Mohamed Mouloud Haddak. Coordinateur du réseau SaNuit-Maghreb : «Un guide de bonnes pratiques peut évoluer vers une standardisation des réglementations»

04/04/2022 mis à jour: 03:01
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Photo : D. R.
  • Quel est l’état des lieux et y a-t-il des similitudes ou des déterminants communs entre les trois pays en matière de sécurité routière ?

Globalement, les pays du Maghreb se situent parmi les pays les plus à risque en termes de sécurité routière, comme c’est le cas de la plupart des pays dits émergents. Cette insécurité routière touche plus particulièrement les jeunes en deux-roues motorisés, les piétons ainsi que les usagers de la route des zones rurales.

De par leurs proximités diverses (géographique, climatique, culturelle) et leurs ressemblances (mêmes courbes démographiques, niveau de développement économique, de motorisation et limites des transports publics…), l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont de nombreuses similitudes sur ce plan.

Tous ces déterminants communs font qu’il est prévisible qu’ils aient un même niveau d’insécurité routière. Pour autant, la politique et la gestion de la sécurité routière peuvent être différentes d’un pays à l’autre, voire d’une période à l’autre, et les comportements des usagers aussi.

  • Quelles sont les stratégies de sécurité routière mises en œuvre par chacun des pays ? Ont-elles abouti à des résultats ? Les données de l’accidentologie sont-elles fiables ?

Pour le moment, les forces de l’ordre tentent de freiner l’augmentation du niveau de l’insécurité routière. Il est difficile dans ces conditions de parler de stratégie quand la politique de sécurité routière se limite juste à la peur du gendarme.

Si nous nous référons aux engagements des pays du Maghreb vis-à-vis de l’OMS (réduire de moitié le nombre de morts sur les routes en dix ans) ou vis-à-vis de l’ONU (ODD 3.6), on peut affirmer que nous sommes loin du compte.

Les analyses des évolutions globales des données de sécurité routière des différents pays du Maghreb montrent qu’au Maroc, on note une amélioration très nette de la qualité des recensements des victimes d’accidents de la route, par comparaison à l’Algérie et à la Tunisie, où ces recueils restent peu fiables.

On peut se dire que la gravité des accidents, et donc la létalité est élevée au Maghreb, mais cette létalité ne suffit pas à elle seule à justifier ces écarts. Il y a bien un sous-recensement important des blessés les plus légers en Algérie et en Tunisie.

Ceci n’est pas une démonstration, mais juste une analyse sommaire de la situation : le Maroc a le même niveau de mortalité que les deux autres pays, mais il a une létalité beaucoup plus faible, qui ne peut s’expliquer, en grande partie, que par un meilleur recensement des blessés, dont les plus légers.

Il reste que le problème le plus grave dans les recueils de données de sécurité routière dans les pays du Maghreb est la place de la victime d’abord et du conducteur ensuite. Ils sont quasiment inexistants dans ces recueils.

D’ailleurs, dans un accident impliquant plusieurs véhicules, il est difficile de savoir dans quel véhicule étaient les victimes. Il est même impossible de savoir leur âge ou leur sexe, voire qui était conducteur ou passager ou piéton ou autre…

De ce fait, il est cocasse d’entendre les responsables de la sécurité routière des différents pays répéter à longueur d’année que 95% des accidents sont dus au comportement humain.

Outre que c’est une lapalissade (s’il n’y a pas de mouvement, il n’y a pas d’accident), pourquoi, dans ce cas, ne se préoccupe-t-on pas plus des usagers impliqués dans ces accidents ?

C’est-à-dire savoir qui sont-ils, pourquoi se sont-ils déplacés, et n’ont pas pu éviter cet accident…, afin de remédier à ce genre de situation.

Pourtant, il ne s’agit pas d’aller faire des investissements coûteux pour collecter de nouvelles données. Pour l’essentiel, ces dernières existent.

Il suffit de donner les moyens à l’institution publique des statistiques de collecter ces données, les relier, les anonymiser et les mettre à la disposition de la recherche scientifique et universitaire.

  • Y a-t-il des pistes de réflexion à soumettre aux pouvoirs publics ?

Le secteur du transport, routier en particulier, représente une part importante de l’emploi et de l’économie du pays. C’est également un enjeu de santé publique et de qualité de vie. Il est donc anormal que ce secteur ne soit pas plus investi par la recherche universitaire.

D’autant plus que la recherche scientifique internationale en sécurité routière a développé ses propres modèles dans toutes les disciplines, et ce, depuis près d’un demi-siècle. En particulier, il est indispensable d’encourager le monde universitaire et scientifique dans cette voie. Toutes les disciplines sont concernées.

Certes, des Masters en transport ont été créés dans différentes universités, avec des modules, voire des options en sécurité routière, parfois même des écoles doctorales en économie des transports, mais le manque de structures de recherche ciblées fait cruellement défaut, car c’est là où se fait la capitalisation des connaissances.

Ainsi, une implication plus importante des sciences humaines et sociales dans la recherche en sécurité routière améliorerait les politiques publiques de prévention en sécurité routière.

De même, une implication plus active du monde de la santé et une collaboration plus étroite de tous les intervenants lors de la prise en charge pré-hospitalière des accidentés de la route conduiraient à une réduction considérable du nombre de décès secondaires et de séquelles graves.

Ces exemples sont donnés juste pour indiquer que la recherche en sécurité routière au Maghreb doit permettre de mettre en évidence les failles du système et de donner des pistes pour y remédier. C’est à partir de cet état des lieux critique que les pouvoirs publics pourront élaborer leur stratégie de prévention et de lutte contre l’insécurité routière.

L’efficacité des mesures proposées pourra être évaluée par des études coûts-bénéfices ou coûts-avantages par le monde de la recherche. Ce qui permettra aux pouvoirs publics de mieux hiérarchiser la mise en œuvre de leur stratégie.

Cette politique de sécurité routière, une fois mise en œuvre, sera à nouveau soumise à l’évaluation du monde de la recherche par le biais d’études avant-après… Et ainsi de suite. Cette coopération ne pourra être que bénéfique à la société dans son ensemble.

  • Peut-on aller vers une standardisation des réglementations routières internes ?

Avant de parler de standardisation, il faudrait, comme vous l’avez mentionné plus haut, effectuer un véritable état des lieux de la sécurité routière dans chacun des pays.

Il faudrait faire un bilan critique des politiques et des stratégies et de leur mise en œuvre.

A partir des échecs et des réussites qui en résultent, on peut établir un guide des bonnes pratiques qui pourra être proposé à discussion. Ces bonnes pratiques, si elles sont adoptées par tous, peuvent constituer la base d’une standardisation de la réglementation.

Par ailleurs, un certain nombre de réglementations sont adoptées au niveau international, leur intégration dans les politiques nationales de sécurité routière participe à cette standardisation.

Mais avant d’arriver à une standardisation des mesures des réglementations routières, l’urgence est de créer un cadre, un forum de discussion, afin qu’au Maghreb les chercheurs de toutes disciplines et les praticiens de tout domaine en sécurité routière se parlent, échangent et débattent. 

C’est un peu le sens du projet de réseau SaNuit-Maghreb.

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