Mahfoud Ferroukhi. Docteur en archéologie et histoire de l’art :«Intégrer définitivement le Medghacen dans notre Agenda identitaire national»

17/07/2022 mis à jour: 01:18
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Mahfoud Ferroukhi

Mahfoud Ferroukhi est docteur en archéologie et histoire de l’art. Chercheur et consultant, il cumule une longue expérience dans les fouilles archéologiques et la protection des monuments, dans plusieurs pays. Actuellement, il préside le Comité scientifique et technique du PRETI (Programme d’études, de recherches et travaux du mausolée Imadghassen), il est chercheur-consultant.

Propos recueillis par  Nouri Nesrouche

  • La wilaya de Batna vient de renoncer à faire passer une double voie à proximité du mausolée de Medghacen. C’est une bonne nouvelle, n’est-ce pas ?

C’est une excellente nouvelle. Même si nous n’avons pas plus de détails, on ne peut que se réjouir de cette décision honorable. Parce que le Medghacen aurait été dans la même situation de fragilité ou pire que le mausolée royal près de Tipasa, où une autoroute est construite à peine à 200 m, qui dans le temps, avec les vibrations, posera des problèmes de fragilité. Il faut savoir que le mausolée de Batna n’est pas seul. C’est le tombeau d’un grand roi amazigh «Medghous» et de sa famille. Autour de cette grande « pyramide circulaire » unique au monde, il existe des tombeaux plus petits, mais similaires, des nécropoles très anciennes, des cimetières musulmans, de l’habitat et d’autres structures. Tout cela forme ce que l’on appelle «Imedghacen» (pluriel de Medghacen). Cette région est incroyablement riche. C’est pour cela qu’il ne faut pas protéger que le mausolée, mais également tout ce qu’il y a autour sur des hectares. Tel qu’il était prévu, le tracé du dédoublement de la voie aurait tout détruit. Imedghacen est un patrimoine-symbole national, il doit être mis à sa juste valeur et intégrer définitivement notre Agenda identitaire national (AIN). Il date au moins de 2500 ans. Imedghacen est l’une des traces indéfectibles de la première création d’une nation en Afrique du Nord. Il atteste de la place occultée de l’histoire de l’Algérie dans le concert des premières civilisations méditerranéennes de l’Antiquité. Ce site archéologique majeur algérien est un aussi un patrimoine universel. Il faut le protéger et le mettre en valeur.

  • La restauration de Medghacen subit un effet yoyo, les bonnes décisions sont toujours suivies par des blocages, entre-temps le monument subit des dégradations parfois irréversibles, quel est son état actuel ?

Oui. Cette situation dure depuis maintenant des dizaines d’années. Je dirais qu’une décision ne peut être considérée comme bonne que si elle est suivie d’une mise en œuvre méthodiquement planifiée, suivie, monitorée et évaluée à plein temps, afin de viser en permanence l’atteinte des objectifs et des résultats escomptés. Une décision seule n’a jamais fait un projet ! Vous savez, un tel site archéologique, fondamental pour l’Algérie, ne mérite pas de subir tous ces aléas, il a déjà trop pâti depuis l’Antiquité. La nature et l’homme ont dénaturé ce patrimoine. Dans les siècles passés, tous les tenons en plomb qui tenaient les blocs du mausolée entre eux ont été volés, ce qui a affaibli la structure. Aujourd’hui, c’est nous qui ne faisons rien pour le protéger. Nous ne pouvons plus accuser les autres. Depuis 1962, il y a eu trois tentatives pour restaurer le mausolée sans que les services concernés de la Culture n’aient su rebondir ou poursuivre. La dernière date de 2015. Là encore, des blocages administratifs ont ressurgi. C’est un phénomène récurrent, lassant. En général, comme c’est le cas pour le nouveau projet que nous portons, il n’y a ni des problèmes de montage technique ni financier, à ma connaissance. Quant aux compétences, je vous assure qu’elles ne manquent pas en Algérie. C’est plutôt l’espace d’expression de ces compétences qui fait défaut. Les années passent et la dégradation s’accentue et nous, nous faisons projet après projet sur le même sujet. Aujourd’hui, son état est très inquiétant et ce bijou d’architecture funéraire royale est véritablement en grave danger.

Cela fait des années qu’on parle de restaurer Medghacen et de valoriser le site. Nous venons de célébrer le 60e anniversaire de l’indépendance de notre pays, et nous n’arrivons toujours pas à dépasser les comportements et pratiques néfastes à la construction d’une nation forte de son respect pour ses aïeux et donc pour son patrimoine.

  • Vous êtes à la tête du comité scientifique du projet Preti, quelle est exactement votre mission ?

