Miloud Brahimi. Avocat pénaliste : «La détention provisoire est un désastre national»

27/04/2022 mis à jour: 21:29
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Connu comme un des plus pertinents pénalistes, Me  Miloud Brahimi ne manque pas de qualifier le recours à la détention préventive de désastre national. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il affirme que cette mesure «est devenue tellement courante qu’on a fini par parler de détention provisoire. On a carrément transformé la règle en exception et l’exception en règle. Ces détentions sont contraires à la loi. Elles ne servent ni la justice ni le justiciable».

 

Entretien réalisé par  Salima Tlemçani

 

 

 

  • Placé en détention pour ses publications sur les réseaux sociaux, Hakim Debazi est mort à la prison de Koléa, dans des circonstances inconnues, avant qu’il ne soit jugé. Ce tragique décès remet sur la scène le problème de la détention provisoire. Peut-on connaître votre avis sur cette question ?
     

A mon avis, depuis longtemps, la détention provisoire telle qu’elle est pratiquée depuis l’indépendance est un véritable désastre national. C’est une violation flagrante de la loi. Des personnes présumées innocentes sont privées, de manière systématique, de leur liberté alors qu’elles peuvent être laissées en liberté en attendant leur procès. Plus grave encore, bon nombre d’entre elles se révèlent innocentes après le procès. Elles quittent la prison avec de lourdes séquelles. Le cas du jeune militant du hirak, détenu à Koléa et décédé il y a quelques jours, est révélateur. Ces détentions sont contraires à la loi. Elles ne servent ni la justice ni le justiciable.

 

  • Qu’est-ce qui pousse les magistrats à recourir souvent à la détention alors qu’elle constitue une mesure exceptionnelle au vu de la loi ?
     

La loi est très claire. La détention est une mesure exceptionnelle prise dans le cas où les faits sont extrêmement graves, comme par exemple un meurtre. Or, elle est devenue tellement courante qu’on a fini par parler de détention provisoire. On a carrément inversé la règle et l’exception, et tout le monde y adhère.

 

  • Qu’est-ce qui oblige les magistrats à privilégier la détention, qui est une mesure exceptionnelle, à la liberté, qui doit, selon la loi, constituer la règle ?
     

C’est une pratique courante, et ce, depuis l’indépendance. Aucun des régimes et des systèmes qui se sont succédé n’y a échappé. En réalité, les magistrats se sont habitués à faire de la détention une règle et non pas une exception.

  • C’est contraire à la loi, pourtant les voix qui dénoncent restent peu nombreuses, notamment au sein de la corporation des avocats. A votre avis, pourquoi ?
     

C’est vrai. La corporation des avocats reste très peu préoccupée par cette question et c’est dommage. Tout comme pour les magistrats, les avocats se sont, eux aussi, habitués à cette confusion entre la règle et l’exception. Même la chambre d’accusation, cette instance de contrôle des magistrats, refuse systématiquement la mise en liberté. Pis encore. Elle prononce elle-même la détention lorsque des juges décident de laisser le prévenu en liberté. Nous sommes devant un désastre national.

 

  • Dans le cas où le prévenu meurt en prison, les familles ont-elles les moyens de réclamer des droits ? 
     

Il faut savoir qu’il est plus difficile de faire valoir les droits des détenus que ceux des non-détenus, parce qu’il y a une tendance naturelle à condamner pour couvrir la durée de détention. Cela fonctionne ainsi entre le justiciable et la justice. Cela étant, il faut savoir que la présomption d’innocence n’est pas exclusive de la détention. Ce qui fait que la famille se retrouve désarmée. 

Ce qui lui reste à faire est de condamner l’Etat à une réparation pécuniaire, mais à condition qu’elle prouve qu’il y a un rapport entre le décès et la détention. Ce qui est extrêmement difficile à faire. Par contre, la loi permet au détenu bénéficiant d’une relaxe définitive de poursuivre l’Etat, pour obtenir une réparation matérielle.

 

  • Pourquoi une telle discrimination n’a-t-elle pas été prise en compte par les professionnels du droit ?
     

La jurisprudence conforte plus la détention que la liberté. J’ai dû batailler des années sur cette question de détention, mais le résultat est le même. Nous ne sommes pas nombreux à dénoncer à chaque fois qu’il le faut, mais cela reste insuffisant. Il faudrait unifier les efforts, impliquer aussi bien les avocats que les militants des droits de l’homme pour défendre le droit à la liberté et à la présomption d’innocence. 

C’est malheureux et triste de voir la facilité avec laquelle des gens sont jetés en prison et oubliés dans les méandres des procédures, pour des faits souvent banals.

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