Nadia Aït Zai. Docteur en sciences juridiques et directrice du Ciddef : «Il faut impérativement identifier les inégalités et prendre des mesures pour les corriger»

27/09/2023 mis à jour: 01:18
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Photo : D. R.

Docteur en sciences juridiques, directrice du Centre d’information et de documentation sur les droits des enfants et des femmes (Ciddef), Nadia Aït Zai affirme que malgré l’avancée législative en faveur des femmes, durant ces dernières années, le statut de la femme algérienne révèle de façon nette la discordance entre le droit et le fait, entre la règle de droit et sa pratique effective. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, elle revient sur le décalage entre la société et les lois avant de lancer : «Il faut se rendre à l’évidence que la loi n’a pas eu beaucoup d’impact sur les mentalités qui semblent être confrontées et gérées par un obscurantisme rétrograde véhiculé par des charlatans.»

  • Les enquêtes montrent qu’en matière de législation, il y a eu une avancée considérable durant ces dernières années, mais sur le terrain, des disparités persistent encore. Selon vous, est-ce le fait des lois ou des mentalités ?

Effectivement,  il y a eu une avancée législative ces dernières années en faveur des femmes, malgré cela, le statut de la femme algérienne révèle de façon nette la discordance entre le droit et le fait, entre la règle de droit et sa pratique effective.

Il faut se rendre à l’évidence que la loi n’a pas eu beaucoup d’impact sur les mentalités qui semblent être confrontées et gérées par un obscurantisme rétrograde véhiculé par des charlatans.

Certes, les lois ont évolué depuis 2005, introduisant, substantiellement, l’égalité en droits et obligations entre les époux dans la famille. Ce qui a conduit à l’abrogation du chef de famille et du devoir d’obéissance. Cette abrogation aurait pu permettre un changement de comportement dans les relations hommes/femmes ou entre époux, mais ce n’est pas le cas, car beaucoup d’Algériens font dans la résistance et refusent la perte de la puissance maritale (el ta3a) envers l’épouse qui ne doit plus obéissance au mari, selon l’article 36 du code de la famille, mais qui est engagée dans une relation de respect.

Cette égalité en droits et obligations posée par la loi aurait pu être suivie d’action de sensibilisation, d’information en direction de la population mais aussi en direction des services publics, tels que les administrations, les communes et les banques pour un changement dans leur attitude à l’égard des femmes, mais aussi dans les pratiques administratives ou encore dans leur imprimé où figure encore la notion de chef de famille.

Ce qui est un obstacle à l’effectivité de cette égalité en droits et obligations entre les époux. L’esprit et la lettre de l’article 36 sont réduits par ce que l’on appelle les mentalités conservatrices qui ne veulent pas perdre le pouvoir de contrôle qu’elles peuvent avoir sur les femmes.

C’est tout le travail de déconstruction des relations inégalitaires qui doit se faire pour réaliser l’ODD5, (objectif du développement durable n°5) qui est de parvenir à l’égalité entre les sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles.

  •  Justement, malgré la criminalisation des discriminations, l’on constate que les inégalités persistent et certaines reviennent en force après un recul. Comment expliquer cette situation ?

Effectivement, la loi pénale a défini et incriminé la discrimination, mais force est de constater qu’elle n’a pas eu d’impact sur les mentalités ni réduit les inégalités entre les hommes et les femmes.

Nous sommes en droit de nous interroger sur le pourquoi d’un tel écart malgré tous les efforts entrepris. Se peut-il que les mentalités soient plus fortes que la loi ?

Pour moi, il ne s’agit pas de dire que c’est à cause des mentalités que nous n’arrivons pas à construire l’égalité. Je pense qu’il faut mettre en place des actions pour identifier les inégalités et les corriger.

  • Les experts disent souvent que les lois sont la locomotive du développement et de la consécration des droits. En Algérie, cette locomotive n’arrive toujours pas à destination malgré le chemin qu’elle a fait. Pourquoi ?

Oui à l’université,  dans les années 1970,  on nous apprenait que notre dispositif législatif était en avance sur les mentalités. La loi devait être la locomotive du changement et l’expression du progrès voulu pour notre pays, mais la réalité a été tout autre à partir des années 1980.

Le législateur a tenu compte des mœurs conservatrices dans l’élaboration des lois, telles que la loi sur la santé de 1976 modifiée en 1985, supprimant la protection des mères célibataires et des enfants abandonnés. Jusqu’à ce jour,  cette catégorie n’est pas protégée par la loi. Mais comment l’égalité est-elle perçue par notre constituant ?

