- Pouvez-vous nous parler des conditions de travail des journalistes (les localiers) exerçant dans les régions pour la presse nationale ?
D’abord, il faut signaler que les conditions de travail des journalistes correspondants locaux ne sont pas les mêmes que celles de leurs collègues travaillant au sein des rédactions centrales. Les localiers ne bénéficient pas des mêmes avantages ni du même statut.
La majorité des localiers dans tous les médias (presse écrite ou électronique et audio-visuel) souffre de la précarité. Quant aux conditions professionnelles, il est clair qu’il existe des inégalités en matière de moyens mis à la disposition de ces deux catégories professionnelles.
Et pourtant, rien ne peut justifier une telle situation ! Faute du manque de moyens, plusieurs correspondants se débrouillent seuls et sont obligés d’utiliser leurs propres moyens et matériels pour couvrir des événements. Encore, les salaires des localiers sont vraiment dérisoires et ne permettent pas une vie décente.
Ils font face aussi à des retards dans le versement de leurs salaires et primes, s’il y en a bien sûr. Les frais de mission accordés aux journalistes des régions sont très limités et ne les encouragent pas à faire un travail d’investigation. Ne disposant pas d’une carte de journaliste professionnel, beaucoup d’entre eux continuent de travailler avec des ordres de mission.
Outre ces problèmes organisationnels et de gestion, les localiers subissent de multiples pressions émanant de différentes parties. Les pressions, les menaces et les tentations sont devenues le quotidien du correspondant local. Fragilisé et vulnérable, le localier est méprisé par les rédactions centrales et sous-estimé par les responsables locaux.
- Plusieurs journalistes localiers terminent souvent leurs carrières sans retraite et sans logement et vivent, pour la plupart, dans le dénuement. Comment expliquez-vous cette situation ?
C’est vraiment dommage et indigne. Commencer à exercer son métier dans la précarité et continuer de le faire dans l’instabilité et la déception, et finir ses jours dans la misère et l’ingratitude n’est pas du tout un parcours souhaitable pour n’importe quel professionnel. Je ne peux pas expliquer une telle situation insupportable et dramatique en quelques mots. Le localier est le maillon faible de la corporation.
Plusieurs facteurs ont engendré une telle situation. La politique de centralisation n’aide pas le développement de la presse locale et constitue un frein pour l’épanouissement des localiers. La marginalisation professionnelle entraîne une marginalisation sociale. Le journaliste correspondant n’a pas de statut particulier qui le protège, ni un plan de carrière clair. Son identité sociale et professionnelle est floue. Ensuite, il y a la responsabilité des entreprises médiatiques.
Le laisser-aller des services concernés est aussi une des causes qu’il faut signaler. Sincèrement, je vois mal comment l’Etat continue d’injecter de l’argent dans des médias en faillite professionnellement et économiquement et qui ne payent pas et ne garantissent pas les droits de leurs journalistes.
- Que préconisez-vous, en tant que chercheur dans le domaine des SIC, pour améliorer les conditions sociales de cette catégorie de journalistes ?
L’amélioration des conditions sociales de ces journalistes passera par une solution globale et un assainissement général du secteur des médias. Il faut procéder à une vraie réforme de la profession. Le changement ne viendra pas sans la volonté politique.
L’Etat devra veiller au respect des lois par les patrons de presse concernant les droits des localiers.
La transparence dans la gestion des entreprises médiatiques, l’amélioration des conditions sociales des correspondants locaux dépassent les patrons de presse qui semblent dépassés ou désintéressés.
Le contrôle ne suffit pas, l’Etat peut décider des mesures sociales et d’accompagnement au profit de ces professionnels pour l’acquisition de logements par exemple. Enfin, les localiers doivent être solidaires et unis, il faudrait bien qu’ils dépassent leurs divergences politiques, idéologiques et même professionnelles quand il s’agit de leurs droits.