Naamane Leila. professeure en psychiatrie à Blida : «L’addiction à la drogue est un cercle infernal à l’issue tragique»

07/09/2022 mis à jour: 17:04
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● Leila Naamane est professeure agrégée en psychiatrie depuis l’année 2019 et experte auprès des tribunaux ● Elle est également cheffe de l’unité hospitalisation homme au service C, sis à l’établissement hospitalier de psychiatrie Frantz Fanon (Blida) ● 

Dans cet entretien, Leila Naamane revient sur l’augmentation inquiétante de la consommation de drogue en Algérie et sa répercussion sur la montée de la violence et des crimes.

 

 

 

-La consommation de drogue a explosé ces dernières années, surtout chez les jeunes. A quoi cela est-il dû ? 
 

L’addiction est loin d’être un phénomène nouveau, mais elle a pris une ampleur effarante ces dernières années avec des répercussions sociales et médicales des plus indéniables, elle concerne actuellement toutes les tranches d’âge, précocement même, chez des enfants de 11 ans. Cette augmentation peut être due à plusieurs facteurs favorisants qui sont liés à l’individu lui-même ou à son environnement, ainsi certains individus sont plus enclins à cette pratique addictive que d’autres, sachant que les effets escomptés face à une drogue sont variables. 

Cette augmentation peut être due à l’accessibilité aux substances et leur disponibilité, la recherche perpétuelle de sensations nouvelles, notamment chez les adolescents, sachant que l’adolescence est la période propice et à risque pour l’émergence d’une addiction. Avec le comportement ordalique et un besoin perpétuel de jouer avec la mort, l’addiction peut être synonyme de validation de l’existence en risquant celle-ci, surtout chez les personnes les plus vulnérables. Nous avons aussi les mauvaises conditions sociales qui sont impliquées, la précarité, la facilité d’entraînement, l’imitation, la délinquance, la recrudescence des troubles mentaux, notamment la dépression, qui est le motif de consultation le plus fréquent, les psycho-traumatismes aussi qui sont souvent associés à ce comportement, le détournement de certains médicaments de leur usage thérapeutique dès la découverte du bien-être qu’ils procurent.
 

-La consommation de psychotropes semble prendre le dessus. Le confirmez-vous ? 
 

Les psychotropes sont favorisés chez certains et leur usage est toujours d’actualité, mais ce sont les poly-consommations qui sont les plus répandues. Nous assistons actuellement à des consommations nouvelles ou improvisées, des cocktails selon disponibilité afin d’optimiser les effets espérés ou attendus. Certaines consommations se sont banalisées, telles que le cannabis ou l’alcool, alors que d’autres ont pris le dessus, comme les drogues dures, dont la cocaïne et l’héroïne. Je cite aussi la prégabaline et le tramadol qui ont été détournés de leur usage thérapeutique, et j’en passe. D’autres addictions sont en émergence, ce sont les addictions sans substance, telles que les jeux de hasard et d’argent. 
 

-On assiste à une montée inquiétante de la violence et des crimes dans nos villes et villages. Est-ce lié à la consommation des psychotropes et autres drogues ?
 

Pour la violence et l’addiction, l’actualité nous offre une triste situation, cette relation aux suites malencontreuses fait malheureusement partie de la réalité, et l’usage de substances peut être à l’origine de l’agir criminel, comme en témoignent les nombreux crimes perpétrés par ces consommateurs. 
 

Alors ces sujets auteurs d’hétéro ou d’auto-agressivité peuvent être des personnes éprises de comportements addictifs en phase de perte de contrôle, ils peuvent être aussi sous l’emprise d’un délire post-toxique, des personnes antisociales qui ont tendance à transgresser continuellement la loi. C’est une violence à plusieurs équations.
 

-Justement, quelles sont les conséquences de cette consommation sur l’individu ?
 