En fait, le principe d’égalité apparaît plus comme un principe de philosophie politique que comme une norme juridique précise et le principe d’égalité tel qu’élaboré n’a pour fonction qu’une garantie des droits des femmes.

Le constituant semble procéder plus de l’ordre des moyens que des fins bien que les fins y soient mentionnées sans être accompagnées de droits énoncés qui explicitent le contenu.

Les institutions de la République ont pour finalité d’assurer l’égalité en droit en supprimant les obstacles qui entravent la participation de tous à la vie politique où «les citoyens sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection sans discrimination de sexe et de race».

La discrimination ici énoncée porte la marque d’une action passive, alors que ce qui est recherchée est une égalité active. L’égalité abstraite ne suffit plus, il faut qu’elle trouve son complément dans un autre principe général de droit.

Comment retraduire dans les faits un concept général et abstrait qu’est l’égalité ? L’équité peut-elle être un moyen de concrétisation du principe d’égalité ?

Le code civil algérien consacre dans son article 1, je cite : «Le recours au droit naturel et aux règles de l’équité comme source du droit.»

Pour certains, l’équité connue de notre droit doit compléter le concept d’égalité pour deux raisons ;  il traduit mieux l’idée du juste au sens de la justice idéale et il exige que l’uniformité et la généralité de la règle de droit soient rompues afin de tenir compte des différences de situations réelles, différences d’identité de chaque individu ou différences de groupes sociaux.

Le concept d’équité traduirait l’idée d’une égalité substantielle visant à compenser les différences de fait.

Alain Minc  dit : «Il est urgent de passer d’une aspiration confuse à l’égalité, à une réflexion approfondie sur la justice sociale afin de déboucher sur une conception de l’équité applicable dans la société contemporaine...»

Il faut impérativement identifier les inégalités les plus injustes et prendre des mesures pour les corriger. Il convient donc de développer un système d’actions positives, de discriminations positives.

  • Comment voyez-vous la situation de la femme au sein de la société ? A-t-elle avancé, régressé ou stagné par rapport aux années précédentes et par rapport à l’évolution régionale et mondiale ?

Nous remarquons que les droits des femmes sont touchés aussi bien à l’échelle mondiale, régionale et nationale. Dans certains pays comme également dans le nôtre, les femmes ont perdu des droits.

Pour nous, la perte du quota nous a fait régresser. De 147 femmes députées en 2012, nous sommes passés à 29 députées, soit 8% seulement de la composante de l’Assemblée nationale.

La discrimination positive est un moyen de corriger les inégalités. Il faut y revenir. Certes, la parité dont parle la loi électorale est nécessaire, mais elle est l’aboutissement d’un processus de construction de l’égalité.

Les enquêtes et sondages que nous menons aident à traquer les inégalités, à les corriger pour construire l’égalité en droits entre les femmes et les hommes et nous permettent de rendre justice aux femmes qui peinent à arriver à exercer leurs droits fondamentaux pourtant reconnus par la Constitution.

Il est bien établi en droit international que la violence à l’égard des femmes constitue une forme de discrimination et une atteinte à leurs droits fondamentaux.

De ce fait, pour satisfaire à son obligation, l’Etat a la responsabilité de prévenir, d’éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes, de les en prémunir et de poursuivre les auteurs afin qu’ils répondent de leurs actes.

Outre les voies de recours pour les femmes victimes de violence, outre les services d’appui devant être mis en place pour permettre à ces dernières d’accéder à des foyers afin de bénéficier d’une aide médicale et assistance juridique pour une protection immédiate (guichet unique), l’Etat a le devoir de faire évoluer les mentalités et comportements en s’attaquant aux stéréotypes sexo-spécifiques et comportements socio-culturels pour prévenir et éliminer la violence à l’égard des femmes qui conduisent à la discrimination et qui façonnent les rôles stéréotypés des hommes et des femmes. La loi protège-t-elle suffisamment ? Suffit-elle, à elle seule, à changer les comportements ?

Ce n’est pas évident lorsque l’on sait que la loi organisant la famille est le fondement des inégalités, de la discrimination, et par voie de conséquence des violences au sein de la famille. Il faut s’attaquer aux causes profondes de la violence faite aux femmes qui sont la distribution inégale du pouvoir genre au sein de la famille.

L’Etat a une obligation de diligence à l’égard de ces citoyens et particulièrement des femmes, il doit s’attaquer aux comportements sociaux et culturels qui conduisent à la discrimination, (les outils législatifs existent) et qui façonnent les rôles stéréotypés des hommes et des femmes.

Il est temps de revoir à nouveau le code de la famille afin d’en extraire toutes les discriminations persistantes et l’accompagner d’actions de sensibilisation et d’éducation des citoyens à l’égalité. 

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