Sa carrière était prédestinée, Abdelli Abdou de son nom et prénom a toujours été premier par ordre alphabétique dans les listes. Fort de cette position et ne sachant rien faire de spécial, il est entré très tôt dans l’administration, occupant la fonction de troisième sous-secrétaire à la sous-direction du contrôle local, puis d’agent de délivrance à la commission de réglementation, délégué aux autorisations annexes puis superviseur adjoint à la documentation.
Abdou ne travaille que trois heures par semaine et a un bon salaire puisque c’est un collègue à lui à la direction centrale des salaires qui s’en occupe, n’a pas de problème de retraite, un autre collègue s’occupant des retraites de l’administration et pas de problème d’impôts puisqu’il a un collègue aux impôts.
Combien de collègues ? Selon un collègue à la direction du chiffre, du nombre et des calculs administratifs, ils seraient ainsi des millions dans tout le pays à faire perdre du temps à tout le monde et au fond de lui, Abdelli Abdou sait qu’il est l’ennemi du développement, lui et l’Administration, qui bloque, retarde, empêche, parasite et tergiverse, hésite, contrôle et délivre, jouant avec les nerfs de l’investisseur, inventeur ou simple citoyen.
Mais il faut bien vivre et Abdelli Abdou aime faire traîner un papier pendant un an et quand il finit par le donner, adore entendre le demandeur lui dire merci, même si c’est un droit et qu’il est en retard.
Ce qui n’est qu’un cas particulier, lui et ses collègues laissant en général le papier pourrir dans leur bureau jusqu’à ce que le demandeur propose de l’argent pour aller plus vite, ce qui n’est pas de la corruption mais une façon de vendre du temps, car contrairement au demandeur, il en a.
Ils forment ainsi une caste tentaculaire, solidaire et muette, perverse et paresseuse, et comme Abdelli Abdou, à ne rien produire, pas même un clou. D’ailleurs pour produire un clou, il faut d’abord déposer un dossier à leur niveau et attendre patiemment leur autorisation.