Messaoud Belambri. Docteur en pharmacie et ancien président du Snapo : «Des textes spécifiques en préparation»

20/01/2025 mis à jour: 05:25
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Photo : D. R.
  • Quelle est la réglementation en vigueur en Algérie concernant la commercialisation des compléments alimentaires, qu’ils soient vendus en pharmacie, en magasins spécialisés ou en ligne ?

La réglementation en vigueur est celle relative aux aliments (denrées alimentaires), ce qui veut dire que c’est pratiquement la même réglementation qui gère les aliments de tous les jours que nous connaissons et celle des compléments alimentaires, et ce sont des produits vendus partout, pas seulement en officine. On les retrouve dans les commerces habituels (parapharmacie, superettes, épiceries, etc.).

  • Les compléments alimentaires nécessitent-ils une autorisation spécifique ou un enregistrement auprès des autorités sanitaires avant leur mise sur le marché ?

Il est nécessaire de faire l’enregistrement du produit principalement auprès du ministère du Commerce. C’est le ministère principal qui exerce son autorité en matière de compléments alimentaire. Parfois, le ministère du Commerce peut avoir recours au ministère de la Santé, ou même au ministère de l’Industrie pharmaceutique lorsqu’il est nécessaire d’avoir des renseignements sur certain composants (sels minéraux, vitamines, substances végétales ou même chimiques)…

Mais c’est principalement du ministère du Commerce dont relève l’autorisation de mise sur le marché des compléments alimentaires, mais il se fait aider par la santé et l’industrie pharmaceutiques sur des aspects techniques et scientifiques dans un intérêt de santé publique.

  • Quelles obligations légales les distributeurs et commerçants doivent-ils respecter (étiquetage, traçabilité, composition) pour garantir la sécurité des consommateurs ?

Justement, la réglementation commerciale est assez riche et étoffée chez nous en Algérie. Même les produits d’hygiène, ou cosmétiques, sont soumis à une réglementation stricte et sévère en matière de présentation et d’étiquetage. Et les compléments alimentaires n’échappent pas à la règle, d’autant qu’il s’agit de produits «ingérables» et même souvent prisés pour leurs qualités présentées comme «curatives», complémentaires ou substitutives aux médicaments.

Et donc, il y a plusieurs textes réglementaires établis par le ministère du Commerce établissant les règles d’étiquetage, de traçabilité et de composition ; et qui sont appliquées aux compléments alimentaires. Il y a d’ailleurs une circulaire signée par cinq ministères (Santé, Industrie pharmaceutique, Finances, Commerce et Agriculture) de plusieurs pages qui a émis des règles dans ce sens. Et les produits qui n’étaient pas conformes ont tout de suite été retirés du marché pour une mise en conformité.

  • La vente de compléments alimentaires via internet est-elle encadrée par une réglementation spécifique en Algérie ? Si non, pourquoi ?

Il faut préciser que la vente par internet, ou la vente en ligne est réglementée en Algérie. La plupart des activités de vente en ligne se font actuellement en dehors du cadre légal mis en place en Algérie. La vente en ligne nécessite une autorisation spéciale, c’est une activité à part, et nécessite un registre de commerce spécialement dédié à la vente en ligne. Donc, la réglementation de la vente en ligne est la même pour tous les produits, il faut juste savoir qu’elle exclut le médicament, le tabac et l’alcool.

Mais nous estimons que la vente en ligne des compléments alimentaires reste risquée et peut représenter des dangers pour la santé des citoyens, car il n’y a pas de conseils d’un personnel spécialisé. On risque d’avoir des confusions avec des médicaments, des surdosages, des interactions, ou même des intoxications. En plus, la vente en ligne, qu’elle soit accomplie dans un cadre légal ou informel, est la porte d’entrée, dans le monde entier, à des produits douteux, non conformes ou contrefaits.

C’est pour cette raison que nous avons toujours été, au SNAPO, très réfractaires à la vente en ligne, notamment s’agissant de compléments alimentaires, ou autres produits comme la dermo-cosmétique, les dispositifs médicaux, ou même les produits de parapharmacie.

  • Comment distinguer les plateformes légales de celles opérant dans l’illégalité ?

