- Quelle lecture faites-vous aux chiffres enregistrés sur la divorcialité en Algérie ? ́
L’ONS nous donne un chiffre global du taux de divorces sans détailler les types de divorce connus et utilisés. Il est donc difficile d’apprécier l’ampleur, si elle existe, des demandes de ruptures du lien conjugal qui sont le divorce par volonté unilatérale appelé communément répudiation, exercé par l’époux, (divorce abusif), le divorce par consentement mutuel, le divorce à la demande de l’épouse (tatliq) dans les 10 cas prévus par la loi, art 53, et le khol qui est un divorce par compensation demandé par l’épouse.
Il faut rappeler que Le khol est le corollaire de la répudiation, car il est demandé par l’un ou l’autre des époux sans invoquer les motifs de la séparation. Ces deux formes de rupture du lien conjugal ont pour source un verset du Coran que les docteurs des écoles juridiques musulmanes ont repris. Le législateur algérien a repris dans le code de la famille en 1984 ces 2 formes de divorce qui sont très utilisées par les conjoints pour se séparer rapidement, bien entendu, après les trois tentatives de conciliation réalisées par le juge.
Si le divorce par volonté unilatérale a été très utilisé et continue à l’être depuis 1984, le khol, bien que prévu dans le code de la famille de 1984, a commencé à être invoqué dans les années 2000. En 2004, 2006 la Cour suprême en a fixé les contours selon la référence au droit musulman rappelant que le khol est un droit de la femme ne nécessitant pas l’accord du mari sauf pour le montant de la compensation financière, alignée sur le montant de la dot.
Ce qui a justement été repris dans les modifications du code en 2005. Le nombre de demandes de divorce par le biais du khol en 2022 était estimé à 11 000 cas sur un global de 84 072 divorces. Se peut-il que cela soit le khol qui dérange ? Il semble que oui, car celui-ci est un droit de la femme qui use de la liberté de se défaire du lien conjugal comme il est écrit dans le verset du Coran. Il est le corollaire de la liberté accordée à l’époux de répudier.
L’époux serait atteint dans sa dignité quand sa femme invoque le khol, mais l’épouse l’est aussi quand son époux la répudie. La société évolue, les mentalités également, le droit de rompre le lien conjugal accordé à l’époux est aussi accordé à l’épouse, tel que l’affirme le verset du Coran repris par le code. Se peut-il que, cette forme de divorce porte atteinte à la stabilité de la famille ? Les chiffres de demande du khol sont dérisoires par rapport à ceux de la répudiation.
- Quels sont, à votre avis, les motifs et les causes de ce recours rapide au divorce ?
Le recours à la répudiation (divorce par volonté unilatérale), le divorce par consentement mutuel et le khol est la rapidité de la procédure engagée. En trois mois, il est mis fin à la relation conjugale. Alors que pour le Tatlik, divorce demandé par l’épouse dans les dix cas de l’article 53, la procédure est plus longue, éprouvante et soumise à la production de preuves, soit un jugement ou autre prenant plus de temps et difficile à obtenir.
Souvent les femmes sont confrontées à un rejet de leur demande. C’est pourquoi les femmes qui sont confrontées à ces difficultés préfèrent avoir recours au khol pour éviter la longueur de la procédure et éviter de prouver ou de justifier leur demande. C’est aussi un moyen de préserver la dignité de l’époux, car parfois les raisons de la rupture sont graves.
- Nombreux se plaignent de la situation post- divorce, les dispositions de la loi ne sont pas toujours respectées, que proposez-vous comme solution ?
Les effets du divorce touchent les enfants en premier lieu, la pension alimentaire est dérisoire, surtout pour les mamans qui ne travaillent pas, les pères ne paient pas ou traînent dans le paiement des mensualités. Intervient alors la procédure de saisine du Fonds de garantie de la pension alimentaire. Le montant du loyer octroyé pour exercer la garde n’est pas suffisant pour louer un logement. La pension d’abandon allouée à la maman par le jugement de divorce est calculée sur une année de mariage, généralement le calcul commence dès l’introduction de l’instance jusqu’au prononcé de la décision de rupture.
Cette procédure peut durer 3 mois, 6 mois, le calcul se fera sur la durée de cette procédure, ce qui est en décalage avec le nombre d’années de vie du couple. A mon avis, il faut revenir sur l’ensemble des dispositions du code de la famille. Il faut continuer à introduire le principe d’égalité des conditions du mariage, supprimer le tuteur et la dot.
Il faut revenir sur les dispositions du divorce, supprimer le divorce par volonté unilatérale et le khol et les fondre dans un même article où cette liberté pour l’un et l’autre des époux va pouvoir être demandée sans motifs. Introduire l’égalité dans le partage de l’autorité parentale à l’égard des enfants dans le mariage. Supprimer de la liste des bénéficiaires d’un conjoint qui ne laisse que des filles sans un héritier mâle. Il est temps de réfléchir avec raison et non par la passion en tenant compte de la réalité sociologique.
En 4 ans, le taux de divorce est passé de 20,9% à 33,5%
En 2023, il y a eu 278 664 mariages transcrits à l’état civil. Une baisse de l’effectif des mariages enclenchée depuis 2014 avec un rythme accéléré en 2020, à cause de la pandémie de Covid-19. Il a été enregistré 285 000 unions au cours de l’année 2020, soit une baisse relative de plus de 10% par rapport à l’année 2019. Un effet de récupération est ensuite observé l’année suivante avec un effectif global de 315 000 mariages, mais à compter de l’année 2022, la baisse se poursuit pour atteindre 278 664 en 2023.
Le nombre de divorces est passé de 84 072 en 2022 à 91 402 en 2023 pour 278 664 mariages. L’effectif des divorces enregistrés par les services du ministère de la Justice font ressortir un volume de 93 402 ruptures d’unions prononcées au cours de l’année 2023. Le taux brut de divortialité, exprimé par l’ONS entre le nombre de divorces et la population moyenne de l’année est passé de 1,52% à 2,02% entre 2019 et 2023. D’autre part, le taux de divorce, qui est défini étant le rapport entre l’effectif des divorces et celui des mariages contractés durant la même année, connaît une augmentation plus franche au cours de la même période, passant de 20,9% à 33,5%. N. O.