Les répercussions du comportement addictif sont des plus affligeantes pour l’individu, l’entourage et la société en globalité. Les conséquences de la consommation de substances psychoactives et autres sont psycho-médico-sociales, avec des répercussions délétères, relationnelles et familiales et une manifeste désinsertion sociale et professionnelle allant jusqu’à l’exclusion. Nous avons la tendance à l’agressivité qui est à l’origine d’actes délictueux (violence, accidents, engagement dans des activités frauduleuses…), sans oublier les conséquences judiciaires de l’usage de substances illicites. En parallèle du processus addictif, nous assistons à l’installation de troubles mentaux divers, à savoir des troubles dépressifs ; troubles de l’humeur ; des psychoses et des conduites suicidaires…, des conséquences somatiques avec un risque vital immédiat lié à l’usage excessif, ce sont les risques de surdosage générant un coma et allant jusqu’au décès de l’usager, des pathologies cardiovasculaires, je cite à titre d’exemple l’injection d’héroïne qui engendrera des pathologies infectieuses, telles que le VIH, les hépatites B et C, ainsi que les septicémies.
 

-En tant que psychiatre expert, vous avez eu à traiter des toxicomanes et à les expertiser suite à un acte médico-légal. Parlez-nous de cette expérience et de votre constat d’une manière générale ? 
 

En effet, étant psychiatre et expert auprès des tribunaux, j’ai eu maintes fois à examiner des sujets auteurs d’effractions ou d’actes délictueux au niveau des maisons d’arrêt. Des jeunes ne dépassant pas la vingtaine pour la plupart, avec des chefs d’inculpation allant du vol, escroquerie, coups et blessures à l’encontre des parents ou l’entourage, jusqu’à l’homicide dans toutes ses formes. Les motifs différent d’un sujet à un autre, pour certains, nous avons été stupéfait par l’intensité de l’indifférence et l’absence de culpabilité, minimisant les faits et les justifiant par le chômage ou les mauvaises conditions de vie, leurs ressources proviennent des délits qu’ils perpétuent. La plupart d’entre eux sont des consommateurs mais plus pourvoyeurs, chez eux, l’application de la responsabilité pénale ne se pose généralement pas, à ce stade, ils sont pleinement conscients de leurs actes et transgressent sciemment la loi. 

D’autres sont des consommateurs réguliers qui ont développé des troubles mentaux tels que la psychose post-toxique, dans ce cas, ils ne disposent plus de leur libre arbitre, et ils sont plus considérés comme patients que délinquants, c’est à ce stade que se pose la question de la responsabilité pénale, nous avons rencontré aussi des jeunes porteurs d’une insuffisance mentale légère, très impulsifs et facilement influençables. Mais pour la majorité de ceux que j’ai examinés, la question de la responsabilité pénale ne s’est pas posée, et ils ont été déclarés responsables des faits qui leur ont été reprochés, c’est un constat personnel, issu de mon humble expérience.
 

-Traiter un toxicomane, est-ce uniquement l’affaire du psychiatre ? 
 

La prise en charge des personnes addictives est pluridisciplinaire, toute la société est concernée : les autorités pour le contrôle et les saisies, les familles pour la surveillance, le soutien et la motivation, vous à travers vos articles pour la dénonciation et la sensibilisation, nous en tant que praticiens pour la prise en charge médicale proprement dite. 
 

Sont concernés tous les acteurs de la santé (psychiatres, psychologues, généralistes, paramédicaux, journalistes, familles, enseignants pour la sensibilisation dans les milieux scolaires, les autorités confondues…). 
 

D’ailleurs le service d’addictologie de Blida offre des soins très appropriés, et il dispose de professionnels très aguerris. L’addiction est un cercle infernal aux répercussions dommageables et à l’issue tragique, de la recherche du plaisir à l’accroissement de la consommation à la désastreuse perte de contrôle synonyme d’un raptus ou tout peut arriver. Je termine en partageant un moment qui m’a marqué lors de ma formation en psychiatrie médico-légale, une maman, une septuagénaire, qui accompagnait son fils toxicomane à l’hôpital, qui était à l’apogée du désarroi, éreintée, ses ressources toutes puisées, j’avoue que c’était un patient dépourvu de motivation, incontrôlable, très agressif, totalisant de nombreuses incarcérations (coups et blessures avec arme blanche à l’encontre des parents), d’ailleurs il est décédé suite à un surdosage. 

A l’issue de chaque consultation, désespérée elle me répétait en larmes : «Je l’aime, c’est mon fils, mais je prie le bon Dieu pour qu’il meurt...»

 

Entretien réalisé par  Mohamed Benzerga


 

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