En fait, le Comité scientifique et technique (appelé CST) fait partie d’une nouvelle gouvernance approuvée par le ministère et l’association des Amis de Medghacen qui est partenaire. Il a été installé en septembre 2021 auprès du CNRA, mais le Comité de pilotage qui doit mener les opérations n’a pas encore été installé, malgré la décision ministérielle de 2021. Nous attendons son installation pour que le projet puisse réellement démarrer. De ce fait, il gère tous les aspects scientifiques et techniques. Si l’on se réfère à cette décision, d’une manière générale, on peut dire que le Comité est le garant scientifique et technique du projet appelé PRETI (Programme de recherche d’étude et de travaux sur Imedghacen et son espace). C’est la task force du projet. En étroite coordination avec le Comité de pilotage, il définit les actions à mener et les moyens (ce qui a été fait), met en œuvre le programme et suit la réalisation. Enfin, il valide les résultats. Il doit également mettre en œuvre un programme pédagogique de formation.

Ce comité est constitué d’experts algériens de haut niveau. Nous avons par exemple 3 experts internationaux qui sont en Europe et des spécialistes du CNRA, CNRPH, université et autres institutions. Tous ces membres, aussi passionnés que moi, connaissent très bien le monument. Certains d’entre eux ont travaillé des années sur le sujet. Moi-même j’y travaille depuis 7 années maintenant. Le comité peut aussi faire appel à toutes autres compétences nationales, sans exception.

Nous avons identifié tous les problèmes du site et des différentes tentatives de restauration qui ont échoué, nous avons cumulé des connaissances et c’est une capitalisation importante.

  • El Watan croit savoir que votre comité n’a pas été associé dans le choix du tracé controversé de la route ni dans le dénouement du problème depuis qu’il a été soulevé par l’association des Amis de Medghacen. Quelle est la place actuelle du comité ?

Je vous confirme que nous n’avons pas du tout été consultés. Je l’ai appris par Azeddine Guerfi, président de l’Association qui, heureusement, veille au grain et c’est tout à son honneur. Je ne comprends pas. Pour le Comité scientifique, c’est une stupéfaction totale. Je ne dirais pas que c’est un manque de respect envers des experts algériens qui ont, bénévolement pendant plus de 2 ans pour certains, travaillé pour les pays. Mais peut-on comprendre pourquoi un ministère valide un projet, annonce officiellement son budget, crée et installe un outil de gouvernance scientifique sans l’utiliser ? Je dois dire que le CST comprend des membres entièrement dévoués à ce projet et responsables des missions qui leur ont été confiées, pour lesquelles ils ont fait preuve, jusqu’à ce jour, d’un engagement pleinement volontaire. Ecoutez, j’ouvre une parenthèse pour dire que les détracteurs des projets qui les dépassent utilisent la délation, mais nous ne tenons pas compte des propos malintentionnés. Bref, la question du dédoublement de voie à Imedghacen avait été déjà étudiée dans le plan d’action du PRETI. Sans les blocages administratifs, le projet aurait déjà démarré et nous ne serions pas là. Cela aurait évité de bloquer les travaux de la route et de faire une économie non négligeable sur le budget alloué à ce projet. C’est dommage !

Pour ce qui est de la place actuelle du comité, je vous dirais qu’elle est ambiguë.

Autrement, au début du mois de juin, le Comité scientifique a saisi par écrit la ministre de la Culture pour l’informer de la situation actuelle du projet et du Comité. Nous attendons sa réponse.

  • Le mausolée est-il définitivement à l’abri ou faut-il craindre d’autres risques ? A-t-on besoin d’une loi pour l’immuniser ?

Non, le monument et son site ne sont pas à l’abri du tout. Sans vouloir exagérer, personne ne peut vous certifier qu’une partie du monument ne risque pas de s’écrouler. Plus qu’une loi propre au mausolée, il faudrait instaurer des mécanismes de suivi, de contrôle et d’évaluation des actions pour éviter sa dégradation. Seules les générations futures pourront nous dire si nous avons réussi notre mission pour que le mausolée (et plus largement notre patrimoine) soit mis à l’abri. Et il ne peut être protégé qu’à certaines conditions qui sont également définies dans le PRETI. Il faut surtout un budget conséquent à la hauteur de l’importance du site. Quand on sait que le budget alloué par le ministère de la Culture pour l’étude et le suivi de la restauration de Mers El Kebir est de plus de 500 millions de dinars et qu’Imedghacen n’a bénéficié que de 150 millions, on comprend bien le chemin qui reste à faire. Enfin, il faut classer Imedghacen sur la liste du patrimoine universel. L’Unesco attend le dossier depuis des années. Le CST a toutes les données nécessaires pour monter le dossier de classement auprès de l’Unesco et c’est ce qui a été convenu avec les services chargés du patrimoine au ministère. 

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