Les plateformes légales devraient inscrire les autorisations et visas accordés par le ministère du Commerce, et leur numéro et code du registre de commerce. Pour notre part, nous pensons qu’il est indispensable également de citer clairement toutes les coordonnées de ces sociétés de vente en ligne de manière complète, l’adresse et téléphones de leur siège social et succursales, et même les noms des principaux responsables de la société.

Souvent sur la toile agissent des sociétés anonymes et non identifiables et qui se permettent tout, car leur seul but reste le gain rapide et facile et ne s’inquiètent guère de la santé de nos concitoyens, et c’est un constat mondial.

  • Quelles sanctions ou mesures légales sont prévues contre les vendeurs en ligne proposant des produits non conformes ou sans autorisation ?

Souvent, il y a des produits cancérigènes qui entrent dans la composition des produits proposés à la vente sur internet et qui ont été retirés du marché depuis longtemps, des produits contrefaits et qui portent faussement des noms de marques connues, des produits qui contiennent des produits insignifiants comme de la farine ou de l’amidon, ou de simples liquides aromatisés et sucrés sans plus, alors que l’emballages est attrayant et captivant. Et par moment, ils contiennent malheureusement des médicaments pouvant nuire à la santé des citoyens.

La réglementation algérienne est sévère, notamment la loi portant sur la protection du consommateur. La loi 09-03 du 29 février 2009 prévoit des dispositions pénales en cas d’infraction ou de non respect de la réglementation. Il y a des dispositions et peine pénales ça commence par des amendes et des peines d’emprisonnement qui peuvent aller jusqu’à la perpétuité s’il y a décès.

  • Quels sont les principaux risques pour les consommateurs algériens, notamment les sportifs, lorsqu’ils achètent des compléments alimentaires sur internet ou dans des magasins non spécialisés ?

Ces compléments alimentaires peuvent malheureusement contenir des substances chimiques ou médicamenteuses dangereuses, comme les hormones et les corticoïdes ; mais aussi, comme cités plus haut, des substances et additifs retirés du marché pour leurs effets cancérigènes ou hautement toxiques. Elles peuvent avoir un effet néfaste sur le cœur et système vasculaire, des conséquences sur l’équilibre hormonal avec des conséquences graves sur la physiologie et l’anatomie de la personne.

Vous savez, c’est presque les mêmes effets et conséquences qui peuvent être parfois mortels, que ces substances dopantes que certains sportifs prennent afin d’obtenir des performances meilleures ou un physique «d’athlète star».

  • Les pharmaciens d’officine sont-ils autorisés à vendre certains compléments alimentaires importés? Si oui, sous quelles conditions ?

Depuis pratiquement deux ans, l’importation des compléments alimentaires a été suspendue. On ne risque donc pas de retrouver ces produits au niveau des officines. Nous appelons d’ailleurs à faire attention aux compléments alimentaires importés, car il ne peut s’agir que de produits importés de manière illégale. C’est que nous qualifions souvent de produits cabas, et ce sont justement ces produits que nous retrouvons souvent sur les plateformes numériques de vente en ligne ; et là réside tout le danger.

  • Quels conseils pratiques donneriez-vous aux pharmaciens pour sensibiliser leurs clients aux dangers des produits vendus en dehors des circuits légaux ?

Il est bien évident qu’il est dans l’intérêt du citoyen d’acheter les compléments alimentaires au niveau d’endroits sûrs et respectueux de la réglementation et soucieux de la santé des citoyens. La pharmacie est un espace de santé tenu et géré par un professionnel de santé responsable et qualifié, qui dispose des connaissances nécessaires pour conseiller le citoyen au sujet de toute prise de n’importe quel 
produit, notamment le complément alimentaire. La pharmacie est un espace de santé ouvert à tous, sans rdv et gratuitement.

La loi sanitaire classe l’officine comme étant un établissement de santé. Nous disposons de 13 000 officines réparties sur le territoire national. C’est un espace de proximité de premier ordre. L’appel que nous lançons à nos concitoyens c’est de s’adresser prioritairement à leur pharmacien de famille si le besoin en complément alimentaire s’exprime. C’est le professionnel le mieux adapté et le plus qualifié pour les orienter ou leur conseiller un produit.

