnaires, médecins, économistes, journalistes, enseignants, professeurs, ingénieurs, techniciens, financiers, comptables, cadres intermédiaires…) se sont sacrifiés sans rien attendre et qui n’ont jamais songé à tirer une gloire personnelle jamais attendu une quelconque contrepartie. Ils auraient eu droit à tous les honneurs coïncidant avec la célébration de la nationalisation des hydrocarbures.

Une nation qui oublie, qui marginalise, qui n’écoute pas ses élites intellectuelles, ses scientifiques, ses sages ou qui ne donne pas de l’importance aux valeurs humaines facteur premier de la richesse d’un pays n’a sûrement pas d’avenir.

A cette époque, l’Algérie se donnait une orientation socialiste certes, mais elle n’avait rien à voir avec le système mis en place dans les pays dits du bloc de l’Est. D’ailleurs, au début des années 1970, l’Algérie a connu un développement industriel de type capitaliste composé de diverses technologies, notamment allemande, française, américaine et les enjeux économiques de l’Algérie tournaient autour de l’industrie industrialisante.

Un tel processus s’inscrivait dans le cadre d’une vision claire quant à la place et au rôle de l’Algérie dans le monde et d’une stratégie d’exploitation d’utilisation de ses ressources pour bâtir une économie diversifiée et forte.

En effet, en 14 ans, la politique des années 1970 a transformé la société et jeté les bases de l’industrialisation du pays, l’Algérie s’est dotée d’une plate-forme industrielle importante avec la création de près de 70 zones industrielles, les fleurons de l’industrie nationale et des milliers d’entreprises à travers le pays, entre autres : Sonatrch avec 120 000 travailleurs et son organisation qui couvrait toutes les activités de la pétrochimie : la création de plusieurs complexes industriels de transformation et pétrochimiques dont ceux d’Arzew, Skikda, Annaba, Hassi Messaoud, Hassi Rmel, une base logistique industrielle géante (BCL) et plusieurs réalisations oléoduc ou pipe-line et ensuite pour en assurer l’exploitation à l’actif de Sonatrach et bien d’autres entreprises géantes de transformation et de production sont nées, à l’instar de Sonacome, SNS, Sider, Sonelec, Sonelgaz, Sonatiba, DNC, Snlb, SN Métal, Snmc, Snic, Sonic, Sonatram, Sonarem, Sonitex, industrie pharmaceutique (Saidal-Enapharm), Enmtp, Cnan, Cirta fabrication de tracteurs, moissonneuses-batteuses, Batimétal, Snta, Ofla, industrie cinématographique (Oncic), construction satellites, télécommunications, informatique, centrales nucléaires, presse écrite et audiovisuelle (nationale et régionale), Institut pasteur, la route transsaharienne de l’Unité africaine, la réalisation du Barrage vert inspire aujourd’hui une grande expérience dans la lutte contre la désertification.

Comme aussi, nous avions construit une économie locale diversifiée, ce qui devait constituer le poumon même des collectivités locales et par voie de conséquence une fiscalité locale qui couvrait la totalité des budgets de fonctionnement au profit des communes.

En effet, la part de la production industrielle annuelle était autour de 18 à 25% du PIB, la croissance annuelle était de plus de 10%, avec un taux d’intégration de près de 40% en moyenne, voire 80% dans les secteurs mécanique et sidérurgique contre aujourd’hui respectivement 5% et 15%.Presque tout était fabriqué et construit en Algérie, l’épargne nationale était en moyenne de 40% du PIB, le taux de chômage de la force de travail non agricole est passé de 17% en 1974 à 8% en 1978 et le PIB évolue entre 10 et 11% contre actuellement 3 à 4% en moyenne.

La stabilité du taux de change dinar/dollar avec un cours de change fluctuant entre 4 DA et 5 DA pour 1 dollar. La part des hydrocarbures dans le PIB est passée à 33% en 1978, contre actuellement 51% en 2007 et 47% en 2014.

La fiscalité ordinaire qui contribuait à près de 60% dans la structure du budget de la nation, dont elle assurait la totalité des dépenses de fonctionnement et la fiscalité pétrolière est consacrée seulement aux équipements collectifs et infrastructures, dont la part consacrée à l’équipement industriel était autour de 45% du produit intérieur brut (PIB).

L’activité agricole répartie sur huit millions d’hectares a été impulsée à travers la mise en valeur des terres en grandes exploitation agricole où le pays arriverait à produire la totalité de ses besoins en céréales, en légumes et fruits et à même exporter l’excédent. Le tourisme à travers la construction de zones touristiques et de stations thermales, dont certains complexes hôteliers de classe mondiale qui rapportaient environ 7% des revenus en devises fortes et l’Algérie classée après l’Espagne.

Malheureusement, le travail politique futuriste d’une Algérie nouvelle qui aurait dû se poursuivre et s’approfondir ne s’est pas produit, sachant que tout ce projet d’ambitions socio-économique fut abandonné au milieu des années 1980, par l’introduction du fameux programme anti-pénurie (PAP), pour concrétiser pleinement le slogan : «Pour une vie meilleure» ou encore cette fameuse restructuration organique des entreprises publiques 544 menée dans la précipitation en 1981, qui a abouti à leur démembrement de taille moyenne entreprise (PME) et l’économie algérienne est passée d’une économie sidérurgique, pétrochimique et industrielle aux secteurs de la finance, des services et du commerce (bazar).

Ce qui a exclu toute perspective de développement industriel en amont comme en aval la suppression du ministère du Plan qui comprenait en son sein une intelligentsia algérienne et la liquidation de près d’un millier d’entreprises nationales (EPE) et locales (EPL). Le rythme des investissements dans l’industrie tombe de 50% en 1967-1977, à 25% en 1980-1984. Le service de la dette passe entre 1980 et 1989 de 32 % à 75 %. L’explosion du chômage de près de 30% suivie de l’explosion sociale concernant la tragédie nationale du 5 octobre 1988. M’hamed Abaci

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