Des vies et des voix pleines d’échardes pour une discographie aux belles ramifications : l’anglais Elvis Costello et le groupe Eels retrouvent l’étincelle de leurs débuts avec des disques lâchés dans les premières semaines de 2022.
Les deux hommes (Eels est un groupe-paravent pour son créateur Mark Oliver Everett, figure majeure de la scène alternative américaine) ont beaucoup en commun, à commencer par des cordes vocales éraflées.
«Leur voix n’est pas très conventionnelle dans l’histoire du rock, ils se sont créé une place en nageant à contre-courant, personne ne les attendait», dépeint pour l’AFP Michka Assayas, auteur d’un dictionnaire du rock de référence. Personne ne leur prédisait non plus une telle longévité. The boy named if, paru mi-janvier, est le 32e album studio d’Elvis Costello, apparu pour la première fois sur disque en 1977 (My aim is true).
Le voilà presque à hauteur de la productivité d’un Bob Dylan (39 disques studio). Extreme witchcraft, ce vendredi, est le 14e opus d’Eels, surgi dans les radars en 1996 avec l’album Beautiful freak.
«Costello l’a dit, il pensait ne faire qu’un tour de manège dans les années 1970, puis faire autre chose, avec son physique de moche de la classe», rappelle en riant Michka Assayas. On est également loin du look du gendre idéal avec Mark Oliver Everett. L’Américain, qui nomme son groupe Eels (Anguilles), se cache derrière barbe négligée et lunettes de soleil et vue superposées grossièrement. –
«Des gens qui grinçaient»
Leurs textes sont à l’avenant. «Ce sont des gens qui grinçaient», résume Michka Assayas, animateur sur la radio France Inter. Novocaine for the Soul, tube des débuts de Eels, chante une quête de drogue pour soulager le mal-être. Quant à Costello (Declan Patrick MacManus, sur son acte de naissance anglais), si sa musique revisite dès le départ les canons du rock, c’est le punk qui transpire de son attitude.
«Sa colère le distinguait», synthétise Michka Assayas. Costello «en veut au monde entier» en débarquant dans le showbiz, «aux filles des magazines qui le snobent» aussi bien qu’«aux groupies trop faciles», écrit Philippe Manoeuvre dans sa «Discothèque rock idéale». Costello griffera son début de parcours professionnel et sentimental à coups de tournées chaotiques entre drogue et alcool, avant de s’apaiser au côté de la diva jazz Diana Krall.
Le sexagénaire en a fini avec les excès. La vie de Eels est marquée par la mort.
Celle de son père, dont il découvre le corps inanimé à 19 ans, d’une sœur suicidée, de sa mère terrassée par le cancer, ou d’une cousine disparue dans un des avions détournés du 11 septembre. Mais les deux artistes transforment en élixir musical le poison de leur existence -- Costello s’est remis d’un cancer.
Comme en témoignent leurs dernières livraisons. «Ils sont à la fois classiques et personnels, traditionalistes et modernes, dans la réinvention du rock», déroule Michka Assayas. Les décharges Farewell, Ok et Amateur hour ouvrent les albums respectifs de Costello et Eels, qui offrent ensuite un bel éventail d’ambiances. Pour s’entourer, ils ont réactivé d’anciennes connections.
L’Anglais a renoué avec The Imposters, soit son groupe des origines The Attractions, à un musicien près.
De quoi rendre sa plume nostalgique, comme Costello l’explique dans les notes d’un disque qui «nous mène des derniers jours d’une enfance sans entrave jusqu’à ce moment, mortifiant, où on vous demande d’arrêter de vous conduire comme un gamin».
L’Américain de Eels a lui rappelé John Parish, guitariste et producteur avec qui il travailla sur Souljacker (2001). Parish, musicien d’une «politesse» exquise en dehors des studios, mais qui, une fois à l’intérieur, devient un «savant fou», un «Mister Hyde» selon Eels. Des personnalités multiples idéales pour une «Sorcellerie extrême» (Extreme witchcraft).