  • Que faudrait-il améliorer dans le cadre juridique actuel pour mieux encadrer la commercialisation des compléments alimentaires en Algérie ?

En Algérie, il faudrait un cadre juridique spécifique aux compléments alimentaires. Le SNAPO a travaillé plusieurs fois au cours des années précédentes sur des projets de textes réglementaires avec le ministère de la Santé ou le ministère du Commerce. Mais à ce jour, aucun texte complet n’a abouti. C’est toujours resté au stade de projets non adoptés par notre gouvernement.

Mais justement, nous venons encore de saisir, il y a quelques semaines, le Premier ministre à ce sujet, en formulant une demande urgente et un besoin nécessaire d’élaborer cette réglementation. Nous savons de source sûre que le Premier ministre vient juste d’instruire les ministères concernés afin de préparer ces textes spécifiques aux compléments alimentaires.

Le SNAPO a justement été reçu la semaine passé par le ministre du Commerce intérieur et de l’organisation du marché national, et il nous a informés que ses services sont en train de travailler pour l’élaboration de textes réglementaires spécifiques aux compléments alimentaires, et nous estimons que c’est une excellente nouvelle. Nous allons d’ailleurs transmettre nos propositions rapidement.

  • Les autorités envisagent-elles de renforcer les contrôles sur les produits vendus dans les magasins spécialisés et sur internet ?

Les contrôles existent par le biais des contrôleurs qualifiés et spécialisés relevant du ministère du Commerce, ou de  brigades mixtes composées des inspecteurs de la santé, des contrôleurs du commerce et même des services de sécurité (sûreté  nationale et Gendarmerie nationale).

C’est d’ailleurs grâce à ces contrôles que l’Etat arrive à débusquer et à mettre fin à des activités illicites portant sur la fabrication et la commercialisation de produits non conformes mettant en danger la santé de nos concitoyens. Les médias et les communiqués officiels des différents services de contrôle ont plusieurs fois rapporté la fermeture d’établissements travaillant dans l’informel et la clandestinité et dans des conditions d’hygiène des plus déplorables ; et souvent, en utilisant des produits non identifiés ou dangereux. C’est pour cette raison que les contrôles doivent être renforcés et réguliers au niveau du commerce général, mais surveiller également ce qui se passe sur la toile en matière de vente en ligne.

  • Comment le SNAPO peut-il collaborer avec les autorités sanitaires, les douanes et les associations pour lutter contre l’importation et la distribution illégales de ces produits ?

Le SNAPO collabore déjà depuis des années en signalant tout produit suspect ou non conforme. Les pharmaciens, à travers nos sections de wilayas, ou par le biais de nos forums professionnels internes, nous signalent souvent la présence sur le marché de certains produits douteux ou cabas. Et le bureau national les signale à son tour aux services concernés.

  • Quels mécanismes peuvent être mis en place pour garantir que seuls les produits conformes soient accessibles aux consommateurs algériens ?

Le suivi, les contrôles réguliers, la vigilance de tout le monde (professionnels, citoyens, les différents services de contrôles ; et pourquoi pas, l’installation d’une plateforme numérique national de signalement. La numérisation peut être un outil efficace en la matière. Cette plateforme pourrait être abritée par le ministère de la Santé ou du Commerce.

  • Pensez-vous que le marché des compléments alimentaires pourrait être mieux structuré en Algérie ? Si oui, quels sont les leviers à actionner ?

Nous pensons que les compléments alimentaires gagneraient à être catégorisés et classés. Car certains peuvent être utilisés à des fins thérapeutiques pour leurs allégations sanitaires ou médicales. 
Ceux-ci devraient être réservés aux officines car il y a des précautions d’utilisation à respecter, et le risque peut être énorme en cas de prise non conseillée, ou d’interaction avec des médicaments pouvant réduire ou amplifier l’action souhaitée ou de surdosage médicamenteux. 

Nous plaidons avec insistance, et ce, dans un intérêt de santé publique et de sécurité sanitaire que certaines catégories et marques de compléments alimentaires ne puissent être commercialisés qu’au niveau des officines, car le risque et le danger sont vraiment réels pour la santé de nos concitoyens. 
 

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